Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-16 : Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (juges militaires) (titre abrégé : « Loi sur l’inamovibilité des juges militaires ») a été déposé à la Chambre des communes le 7 octobre 2011 par le ministre de la Défense nationale (le Ministre). Il a reçu la sanction royale le 29 novembre 2011.
Avant l’adoption du projet de loi C-16, les juges militaires étaient nommés à titre inamovible par le gouverneur en conseil pour un mandat de cinq ans. Ce mandat pouvait être révoqué par le gouverneur en conseil seulement sur recommandation d’un comité d’enquête créé sous le régime de la Loi sur la défense nationale (LDN) 1. Le mandat d’un juge pouvait être renouvelé sur recommandation d’un comité d’examen jusqu’à ce que le juge atteigne l’âge de la retraite fixé aux articles 101.15, 101.16 et 101.17 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) 2. Le comité d’examen ne tenait aucun compte dans sa recommandation des décisions rendues par le juge 3.
Le 2 juin 2011, dans l’affaire R. c. Leblanc, la Cour d’appel de la cour martiale a déclaré invalides et inopérants les paragraphes 165.21(2) à 165.21(4) de la LDN et les articles 101.15, 101.16 et 101.17 des ORFC. Elle a suspendu la déclaration d’invalidité pour une période de six mois afin de donner au Parlement la possibilité de modifier les dispositions législatives 4.
Le projet de loi C-16 donne suite à la décision Leblanc et vise à dissiper toute impression d’influence extérieure exercée sur les décisions des juges militaires. Il prévoit l’inamovibilité de ceux-ci jusqu’à l’âge de 60 ans, sauf en cas de révocation motivée sur recommandation d’un comité d’enquête. Le projet de loi abroge les dispositions actuelles de la LDN portant sur le mandat des juges militaires et son renouvellement 5.
Le projet de loi C-16 a été déposé à la Chambre des communes le même jour que le projet de loi C-15 : Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, qui propose des modifications de fond aux dispositions de la LDN portant sur le système de justice militaire. L’objectif déclaré du projet de loi C-16 était de faire adopter rapidement les modifications à l’article 165.21 afin de remédier aux lacunes constitutionnelles signalées par la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire Leblanc, tout en laissant les réformes de fond dans le projet de loi C-15.
L’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) garantit à tout inculpé « le droit d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable 6 ». Ce droit s’applique « aux tribunaux qui se prononcent sur la culpabilité de personnes accusées d’une infraction criminelle 7 », ce qui comprend les procès devant les tribunaux militaires et les tribunaux civils 8.
En ce qui concerne les juges, « [l]’impartialité désigne un état d’esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée 9 ». La notion d’impartialité sous-entend une absence de préjugé, tant sur le plan individuel que sur le plan institutionnel 10.
La notion d’indépendance de la magistrature comporte deux dimensions : d’une part, l’indépendance individuelle du juge pour ce qui est d’instruire et de juger librement les affaires dont il est saisi et, d’autre part, l’indépendance institutionnelle du tribunal qu’il préside par rapport aux autres branches du gouvernement et aux organismes qui peuvent exercer des pressions sur la magistrature en raison du pouvoir qui leur est conféré par l’État 11. Afin de préserver la confiance du public dans l’administration de la justice et de protéger la primauté du droit selon la Constitution, les juges doivent être à la fois indépendants et perçus comme tels 12.
La Cour suprême du Canada qualifie l’indépendance de la magistrature d’« élément vital du caractère constitutionnel des sociétés démocratiques 13 », qui existe « au profit de la personne jugée et non des juges 14 ». Elle a aussi déclaré ce qui suit :
L’indépendance est essentielle en raison du rôle des juges en tant que protecteurs de la Constitution et des valeurs fondamentales qui s’y trouvent, notamment la primauté du droit, la justice fondamentale, l’égalité et la préservation du processus démocratique 15.
Elle insiste aussi sur le fait que la notion d’indépendance de la magistrature continue d’évoluer avec le temps 16.
À son avis, il faut considérer l’inamovibilité « comme la première des conditions essentielles de l’indépendance judiciaire 17 ». Un juge ne peut être révoqué que pour un « motif lié à sa capacité d’exercer les fonctions judiciaires 18 » et ce motif doit faire « l’objet d’un examen indépendant et d’une décision selon une procédure qui offre au juge visé toute possibilité de se faire entendre 19 ».
La LDN crée un système de justice militaire distinct, y compris des tribunaux militaires. Elle établit un Code de discipline militaire, qui prévoit des infractions militaires distinctes et incorpore toutes les infractions prévues au Code criminel ou à toute autre loi fédérale 20. Le Code de discipline militaire s’applique aux membres des Forces canadiennes et, dans certaines situations énumérées dans la LDN, à des catégories de civils particulières 21. Les tribunaux militaires exercent la pleine compétence des cours supérieures et provinciales de juridiction criminelle, à l’exception de la compétence relative au meurtre, à l’homicide involontaire coupable et à l’enlèvement d’une personne âgée de moins de 14 ans ou de moins de 16 ans dans les cas où ces crimes sont commis au Canada 22.
Depuis l’entrée en vigueur de la Charte en 1982, le Parlement et les tribunaux ont examiné à plusieurs reprises des questions relatives à l’indépendance judiciaire et à la structure du système de justice militaire, et le système a beaucoup évolué 23. La dernière réforme législative en profondeur du système de justice militaire a été amenée en 1998 par le projet de loi C-25 : Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence 24.
Le projet de loi C-25 a apporté d’importantes modifications à la LDN. Il donnait suite à de nombreuses recommandations formulées dans le Rapport du Groupe consultatif spécial sur la justice militaire et sur les services d’enquête de la police militaire, présidé par l’ancien juge en chef de la Cour suprême Brian Dickson 25, le rapport de la Commission d’enquête sur la Somalie 26 et le rapport du ministre de la Défense, l’honorable Douglas Young, au premier ministre dans le Rapport au premier ministre sur le leadership et l’administration des Forces canadiennes 27. Les modifications visaient à assurer l’intégrité et l’équité du système de justice militaire établi par la LDN. Le projet de loi visait notamment à renforcer l’indépendance des juges militaires par des modifications aux dispositions concernant leur nomination, leurs attributions et la durée de leur mandat. Il a reçu la sanction royale le 10 décembre 1998.
L’article 96 du projet de loi C-25 exigeait que le ministre de la Défense nationale fasse procéder, tous les cinq ans après l’entrée en vigueur du projet de loi, à un examen indépendant des modifications apportées à la LDN. L’ancien juge en chef Antonio Lamer a effectué le premier examen indépendant en 2003. Son examen concernait seulement les dispositions et l’application du projet de loi C-25 et non l’ensemble de la LDN. L’ancien juge en chef a examiné l’évolution de la doctrine en matière d’indépendance judiciaire au Canada et les importants changements apportés au rôle, aux attributions et aux fonctions des juges militaires au cours des dix années précédentes. Le juge Lamer recommandait notamment que les juges militaires se voient accorder l’inamovibilité au même titre que leurs homologues des tribunaux civils, et que d’autres réformes soient introduites pour accroître l’indépendance et l’impartialité de la magistrature militaire 28.
Le projet de loi C-7 : Loi modifiant la Loi sur la défense nationale a été déposé le 27 août 2006. Il n’a pas dépassé la première lecture et est mort au Feuilleton à la fin de la session en septembre 2007. Le projet de loi C-45 : Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, presque identique au projet de loi C-7, a été déposé le 3 mars 2008, mais a connu le même sort que son prédécesseur lorsque le Parlement a été dissous pour la 40e élection générale. Les deux projets de loi auraient mis en œuvre certaines des recommandations du Rapport Lamer, sous forme de modifications à la LDN. Par exemple, ils auraient assuré l’inamovibilité des juges militaires jusqu’à l’âge de la retraite fixé par règlement pris par le gouverneur en conseil. La nomination de juges militaires à temps partiel aurait également été permise.
Le projet de loi C-60 : Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (cour martiale) et une autre loi en conséquence a reçu la sanction royale le 18 juin 2008 29. Il a apporté trois modifications importantes au système de justice militaire :
Le projet de loi a été déposé en réponse à l’arrêt du 24 avril 2008 de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada dans l’affaire R. c. Trépanier 30. Dans cet arrêt, la Cour avait déclaré inconstitutionnelles les dispositions de la LDN autorisant le directeur des poursuites militaires à choisir le type de cour martiale chargée de juger un accusé (art. 165.14 de la LDN).
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a été prié d’étudier les dispositions et l’application du projet de loi C-60 après son adoption et de remettre au ministre de la Défense nationale ses observations et recommandations 31. Le rapport final du Comité, Une justice égale : Réformer le système canadien de cours martiales, a été déposé au Sénat en mai 2009 32. Le Comité faisait neuf recommandations concernant la conduite des cours martiales et la détermination de la peine dans les cours militaires, mais aucune concernant l’inamovibilité des juges militaires.
Le projet de loi C-41 : Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence (titre abrégé : « Loi visant à renforcer la justice militaire pour la défense du Canada ») a été déposé à la Chambre des communes le 16 juin 2010 par le ministre de la Défense nationale. Le projet de loi a fait l’objet d’un rapport à la Chambre des communes après avoir été étudié par le Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes 33, mais il est mort au Feuilleton lorsque le Parlement a été dissous pour une élection générale en mars 2011.
Parmi d’autres réformes visant à assurer une plus grande indépendance aux juges militaires, le projet de loi C-41 prévoyait l’inamovibilité des juges, mais ne fixait pas l’âge de la retraite. Le projet de loi incorporait les dispositions de base proposées dans les projets de loi C-7 et C-45, tout en tenant compte des modifications apportées à la LDN par l’adoption du projet de loi C-60. Les modifications contenues dans le projet de loi C-41 donnaient suite aux recommandations du Rapport Lamer (2003) et à celles faites dans le rapport de mai 2009 du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles 34.
En mai 2011, le ministre de la Défense nationale a chargé l’honorable Patrick J. LeSage, juge en chef à la retraite de la Cour supérieure de l’Ontario, d’effectuer le deuxième examen indépendant du projet de loi C-25 (après celui du Rapport Lamer) et du projet de loi C-60, adopté en 2008 35.
Dans l’arrêt de 1992 R. c. Généreux, le juge en chef du Canada Antonio Lamer, au nom de la majorité des juges de la Cour suprême, reconnaissait que le système de tribunaux militaires distinct au Canada vise à permettre aux Forces canadiennes « de s’occuper des questions qui touchent directement à la discipline, à l’efficacité et au moral des troupes 36 ». Dans l’arrêt Généreux, la Cour a conclu que la Charte prévoit « l’existence d’un système de tribunaux militaires ayant compétence sur les affaires régies par le droit militaire 37 ». Après avoir examiné les caractéristiques et exigences particulières de la justice militaire, la majorité des juges de la Cour a décidé que la Charte n’exige pas que la LDN prévoie l’inamovibilité des juges militaires jusqu’à la retraite, comme c’est le cas pour les juges civils 38.
En 1995 et à nouveau en 1998, la Cour d’appel de la cour martiale a affirmé que le système de nomination et d’inamovibilité des juges prévu à l’article 165.21 de la LDN répond aux exigences constitutionnelles 39. Cependant, dans son examen de 2003 du projet de loi C-25, l’ancien juge en chef Lamer exprimait l’opinion que les accusés pourraient être raisonnablement convaincus que le désir d’un juge de voir son mandat renouvelé pourrait influer sur sa décision finale 40. Après le Rapport Lamer et une série de décisions de la Cour suprême développant la notion de l’indépendance judiciaire, de nombreux jugements des cours martiales ont conclu à l’inconstitutionnalité du régime de mandats renouvelables de cinq ans établi dans la LDN et les ORFC pour les juges militaires, mais ne sont pas allés jusqu’à invalider les dispositions pertinentes des lois et règlements 41. En 2007, dans l’affaire R. c. Dunphy, la Cour d’appel de la cour martiale est revenue sur ses décisions de 1995 et 1998 et a recommandé que les juges militaires soient nommés à titre inamovible jusqu’à leur retraite, sous réserve de révocation motivée 42.
Le 2 juin 2011, la Cour d’appel de la cour martiale du Canada a rendu sa décision dans l’affaire R. c. Leblanc. Elle a conclu que le cumul des dispositions de la LDN qui permettent au gouverneur en conseil de nommer des juges militaires pour des mandats renouvelables de cinq ans 43 et du pouvoir discrétionnaire octroyé par les ORFC au ministre de la Défense de reporter l’âge de la retraite des officiers, y compris les juges militaires 44 porte atteinte au droit d’un accusé d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial garanti à l’alinéa 11d) de la Charte.
Dans l’affaire Leblanc, la Cour d’appel de la cour martiale a insisté sur la nature changeante du rôle des juges militaires et sur l’évolution de la notion d’indépendance judiciaire. La Cour a aussi pris en considération le pouvoir discrétionnaire du Ministre de maintenir des juges militaires en service après l’âge de la retraite prévu 45. La Cour a déterminé que le mécanisme actuel de mandats renouvelables de cinq ans pour les juges militaires est susceptible de compromettre la liberté qu’a un juge de rendre une décision sans subir d’influence extérieure et « presque assurément, de fonder chez une personne sensée et raisonnable une crainte raisonnable que cette indépendance soit compromise par une interférence externe, en l’occurrence celle du ministre 46 ». Elle a aussi conclu que les dispositions en cause ont le potentiel de compromettre l’indépendance d’un tribunal dans son ensemble par rapport aux organes exécutif et législatif du gouvernement.
La Cour a déclaré invalides et inopérants les paragraphes 165.21(2) à 165.21(4) de la LDN ainsi que les articles 101.15, 101.16 et 101.17 des ORFC, qui définissent la procédure de nouvelle nomination des juges militaires. Toutefois, elle a suspendu la déclaration d’invalidité pendant six mois afin de donner au Parlement la possibilité de modifier ces dispositions.
Le projet de loi C-16 modifie les paragraphes 165.21(2), (3) et (4) de la LDN afin qu’un juge militaire puisse occuper sa charge jusqu’à ce qu’il demande sa libération ou jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 60 ans (nouveau par. 2(3) de la LDN). Selon le projet de loi, un juge militaire peut être démis de ses fonctions seulement en cas de révocation motivée par le gouverneur en conseil sur recommandation d’un comité d’enquête établi par règlement du gouverneur en conseil (nouveau par. 2(2) de la LDN) 47. Il prévoit également la procédure de notification que doit suivre le juge qui souhaite démissionner (nouveau par. 2(4) de la LDN).
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
** Anna Gay, anciennement de la Bibliothèque du Parlement, a participé à la rédaction de Résumé législatif du projet de loi C-41 : Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence (8 décembre 2010), dont certains éléments sont repris dans le présent résumé législatif. [ Retour au texte ]
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