Résumé législatif du Projet de loi C-2

Résumé Législatif
Résumé législatif du projet de loi C-2 : Loi sur la tenue de procès criminels équitables et efficaces
Robin MacKay, Division des affaires juridiques et sociales
Publication no 41-1-C2-F
PDF 168, (16 Pages) PDF
2011-06-14

1 Contexte

Le projet de loi C-2 : Loi modifiant le Code criminel (mégaprocès) (titre abrégé : « Loi sur la tenue de procès criminels équitables et efficaces ») a été déposé et a franchi l'étape de la première lecture à la Chambre des communes le 13 juin 2011. Il est presque identique au projet de loi C-53, qui a été déposé et a franchi l'étape de la première lecture à la Chambre des communes le 2 novembre 2010 pour mourir au Feuilleton au moment de la dissolution de la 40e législature le 26 mars 2011.

Ce projet de loi modifie le Code criminel (le Code)1 afin d'autoriser la nomination d'un juge responsable de la gestion de l'instance et de définir les attributions de ce juge. Il simplifie le recours aux actes d'accusation présentés en vertu de l'article 577 du Code et prévoit la prise d'effet ultérieure d'une ordonnance rendue pour la tenue de procès distincts2. Il modifie les dispositions relatives à la protection de l'identité des jurés et accroît le nombre maximum de jurés qui peuvent entendre la preuve sur le fond. Enfin, il dispose que, en cas d'avortement de procès, certaines décisions rendues dans le cadre de ce procès lient les parties lors de tout nouveau procès.

1.1 Nature du problème

Le communiqué de presse accompagnant le projet de loi C-2 précise que les « mégaprocès », comme on les appelle, comportent souvent une grande quantité de preuves complexes, de nombreuses inculpations contre de multiples prévenus et la nécessité de faire entendre bien des témoins. Tout cela peut exiger un temps considérable de la part du tribunal et entraîner, en contrepartie, des délais démesurés, ce qui augmente le risque d'avortement du procès3. La notion de mégaprocès ne se limite pas aux procès avec jury; le procès des accusés relativement à l'attentat à la bombe contre le vol 182 d'Air India, en 1985, en constitue un bon exemple.

Les mégaprocès se rapportent à des infractions graves telles que le crime organisé, les activités de bandes criminelles et le terrorisme. On attribue à plusieurs facteurs la tendance à l'allongement des procès : quantité et complexité accrues des éléments de preuve, recours accru aux témoignages d'experts, conduite plus offensive dans la salle d'audience et multiplication des requêtes préliminaires portant sur la recevabilité de la preuve, la communication de la preuve ou les contestations au titre de la Charte des droits4.

Le premier « mégaprocès » tenu au Canada, que l'on appelle parfois l'« affaire du dragage », a été instruit devant les tribunaux de l'Ontario à la fin des années 19705. Dans cette affaire, 20 personnes physiques et morales avaient fait l'objet de sept chefs d'accusation de complot à la suite d'un présumé stratagème de truquage d'offres qui s'était étendu sur une période de huit ans. Le procès avait nécessité 197 jours d'audience étalés sur une période de 15 mois. À la conclusion de la preuve, l'avocat de la défense s'était adressé au jury durant sept jours, l'adresse de la Couronne avait duré 11 jours, l'exposé au jury avait duré sept jours, les objections à l'exposé avaient duré 11 jours, et le jury avait délibéré durant 14 jours. Les 20 prévenus étaient accusés d'un total de 53 infractions. Le jury avait rendu 40 verdicts de culpabilité à l'encontre de 13 des prévenus. Il avait conclu à l'acquittement de divers prévenus pour neuf infractions et n'avait pu prononcer de verdict sur quatre chefs. Dans un arrêt unanime de 320 pages, la Cour d'appel de l'Ontario avait confirmé le verdict du jury sur la totalité des chefs, sauf sept pour lesquels elle avait ordonné de nouveaux procès. Cet arrêt a été confirmé par la Cour suprême du Canada quatre ans plus tard.

Selon une étude de recherche préparée en vue du rapport final sur l'attentat à la bombe commis contre le vol 182 d'Air India, la durée d'un mégaprocès semble directement proportionnelle au risque d'impossibilité de parvenir à un quelconque verdict : le président du tribunal, les jurés et les témoins peuvent mourir ou tomber malades; des complices auparavant coopératifs qui devaient témoigner pour la Couronne peuvent disparaître ou décider de ne plus coopérer. En outre, des témoins de la défense peuvent être impossibles à joindre par suite d'un déménagement. Par ailleurs, il pourrait être déraisonnable pour l'État d'exiger des jurés qu'ils renoncent à une année, voire davantage, de leur vie pour un unique cas. Il est dans l'intérêt de la justice qu'un procès soit équitable et gérable et qu'il puisse être compris par un jury profane6.

Une décision judiciaire du 31 mai 2011 illustre les difficultés que les « mégaprocès » peuvent causer au système de justice. Le 15 avril 2009, l'opération policière « SharQc » avait donné lieu à l'arrestation de 155 personnes. Dans l'affaire Auclair c. R.7, un juge de la Cour supérieure du Québec a ordonné la libération de 31 d'entre elles au motif que leur procès serait retardé déraisonnablement. Le juge s'est montré critique à l'endroit du poursuivant qui, à son avis, s'était engagé dans un mégaprocès de cette envergure sans s'assurer de la capacité du système de justice de le mener à bien efficacement. Il a aussi dit que le problème pourrait se reproduire dans de futurs mégaprocès.

1.2 Le rapport LeSage-Code

En novembre 2008, le ministère du Procureur général de l'Ontario rendait public le Rapport sur l'examen de la procédure relative aux affaires criminelles complexes8. Rédigé par l'honorable Patrick LeSage et le professeur Michael Code, ce rapport a été publié en réponse à une demande du procureur général de l'Ontario qui les priait « de cerner les problèmes et de recommander des solutions en vue d'accélérer le traitement des dossiers par le système de justice et de le rendre plus efficace9 ». Les auteurs ont rédigé le rapport à la suite de consultations avec des avocats de la défense et de la Couronne, des magistrats, Aide juridique Ontario, des organismes policiers et d'autres parties impliquées dans des affaires criminelles complexes.

Le rapport LeSage-Code met en évidence trois principaux facteurs qui ont joué un rôle important dans la transformation du procès criminel contemporain en un processus long et complexe, alors qu'il était auparavant un examen bref et efficace de la culpabilité ou de l'innocence d'un prévenu. Ces trois facteurs sont l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte); la réforme du droit de la preuve par la Cour suprême du Canada; enfin, l'ajout au Code et à des lois connexes de nombreuses dispositions nouvelles et complexes.

Le premier facteur a été la constitutionnalisation du droit criminel et de la procédure criminelle en 1982, par suite de l'adoption de la Charte. Les articles 7 à 14 de la Charte peuvent être vus comme un code constitutionnel de la procédure criminelle. Ces dispositions, appelées « garanties juridiques », énoncent des droits comme le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives et le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat dès le moment de l'arrestation. L'adoption de ces garanties juridiques a conduit à un large éventail de requêtes de procédure qui n'avaient jamais existé auparavant et qui visaient à faire valoir les droits et recours aujourd'hui inscrits dans la Charte. Ces requêtes peuvent être complexes et exiger du tribunal un délai additionnel pour les instruire et en disposer.

Le deuxième facteur à l'origine de l'allongement et de la complexification des procès a été la décision de la Cour suprême du Canada portant réforme du droit de la preuve. Dans l'ancien système de common law, la recevabilité de la preuve était régie par certaines règles. Le changement apporté à ce système a élargi le champ de la recevabilité de la preuve par l'adoption d'un système plus souple, fondé sur des principes généraux relatifs à ce qui serait considéré comme « équitable » ou « juste » compte tenu des circonstances. Parmi les changements apportés figurent la recevabilité d'une gamme accrue de déclarations rapportées 10, la recevabilité d'un plus grand nombre d'aveux11, ainsi que de nouvelles exceptions et de nouveaux types de privilèges12. La nouvelle approche, bien inspirée, était moins fondée sur des règles; aussi est-il devenu très difficile de prédire l'issue probable d'une requête portant sur tel ou tel de ces aspects. Un grand nombre d'éléments de preuve sont donc soumis à un juge avant que soit rendue une décision quelle qu'elle soit relativement à une requête portant sur la preuve, à cause du haut niveau d'incertitude et de spécificité entourant les facteurs qui peuvent s'appliquer.

Le troisième facteur à l'origine de l'allongement et de la complexification des procès a été la grande quantité de modifications apportées aux lois, entre autres au Code criminel, qui est à peu près deux fois plus long qu'il ne l'était il y a 30 ans. La nouvelle législation, complexe, mal connue et encore non testée, donne donc lieu elle aussi à de nouvelles et longues procédures. Les dispositions concernant les « organisations criminelles » fournissent un exemple de nouvelles mesures législatives. Les nouvelles infractions prévues par les articles 467.11, 467.12 et 467.13 du Code instituent une forme aggravée d'infractions déjà existantes. Ces infractions sont désormais une importante caractéristique des mégaprocès relatifs aux bandes criminelles; elles exigent énormément de temps pour la preuve de l'élément aggravant additionnel, à savoir l'existence d'une « organisation criminelle », élément qui, une fois prouvé, peut entraîner une longue peine consécutive. Par exemple, dans l'un des principaux procès pour « organisation criminelle », l'infraction sous-jacente d'extorsion a été prouvée en une semaine, tandis que le volet du procès portant sur l'« organisation criminelle » (en l'occurrence, les Hells Angels), a nécessité six semaines13.

Après avoir exposé les facteurs qui, selon eux, expliquaient l'allongement et la complexité accrue des procès, les auteurs du rapport LeSage-Code ont formulé plusieurs recommandations en vue d'améliorer la situation. Le projet de loi C-2 tient compte de certaines d'entre elles, mais pas de toutes. Un exemple est la recommandation qu'un « juge responsable de la gestion de l'instance » pour la phase précédant l'instruction soit investi du pouvoir de statuer sur les questions préliminaires, lorsque le juge appelé à présider le procès ne peut être rapidement affecté. Les genres de requêtes qui bénéficieraient de telles décisions préalables, avant la tenue du procès, devraient, selon LeSage et Code, être laissés à la discrétion du tribunal. Les décisions préalables permettent aux parties de se préparer adéquatement en vue du procès; elles empêchent les reports de procès, favorisent un règlement du cas avant le procès ou éliminent la nécessité d'un procès. Dans le rapport LeSage-Code, on recommande aussi que le Code soit modifié pour qu'il y soit précisé clairement que les décisions rendues dans un premier procès, lorsque celui-ci se termine par une ordonnance de séparation ou par un avortement, demeurent contraignantes dans un procès ultérieur, hormis l'existence d'un changement important.

1.3 Les rapports du comité directeur sur l'efficacité et l'accès en matière de justice

Lors d'une réunion tenue en 2003, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables de la justice ont entériné l'établissement d'un comité directeur sur l'efficacité et l'accès en matière de justice (le comité directeur). Ce comité s'est mis à la recherche de solutions pratiques et durables afin d'améliorer la tenue des « mégaprocès ». En janvier 2005, les ministres susmentionnés ont examiné le rapport final du comité directeur sur les mégaprocès14. Après en avoir discuté, les ministres ont souscrit aux recommandations du comité directeur et ont renvoyé le rapport à Justice Canada pour que soient déterminées précisément les suites à donner et effectuées de nouvelles consultations.

Une recommandation essentielle du rapport du comité directeur est que le juge en chef qui déclare qu'un procès constitue un mégaprocès renvoie le dossier au « juge responsable de la gestion de l'instance ». Le procès est réputé avoir débuté au moment où le juge responsable de la gestion de l'instance commence son travail. Ce juge, qui a tous les pouvoirs d'un juge présidant un procès, statue sur les questions préliminaires, par exemple les questions touchant la preuve, afin que la présentation de la preuve au procès ne soit pas interrompue par la nécessité de trancher des questions latentes. Outre qu'il se prononce sur la recevabilité de la preuve et sur les questions liées à la Charte, le juge responsable de la gestion de l'instance examine également les questions de communication de la preuve; il statue sur les questions relatives à la mise en liberté sous caution et les requêtes en séparation des chefs d'accusation; il invite les parties à circonscrire les points litigieux et verse dans le dossier les admissions des parties.

Le comité directeur proposait aussi que, pour réduire le risque de décisions incompatibles, toutes les requêtes préliminaires portant sur les mêmes preuves dans des dossiers distincts, mais connexes, soient réunies et instruites au cours de la même audience. Ainsi, la contestation de la validité d'un mandat de perquisition autorisant la collecte de preuves pour plusieurs dossiers distincts pourrait être considérée au cours d'une seule audience. La décision rendue serait réputée contraignante dans tous les procès impliquant les parties qui ont participé à l'audience. Elle ne pourrait pas être modifiée par les juges présidant les procès.

Le comité directeur reconnaissait aussi que la longueur des mégaprocès augmente le risque de voir le nombre de jurés tomber à moins de 10, seuil autorisé par le Code15. Il a rejeté les recommandations d'autres organismes qui préconisaient la nomination de jurés de remplacement pour la durée du procès. Il a plutôt recommandé que l'on se penche expressément et de façon approfondie sur l'idée de ramener le nombre minimum de jurés à neuf ou huit afin d'obtenir un verdict unanime valide, et que l'on examine en particulier les incidences constitutionnelles possibles.

Enfin, le comité directeur recommandait que le tribunal puisse modifier, en application de l'article 601 du Code, une mise en accusation directe entachée d'un vice. En ce cas, la Couronne ne devrait pas être tenue d'obtenir et de déposer une nouvelle mise en accusation directe. L'article 601 autorise le tribunal, entre autres choses, à modifier un acte d'accusation qui n'énonce pas, ou énonce défectueusement, quelque chose qui est nécessaire pour constituer l'infraction ou un acte d'accusation qui comporte un vice de forme quelconque.

Le comité directeur a également présenté un rapport sur la réforme du jury16. Ses propositions sur la sécurité des jurés concernaient principalement la protection de leur anonymat. Le comité directeur recommandait que soit étudiée la pertinence d'une restriction systématique de l'accès à l'information sur les jurés dans tous les procès. Il a proposé par exemple que les éventuels jurés ne soient appelés que par leur numéro, pas par leur nom. Les craintes qu'un candidat entretienne des liens avec une partie, qu'il ne réside pas dans le district judiciaire de l'infraction, qu'il puisse entretenir des préjugés en raison de son occupation professionnelle ou qu'il ne soit pas la même personne que celle dont le nom figure au tableau pourraient, selon le comité, être évacuées par des questions générales neutres plutôt qu'en exigeant la divulgation d'informations précises aux parties (nom, adresse, occupation, etc.). Il a aussi proposé que l'on facilite, par une modification apportée au Code, l'obtention d'ordonnances interdisant la publication et la diffusion d'informations qui pourraient servir à identifier un juré.

2 Description et analyse

Le projet de loi C-2 contient 17 articles. La description qui suit fait ressortir certains aspects du projet de loi; elle n'en passe pas en revue chacun des articles.

2.1 Mises en accusation directes (art. 2 et 6)

Les mises en accusation directes sont autorisées par l'article 577 du Code. Cet article autorise le procureur général ou le sous-procureur général à renvoyer directement une affaire pour procès même s'il n'y a pas eu enquête préliminaire ou si l'accusé a été libéré au terme de l'enquête préliminaire. Le Guide du Service fédéral des poursuites énonce que, dans tous les cas, la question déterminante est de savoir si l'intérêt public exige que l'on mette de côté la procédure habituelle de mise en accusation suivant l'ordonnance de renvoi à procès qui est rendue à l'issue de l'enquête préliminaire. Le Guide ajoute que l'intérêt public peut exiger une mise en accusation directe, notamment dans les circonstances suivantes :

  • l'accusé est libéré à l'enquête préliminaire en raison d'une erreur de droit, d'une erreur de compétence ou d'une erreur manifeste dans l'appréciation des faits en l'espèce;
  • l'accusé est libéré à l'enquête préliminaire, mais de nouveaux éléments de preuve, découverts par la suite, auraient probablement fait en sorte que l'accusé aurait été renvoyé pour subir son procès s'ils avaient été produits à l'enquête préliminaire;
  • le prévenu est renvoyé pour subir son procès pour l'infraction dont il est accusé, et de nouveaux éléments de preuve découverts par la suite justifient qu'il subisse un procès pour une infraction différente ou plus grave pour laquelle il n'y a pas eu d'enquête préliminaire;
  • la tenue du procès est grandement retardée en raison, par exemple, de nombreuses demandes accessoires pendant les procédures avant procès, au point que le droit d'être jugé dans un délai raisonnable que l'alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés garantit à l'accusé pourrait être compromis;
  • il y a des motifs raisonnables de croire qu'une menace pèse sur la vie, la santé ou la sécurité des témoins ou des membres de leur famille et que cette menace pourrait être considérablement réduite si le procès avait lieu immédiatement, sans enquête préliminaire;
  • les procédures intentées contre l'accusé doivent être accélérées pour maintenir la confiance du public dans l'administration de la justice, notamment lorsque la détermination de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusé revêt une importance particulière aux yeux du public;
  • la mise en accusation directe est nécessaire pour éviter des procédures multiples, par exemple lorsqu'un accusé est renvoyé pour subir son procès à l'issue d'une enquête préliminaire et qu'une autre personne, accusée de la même infraction, vient tout juste d'être arrêtée ou extradée au Canada pour cette infraction;
  • la preuve doit être produite le plus tôt possible devant le tribunal compte tenu de l'état des témoins, notamment leur âge ou leur santé;
  • lorsque la tenue d'une enquête préliminaire serait déraisonnablement onéreuse pour les ressources de la poursuite, de l'organisme chargé des enquêtes ou de la cour17.

L'article 523 du Code énumère les périodes de validité de diverses formes de mise en liberté. La sommation ou la citation à comparaître qui a été délivrée au prévenu, la promesse de comparaître ou la promesse qu'il a remise, ou l'engagement qu'il a contracté, demeure en vigueur tant que le procès du prévenu n'a pas pris fin ou tant que sa peine n'a pas été déterminée, à moins que le juge n'ordonne que le prévenu soit mis sous garde en attendant l'imposition de la peine. Lorsque le prévenu est en liberté selon une forme de mise en liberté et qu'une nouvelle accusation est déposée, pour la même infraction ou pour une infraction incluse, la forme initiale de mise en liberté continue de s'appliquer.

L'article 2 du projet de loi ajoute un nouveau paragraphe à l'article 523 du Code pour étendre aux cas de mise en accusation directe la continuation de la mise en liberté sous caution ou autre forme de mise en liberté. Ce nouveau paragraphe dispose que l'on n'a plus à tenir de nouvelle audience de mise en liberté sous caution lorsqu'un prévenu est soumis à une ordonnance de mise en liberté sous caution ou à une ordonnance de détention au titre d'une infraction et qu'il y a présentation d'un acte d'accusation lui imputant la même infraction ou une infraction incluse.

L'article 601 du Code régit les demandes d'annulation ou de modification d'un acte d'accusation. À tout stade de la procédure, le tribunal peut modifier un acte d'accusation qui ne se réfère pas à la bonne loi ou qui comporte un vice de forme, même s'il est par ailleurs correctement rédigé. En outre, lorsque la preuve a été présentée, le tribunal peut modifier l'acte d'accusation pour qu'il s'accorde avec la preuve. À l'heure actuelle, ce pouvoir qu'a le tribunal de modifier un acte d'accusation ne concerne que les actes d'accusation ordinaires ou ceux qui sont établis à la suite d'une enquête préliminaire montrant que la preuve produite suffit à justifier la tenue d'un procès; si une mise en accusation directe contient une erreur technique, une nouvelle mise en accusation directe doit être présentée, ce qui requiert le consentement écrit personnel du procureur général ou du sous-procureur général. L'article 6 du projet de loi modifie l'article 601 du Code afin d'habiliter le tribunal à corriger les vices techniques des mises en accusation directes, comme c'est le cas actuellement pour les actes d'accusation ordinaires.

2.2 Juge responsable de la gestion de l'instance (art. 4)

À l'heure actuelle, l'article 645 du Code dispose que le procès d'un prévenu se poursuit continûment, sous réserve d'ajournement par le tribunal. Cette disposition permet aussi au juge de statuer, avant la constitution du jury, sur des aspects qui, en temps ordinaire, seraient traités en l'absence du jury. Elle a pour objet de faciliter la présentation de la preuve sur le fond, d'une manière plus ordonnée et sans interruption, puisqu'il ne sera pas nécessaire d'excuser le jury pour qu'il soit statué sur de tels aspects. Au regard de la common law, cette disposition du Code signifie que, une fois que le juge a compétence pour se prononcer sur la preuve, il a ensuite compétence pour entendre la cause elle-même18. La jurisprudence dit aussi que le juge qui conduit une audience portant sur la preuve au titre de l'article 645 devrait être saisi du procès en raison du principe selon lequel les décisions préliminaires d'un juge ne lient pas un autre juge qui pourrait plus tard devoir statuer sur la même question19.

L'article 4 du projet de loi ajoute au Code la partie XVIII.1, intitulée « Juge responsable de la gestion de l'instance ». Cette nouvelle partie habilite un juge responsable de la gestion de l'instance à statuer sur des questions préliminaires. Cette disposition a pour objet de permettre une résolution rapide des questions préliminaires sur lesquelles repose souvent le reste du procès. Elle vise également à faire en sorte que la présentation de la preuve au juge des faits se déroule sans interruption, dans toute la mesure du possible, ce qui aura pour effet de réduire la durée totale de la procédure.

La nomination du juge responsable de la gestion de l'instance s'effectue de diverses façons, notamment sur demande du procureur ou du prévenu, ou à la requête du juge en chef ou du juge que celui-ci a désigné. La décision de nommer un juge responsable de la gestion de l'instance est fondée sur un avis selon lequel cette mesure est nécessaire pour la bonne administration de la justice. La nomination a lieu à tout moment avant la sélection des jurés ou, s'il s'agit d'un procès devant juge seul, avant le stade de la présentation de la preuve sur le fond. La nomination d'un juge en tant que juge responsable de la gestion de l'instance n'empêchera pas celui-ci d'entendre la preuve sur le fond.

Une fois nommé, le juge responsable de la gestion de l'instance peut exercer les pouvoirs dont est investi le juge du procès avant le stade de la présentation de la preuve sur le fond. Ces pouvoirs sont les suivants :

  • aider les parties à désigner les témoins à entendre;
  • les encourager à faire des aveux et à conclure des accords;
  • établir des horaires et leur imposer des échéances;
  • entendre des plaidoyers de culpabilité et prononcer des peines;
  • aider les parties à cerner les questions à trancher au stade de la présentation de la preuve sur le fond;
  • trancher toute question qui peut l'être avant ce stade, y compris les questions concernant la communication de la preuve, la recevabilité de la preuve, la Charte, les témoins experts, la séparation des chefs d'accusation, enfin la tenue de procès séparés sur un ou plusieurs chefs d'accusation lorsqu'il y a plusieurs accusés;
  • encourager les parties à examiner toute autre question qui favoriserait la tenue d'un procès équitable et efficace.

La raison d'être du juge responsable de la gestion de l'instance est de favoriser la tenue d'un procès juste et efficace en veillant à ce que la preuve sur le fond soit présentée, dans la mesure du possible, sans interruption. Une fois que des mesures en ce sens ont été appliquées, le juge responsable de la gestion de l'instance vérifie que le dossier du tribunal renferme des informations telles que les aveux faits et les accords conclus par les parties et le délai estimatif pour conclure le procès. Le procès d'un accusé se poursuit continûment, comme le prévoit actuellement l'article 645 du Code, même si le juge qui entend la preuve sur le fond n'est pas le juge responsable de la gestion de l'instance. En outre, le juge responsable de la gestion de l'instance peut ensuite trancher toute question que lui renvoie le juge qui entend la preuve sur le fond. Par ailleurs, il pourrait assurer la présidence du reste du procès avec ou sans jury, durant la présentation de la preuve sur le fond.

Le nouvel article 551.7 du Code traite du sujet des questions préliminaires qui doivent être tranchées dans le cadre de procès connexes. Dans les affaires importantes et complexes, bon nombre des questions préliminaires nécessitant des preuves similaires peuvent être communes à plusieurs affaires. Cette nouvelle disposition permet une audition conjointe des requêtes préliminaires qui appellent des preuves similaires et qui concernent des procès connexes, mais distincts. Lorsque le juge nommé pour entendre les requêtes préliminaires statue sur les points soulevés, il le fait durant le procès. La décision du juge est versée dans le dossier de chacun des procès connexes à l'égard duquel l'audience conjointe a été tenue.

2.3 Report d'exécution des ordonnances de séparation (art. 5)

L'article 591 du Code traite des actes d'accusation qui comportent plus d'un chef ou qui visent plus d'un prévenu, et du pouvoir du tribunal d'ordonner des procès séparés. Sauf dans le cas d'un acte d'accusation alléguant le meurtre20, on peut inclure dans un acte d'accusation n'importe quel nombre de chefs pour n'importe quel nombre d'infractions. Si l'intérêt de la justice l'exige, le tribunal peut rendre une ordonnance de séparation. Une ordonnance en ce sens signifie que certains chefs et/ou certains prévenus feront l'objet de procès distincts. Une ordonnance de séparation peut être rendue avant ou pendant le procès. Lorsqu'elle est rendue pendant le procès, le jury est dispensé de rendre un verdict à propos des chefs à l'égard desquels le procès ne suit pas son cours ou au sujet du prévenu appelé à subir un procès séparé. De nouvelles procédures concernant ces chefs ou ces prévenus sont ensuite engagées comme s'il y avait un acte d'accusation distinct. Cela veut dire que, lorsqu'a été rendue, avant que ne soient tranchées les questions préliminaires, une ordonnance de séparation des chefs d'accusation ou une ordonnance de procès distincts pour certains coaccusés, la preuve doit être présentée au soutien de ces questions préliminaires dans chacun des procès qui suivront.

Le projet de loi ajoute deux paragraphes à l'article 591 du Code. Ces paragraphes permettent au tribunal de reporter l'exécution d'une ordonnance de séparation; toute question préliminaire se rapportant à plus d'un prévenu ou à plus d'un chef peut ainsi être tranchée par un juge seulement, avant la séparation. Le report de l'exécution d'une ordonnance de séparation vise à garantir l'uniformité des décisions ainsi qu'à prévenir d'inutiles chevauchements. Les nouvelles dispositions garantissent également que les décisions se rapportant à la communication de la preuve ou à sa recevabilité, ou encore à la Charte, qui sont rendues avant la prise d'effet de l'ordonnance de séparation, continuent de lier les parties dans des procès séparés si les décisions ont été rendues, ou auraient pu l'être, avant le stade de la présentation de la preuve sur le fond.

2.4 Décisions en cas d'avortement de procès (art. 14)

L'article 653 du Code traite du cas où le juge qui préside le procès est d'avis que les jurés ne sont pas en mesure de rendre un verdict unanime. Si le jury est dans l'impasse, le juge qui préside le procès peut conclure à l'avortement de procès et libérer le jury; il lui est également possible de différer le procès. S'il y a avortement de procès, un nouveau procès a lieu. La décision discrétionnaire du juge de conclure à l'avortement de procès ne peut pas être contestée.

L'article 14 du projet de loi ajoute l'article 653.1 au Code pour prévoir que, en cas d'avortement de procès, les décisions portant sur certaines questions préliminaires continuent de lier les parties, à moins que le tribunal ne soit d'avis que cela ne serait pas dans l'intérêt de la justice. Les décisions qui continuent de lier les parties sont celles relatives à la communication de la preuve ou à sa recevabilité, ou encore à la Charte, qui ont été rendues, ou auraient pu être rendues, avant le stade de présentation de la preuve sur le fond. Il s'agit des mêmes décisions que celles portant sur des questions préliminaires qui continuent de lier les parties en cas de report d'exécution d'une ordonnance de séparation, ce dont il est question à l'article 5 du projet de loi.

2.5 Mesures concernant les jurés (art. 7 à 13)

L'article 631 du Code expose la procédure générale qui est suivie pour la formation de la liste des jurés. Le nom de chaque juré figurant au tableau, son numéro au tableau et son adresse sont inscrits sur une carte qui est placée dans une boîte. Les cartes sont ensuite tirées dans le cadre d'une audience publique, et la règle exige du greffier qu'il appelle le nom et le numéro de chaque juré. Les paragraphes 631(3.1) et 631(6) du Code prévoient des exceptions destinées à préserver l'anonymat des jurés. Ces paragraphes permettent au juge d'ordonner que seul le numéro du juré soit appelé et d'interdire la publication, la diffusion ou la transmission, de quelque façon que ce soit, de l'identité du juré lorsque cela s'impose pour la bonne administration de la justice. L'article 631 du Code permet aussi au juge d'ordonner que soient sélectionnés jusqu'à deux jurés suppléants.

Le projet de loi modifie l'article 631 pour permettre l'assermentation d'un maximum de 14 jurés. Cette modification fait écho au fait qu'il faut de plus en plus de temps pour instruire les procès criminels, en particulier s'il s'agit de mégaprocès. Il s'agit là d'une situation qui peut réduire la capacité du jury de rendre un verdict, étant donné qu'il n'est pas rare pour un juré, surtout dans les procès de longue durée, d'être libéré au cours du procès. Or pareille libération risque d'entraîner une réduction de la taille du jury en deçà du minimum exigé par le Code, à savoir 10 jurés, pour que soit rendu un verdict valide. Il se peut qu'il y ait plus de 12 jurés restants lorsque vient le temps de réfléchir au verdict. En ce cas, on procède à une sélection aléatoire qui déterminera, après l'adresse du juge au jury, quels jurés participeront à la délibération.

Une autre modification concernant les jurys dispose que les jurés doivent, au tribunal, être systématiquement appelés par leur numéro et que l'emploi de noms est l'exception. Par ailleurs, le tribunal serait en mesure de limiter l'accès aux cartes ou listes de jurés lorsqu'il l'estime nécessaire pour la bonne administration de la justice. L'idée est de renforcer la protection de l'identité des jurés et de leur permettre de s'acquitter de leurs tâches sans craindre d'être intimidés ou agressés.


Notes

*  Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu'un projet de loi peut faire l'objet d'amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu'il est sans effet avant d'avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d'avoir reçu la sanction royale et d'être entré en vigueur. [ Retour au texte ]

  1. Code criminel (le Code), L.R.C. 1985, ch. C-46. [ Retour au texte ]
  2. Les mises en accusation directes sont autorisées par l'art. 577 du Code. Cet article permet au procureur général ou au sous-procureur général de renvoyer une affaire directement à procès sans enquête préliminaire, ou après que le prévenu a été libéré au terme d'une enquête préliminaire. Le facteur déterminant dans tous les cas est la question de savoir si l'intérêt public commande une entorse à la procédure habituelle de mise en accusation après qu'une ordonnance de renvoi à procès a été rendue à l'issue d'une enquête préliminaire. La séparation des chefs d'accusation est traitée à l'art. 591 du Code. Les actes d'accusation peuvent comporter plus d'un chef ou viser plus d'un prévenu, et les tribunaux ont le pouvoir d'ordonner des procès séparés. Si l'intérêt de la justice l'exige, le tribunal peut rendre une ordonnance de séparation. Une ordonnance en ce sens signifie que certains chefs et/ou certains prévenus seront jugés séparément. À l'heure actuelle, lorsqu'un juge ordonne la séparation de chefs d'accusation ou la tenue de procès distincts pour certains coaccusés avant que ne soient tranchées les questions préliminaires, la preuve à l'appui desdites questions préliminaires doit être présentée dans chacun des procès qui s'ensuivront. [ Retour au texte ]
  3. Ministère de la Justice, Le gouvernement du Canada présente de nouveau un projet de loi sur les « mégaprocès » pour rendre les rues et les collectivités plus sûres, communiqué, 13 juin 2011. [ Retour au texte ]
  4. Janice Tibbetts, « New rules aim to speed up mega-trials », Times Colonist [Victoria], 2 novembre 2010, p. A8. [ Retour au texte ]
  5. R. v. McNamara (No. 1) (1981), 56 C.C.C. (2d) 193 (C.A. Ont.), [1981] O.J. No. 3254; décision confirmée : Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662, [1985] A.C.J. no 28. [ Retour au texte ]
  6. Bruce A. MacFarlane, « Éléments structuraux des mégaprocès : une analyse comparative », pdf (1.3 Mo, 436 pages) dans Commission d'enquête relative aux mesures d'investigation prises à la suite de l'attentat à la bombe commis contre le vol 182 d'Air India, Études de recherche – volume 3 : Les poursuites liées au terrorisme, 2010, p. 173 à 346 (p. 238). [ Retour au texte ]
  7. Auclair c. R., 2011 QCCS 2661. [ Retour au texte ]
  8. Voir Patrick J. LeSage et Michael Code, Rapport sur l'examen de la procédure relative aux affaires criminelles complexes, Toronto, Ministère du Procureur général de l'Ontario, novembre 2008.[ Retour au texte ]
  9. Ontario, Ministère du Procureur général, Le procureur général lance un examen sur la procédure de traitement des affaires criminelles complexes, communiqué, 25 février 2008.[ Retour au texte ]
  10. R. c. Khan (1990), 59 C.C.C. (3d) 92 (C.S.C.).[ Retour au texte ]
  11. R. c. Singh (2007), 225 C.C.C. (3d) 103 (C.S.C.).[ Retour au texte ]
  12. R. c. Brown (2002), 162 C.C.C. (3d) 257 (C.S.C.). [ Retour au texte ]
  13. R. v. Lindsay and Bonner (2004), 182 C.C.C. (3d) 301 (C.S.J. Ont.). [ Retour au texte ]
  14. Comité directeur sur l'efficacité et l'accès en matière de justice, Rapport final sur les méga-procès du Comité directeur sur l'efficacité et l'accès en matière de justice, Ministère de la Justice, janvier 2005.[ Retour au texte ]
  15. Code, par. 644(2).[ Retour au texte ]
  16. Comité directeur sur l'efficacité et l'accès en matière de justice, Rapport sur la réforme du jury, Ministère de la Justice,mai 2009.[ Retour au texte ]
  17. Guide du Service fédéral des poursuites, partie V : « La procédure au procès et en appel », chap. 17 : « La mise en accusation directe », Ministère de la Justice, 2004. [ Retour au texte ]
  18. R. v. Curtis (1991), 66 C.C.C. (3d) 156 (C. Ont. (Div. gén.)), [1991] O.J. No. 1070.[ Retour au texte ]
  19. Duhamel c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 555, 15 C.C.C. (3d) 491. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada écrivait ce qui suit : « Quant à moi, cela signifie qu'il appartient au juge du procès de se prononcer sur la recevabilité des éléments de preuve qui lui sont soumis et qu'il n'est pas lié par les décisions interlocutoires rendues à un procès antérieur même si la déclaration est la même » (juge Lamer). [ Retour au texte ]
  20. L'art. 589 du Code dispose qu'aucun chef d'accusation visant un acte criminel autre que le meurtre ne peut être joint, dans un acte d'accusation, à un chef d'accusation de meurtre, à moins que les chefs d'accusation découlent de la même affaire ou que l'accusé consente à la réunion des chefs d'accusation. [ Retour au texte ]

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