Résumé législatif du projet de loi C-28 : Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême)

Résumé Législatif
Résumé législatif du projet de loi C-28 : Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême)
Chloé Forget, Division des affaires juridiques et sociales
Publication no 44-1-C28-F
PDF 938, (14 Pages) PDF
2022-06-29

À propos de cette publication

Dans ce résumé législatif de la Bibliothèque du Parlement, tout changement d'importance depuis la publication précédente est signalé en caractères gras.


1 Contexte

Le 17 juin 2022, l’honorable David Lametti, ministre de la Justice, a déposé à la Chambre des communes le projet de loi C‑28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême) 1. La Chambre des communes et le Sénat ont accéléré l’adoption du projet de loi C‑28 qui a reçu la sanction royale le 23 juin 2022, soit quelques jours après son dépôt.

Le projet de loi C‑28 a été déposé en réponse à la décision de la Cour suprême du Canada (CSC) dans l’affaire R. c. Brown 2. Dans cette décision, la CSC a statué que l’article 33.1 du Code criminel (le Code), qui abolit le moyen de défense fondé sur l’intoxication s’apparentant à l’automatisme dans le cas des infractions violentes prévues au paragraphe 33.1(2) du Code, viole les principes de justice fondamentale et la présomption d’innocence garantis par l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), et que ces violations ne sont pas justifiées au sens de l’article premier de la Charte 3. La CSC avait alors déclaré l’article 33.1 du Code inconstitutionnel et inopérant.

Le projet de loi C‑28 modifie l’article 33.1 du Code afin de prévoir qu’une personne qui se trouve dans un état d’intoxication volontaire extrême s’apparentant à l’automatisme et qui commet un crime violent visé au paragraphe 33.1(3) peut être tenue criminellement responsable de ce crime si elle a consommé des substances intoxicantes de manière négligente. Cette norme juridique de négligence criminelle instaurée à l’article 33.1 du Code prend en compte la prévisibilité objective du risque que la consommation de substances intoxicantes puisse provoquer une intoxication extrême et amener la personne à causer un préjudice à autrui.

1.1 Éléments constitutifs d’un crime en droit canadien

Les éléments constitutifs d’un crime en droit criminel canadien sont indispensables à la compréhension des modifications que le projet de loi apporte à l’article 33.1 du Code.

Chaque infraction criminelle est composée de deux éléments que la Couronne doit établir hors de tout doute raisonnable pour qu’un accusé en soit reconnu coupable : un élément physique et un élément moral. La Couronne doit d’abord démontrer l’élément physique, c’est-à-dire prouver que l’accusé a volontairement posé le geste interdit qui lui est reproché (c’est ce qu’on appelle l’actus reus).

L’élément physique, qui peut être soit un geste, soit l’absence de geste, est appelé actus reus ou acte coupable. Il ne peut y avoir d’acte coupable à moins qu’un geste soit le résultat d’une décision ou d’un choix arrêté; autrement dit, il y doit y avoir la volonté de poser un geste, que l’accusé sache ou non que ce geste est interdit par la loi 4.

Elle doit ensuite prouver que l’accusé a commis l’acte qui lui est reproché de manière intentionnelle ou du moins insouciante 5 (c’est ce qu’on appelle la mens rea 6). Il s’agit en fait d’établir l’intention criminelle. En common law, la notion d’« intention » repose sur le principe voulant qu’il ne peut y avoir de responsabilité criminelle sans faute criminelle.

1.2 Historique de l’article 33.1 du Code criminel

1.2.1 R. c. Daviault (1994)

En 1994, la CSC a rendu sa décision dans l’affaire Daviault. M. Daviault était accusé d’avoir agressé sexuellement une femme âgée. Dans cette affaire, la défense avait présenté une preuve d’expert pour démontrer qu’une personne qui aurait consommé la même quantité d’alcool qu’avait ingérée M. Daviault le jour de l’agression

pouvait agir sous le coup de « l’amnésie‑automatisme », aussi connue sous le nom de « blackout ». La personne qui se trouve dans cet état perd contact avec la réalité et son cerveau cesse temporairement de fonctionner normalement. Cette personne n’a aucune conscience de ses actes à ce moment et risque de ne pas s’en souvenir le lendemain 7.

La CSC devait établir si l’état d’intoxication extrême voisin de l’automatisme ou de l’aliénation mentale pouvait être invoqué comme moyen de défense dans le cas d’une infraction d’intention générale 8, comme l’agression sexuelle.

La CSC a modifié la règle de common law énoncée dans l’arrêt Leary 9, selon laquelle l’intoxication ne peut constituer un moyen de défense contre les infractions d’intention générale. En fait, la CSC a conclu que l’application stricte de cette règle de common law enfreignait l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte 10. L’article 7 prévoit que « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne [et qu’]il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ». L’alinéa 11d), de son côté, prévoit que tout inculpé a le droit « d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable ».

La CSC a ainsi établi une exception et conclu que le moyen de défense fondé sur l’automatisme pouvait être invoqué pour soulever un doute raisonnable. Autrement dit, une personne accusée d’une infraction d’intention générale peut établir qu’au moment de l’infraction, elle était dans un état d’intoxication extrême voisin de l’automatisme. La CSC a conclu qu’il incombait à l’accusé d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était dans un état d’intoxication extrême voisin de l’automatisme, ce qui suppose le recours au témoignage d’un expert 11.

La CSC avait, entre autres, justifié l’établissement de cette exception en soulignant qu’elle visait un « état qui rend l’accusé incapable d’accomplir un acte voulu ou de former l’intention minimale requise pour qu’il y ait infraction d’intention générale 12 ». La CSC a rappelé que

[l’]aspect moral d’une infraction est reconnu depuis longtemps comme faisant partie intégrante du crime, et le fait de l’éliminer entraînerait pour l’accusé un déni de justice fondamentale. L’élément moral peut être minimal dans les infractions d’intention générale 13.

Elle explique en outre que l’intention de s’enivrer ne peut établir la mens rea d’une autre infraction, comme l’agression sexuelle, car cela irait à l’encontre de la Charte :

La consommation d’alcool ne peut tout simplement pas entraîner inexorablement la conclusion que l’accusé possédait l’élément moral requis pour commettre l’agression sexuelle, ou tout autre crime. La règle portant substitution de la mens rea a plutôt pour effet d’éliminer l’élément moral minimal requis pour l’agression sexuelle. En outre, la mens rea d’un crime est si bien reconnue que le fait d’éliminer cet élément moral, qui fait partie intégrante du crime, entraînerait pour l’accusé un déni de justice fondamentale 14.

La CSC ajoute que l’intoxication volontaire n’est pas encore considérée comme un crime et que, même à supposer qu’elle le soit, « cela ne signifie pas nécessairement que ses conséquences dans une situation particulière soient volontaires ou prévisibles 15 ».

Elle précise enfin que l’exception à la règle énoncée dans l’arrêt Leary s’applique seulement dans des cas rarissimes :

Étant donné la nature minimale de l’élément moral requis pour les crimes d’intention générale, même les personnes dont l’état d’ébriété est avancé peuvent habituellement former la mens rea requise et être jugées avoir agi volontairement. En réalité, il n’y a que les personnes capables de démontrer qu’elles étaient intoxiquées à un point tel qu’elles se trouvaient dans un état voisin de l’automatisme ou de l’aliénation mentale qui pourraient soulever un doute raisonnable quant à leur capacité de former l’élément moral minimal requis pour une infraction d’intention générale 16.

1.2.2 Article 33.1 du Code criminel (1995)

L’arrêt Daviault a provoqué une levée de boucliers, notamment de la part des groupes de défense des droits des femmes, et le Parlement s’est empressé de légiférer 17 en ajoutant l’article 33.1 au Code en 1995 :

33.1 (1) Ne constitue pas un moyen de défense à une infraction visée au paragraphe (3) le fait que l’accusé, en raison de son intoxication volontaire, n’avait pas l’intention générale ou la volonté requise pour la perpétration de l’infraction, dans les cas où il s’écarte de façon marquée de la norme de diligence énoncée au paragraphe (2).

(2) Pour l’application du présent article, une personne s’écarte de façon marquée de la norme de diligence raisonnable généralement acceptée dans la société canadienne et, de ce fait, est criminellement responsable si, alors qu’elle est dans un état d’intoxication volontaire qui la rend incapable de se maîtriser consciemment ou d’avoir conscience de sa conduite, elle porte atteinte ou menace de porter atteinte volontairement ou involontairement à l’intégrité physique d’autrui.

(3) Le présent article s’applique aux infractions créées par la présente loi ou toute autre loi fédérale dont l’un des éléments constitutifs est l’atteinte ou la menace d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne, ou toute autre forme de voies de fait.

L’article 33.1 du Code signifie que le moyen de défense de l’intoxication volontaire voisine de l’automatisme ne peut jamais être invoqué dans le cas des infractions violentes d’intention générale mentionnées au paragraphe 33.1(3) 18. Trois conditions doivent être remplies pour que l’article 33.1 puisse s’appliquer :

(1) l’accusé était intoxiqué au moment des faits, (2) cette intoxication était volontaire et (3) l’accusé s’est écarté de façon marquée de la norme de diligence raisonnable généralement acceptée dans la société canadienne en portant atteinte ou en menaçant de porter atteinte à l’intégrité physique d’autrui 19.

De plus, pour établir l’écart marqué défini au paragraphe 33.1(1), deux faits doivent être prouvés :

Premièrement, la personne doit être dans un état d’intoxication volontaire qui la rend inconsciente de sa conduite ou incapable de se maîtriser. Deuxièmement, l’acte violent doit avoir été commis alors qu’elle se trouvait dans cet état. Il faut voir ces éléments, non pas comme une faute, mais comme des conditions à remplir pour engager la responsabilité, étant donné que ni l’un ni l’autre de ces éléments ne fait intervenir une norme de négligence criminelle 20.

1.2.3 R. c. Brown (2022)

Dans l’affaire R. c. Brown, la CSC devait se prononcer sur la constitutionnalité de l’article 33.1 du Code

à la lumière, d’une part, des principes de justice fondamentale et de la présomption d’innocence garantis à l’accusé par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés et, d’autre part, de l’objectif du Parlement de protéger les victimes – en particulier les femmes et les enfants – des actes de violence commis par des individus en état d’intoxication et d’obliger les auteurs de ces violences à répondre de leurs actes 21.

Elle devait se pencher plus particulièrement sur

les circonstances dans lesquelles les personnes accusées de certains crimes violents peuvent invoquer l’intoxication extrême volontaire pour démontrer qu’elles n’avaient pas l’intention générale ou la volonté habituellement requise pour justifier une déclaration de culpabilité et une peine 22.

Le 13 mai 2022, la CSC a rendu une décision unanime dans laquelle elle a conclu que l’article 33.1 du Code enfreignait l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte et que ces violations n’étaient pas justifiées en vertu de l’article premier de la Charte. Elle a donc déclaré l’article 33.1 du Code inconstitutionnel et inopérant 23. Le même jour, elle a aussi rendu sa décision dans l’affaire R. c. Sullivan, dans laquelle elle a appliqué l’arrêt Brown 24.

Signalons toutefois que la CSC a confirmé dans l’arrêt Brown que

la règle selon laquelle l’intoxication ne constitue pas un moyen de défense opposable aux crimes d’intention générale [telles les voies de fait ou l’agression sexuelle] n’est pas touchée par le présent pourvoi, sauf dans les cas d’intoxication s’apparentant à l’automatisme 25.

Elle a pris la peine de préciser que

la plupart des degrés d’intoxication ne peuvent pas être opposés comme moyen de défense à des crimes d’intention générale […] Seul le degré le plus élevé d’intoxication – celui qui rend l’individu incapable de se maîtriser – est en cause en l’espèce : l’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme en tant que moyen de défense contre les accusations de crimes violents d’intention générale et, rappelons-le, uniquement si cette intoxication est volontaire 26.

Par ailleurs, en ce qui concerne les infractions d’intention spécifique (comme le meurtre), le moyen de défense d’intoxication volontaire extrême demeure admissible, et ce, indépendamment de l’adoption du projet de loi C‑28.

1.2.3.1 Violation de l’article 7 de la Charte – les principes de justice fondamentale

La CSC a conclu que l’article 33.1 du Code enfreignait l’article 7 de la Charte dans la mesure où il permet qu’une personne sans intention criminelle, c’est-à-dire sans être moralement fautive, soit reconnue coupable d’un crime.

Selon la CSC,

[u]n principe de justice fondamentale veut qu’une déclaration de culpabilité criminelle exige au minimum la preuve d’une négligence pénale, sous la forme d’un écart marqué par rapport à la norme d’une personne raisonnable, sauf si la nature précise du crime exige une faute subjective 27.

Elle a toutefois précisé que l’intention de s’intoxiquer est une condition nécessaire à l’application correcte de l’article 33.1 du Code, mais que l’« intention de s’intoxiquer à n’importe quel degré suffit ». De plus, « il importe peu que l’individu n’ait pas prévu sa perte de conscience ou de maîtrise 28 ».

La CSC a également conclu que l’article 33.1 du Code enfreignait l’article 7 de la Charte parce qu’il

prévoit […] que l’accusé est criminellement responsable de sa conduite involontaire. Comme l’absence de volonté écarte l’actus reus de l’infraction, la conduite involontaire n’est pas criminelle, et le droit canadien reconnaît que l’exigence relative au caractère volontaire requis pour qu’une personne soit reconnue coupable d’un crime est un principe de justice fondamentale 29.

1.2.3.2 Violation de l’alinéa 11d) de la Charte – la présomption d’innocence

La CSC a conclu que l’article 33.1 du Code criminel enfreignait l’alinéa 11d) de la Charte, qui garantit le droit d’être présumé innocent jusqu’à preuve du contraire, car il

substitue irrégulièrement la preuve de l’intoxication volontaire à la preuve des éléments essentiels d’une infraction.

Comme je l’ai déjà signalé, l’art. 33.1 abolit sans équivoque la défense selon laquelle l’accusé n’avait pas l’intention générale ou la volonté de commettre l’infraction. L’article 33.1 substitue donc la faute et la volonté de s’intoxiquer à la faute et à l’intention de commettre l’infraction violente.

[…]

Même si l’accusé qui perd la maîtrise consciente de ses actes et attaque une autre personne après avoir passé la nuit à consommer des substances est sans aucun doute moralement blâmable, l’art. 33.1 se heurte à des difficultés évidentes. Il ne fait pas de distinction, par exemple, entre l’accusé et les personnes moralement irréprochables qui consomment volontairement des substances intoxicantes légales à des fins personnelles ou médicales. On ne peut donc pas dire que, « dans tous les cas » prévus à l’art. 33.1, on peut substituer l’intention de s’intoxiquer à l’intention de commettre une infraction violente. De plus, même dans le cas de l’accusé qui a volontairement ingéré une drogue illégale comme des champignons magiques, la preuve de l’intoxication volontaire n’entraîne pas inexorablement la conclusion que l’accusé voulait commettre ou a volontairement commis des voies de fait graves dans tous les cas.

En somme, l’art. 33.1 a pour effet d’inviter le tribunal à reconnaître l’accusé coupable même lorsqu’il subsiste un doute raisonnable quant à la volonté ou à la faute requises pour prouver l’infraction violente, ce qui va à l’encontre de la présomption d’innocence prévue à l’al. 11d) 30.

1.2.3.3 Analyse à la lumière de l’article premier de la Charte

Selon la CSC,

étant donné le risque manifeste que l’art. 33.1 entraîne la déclaration de culpabilité d’un accusé qui n’avait aucune raison de croire que son intoxication volontaire donnerait lieu à des actes violents […] l’art. 33.1 échoue à l’étape de la proportionnalité et ne peut donc être sauvegardé en vertu de l’article premier 31.

La CSC a conclu qu’en adoptant l’article 33.1, le Parlement cherchait d’abord à « protéger les victimes d’actes de violence commis par un contrevenant en état d’intoxication extrême », puis à obliger les contrevenants « à répondre de leur choix d’ingérer volontairement des substances intoxicantes, lorsque ce choix risque de donner lieu à un crime violent 32 ». Elle a jugé ces objectifs suffisamment pressants et importants pour justifier la restriction des droits garantis à l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte.

La CSC a également conclu qu’il y avait un lien rationnel avec l’objectif poursuivi par l’article 33.1, mais que l’atteinte aux droits garantis par l’article 7 et l’alinéa 11d) n’était pas minimale. Elle a ajouté que le Parlement aurait pu recourir à d’autres moyens pour « tenir des personnes extrêmement intoxiquées responsables d’un crime violent lorsqu’elles ont choisi de créer le risque de préjudice en ingérant des substances intoxicantes 33 ». Selon la CSC, « [c]ertaines de ces solutions seraient de toute évidence plus équitables pour l’accusé tout en permettant d’atteindre certains des objectifs du Parlement, sinon tous 34 ». Elle en a retenu deux principales :

  • Créer une infraction autonome d’intoxication criminelle (l’essence de cette nouvelle infraction étant « l’intoxication volontaire, et non l’acte involontaire qui s’ensuit 35 »);
  • Adapter la norme juridique de la négligence criminelle afin qu’elle exige « que l’on démontre à la fois que le risque d’une perte de maîtrise et le risque du préjudice en découlant étaient raisonnablement prévisibles 36 ».

Enfin, la CSC a conclu que « l’impact [de l’article 33.1] sur les principes de justice fondamentale est disproportionné par rapport à ses grands avantages d’intérêt public 37 ».

2 Description et analyse

Le projet de loi C‑28 ne comporte qu’un seul article visant à modifier l’article 33.1 du Code.

Avant tout, soulignons que le paragraphe 33.1(3) du Code demeure inchangé : il prévoit que l’article 33.1 ne s’applique qu’à l’égard des crimes violents, soit à l’égard des infractions prévues au Code ou dans toute autre loi fédérale « dont l’un des éléments constitutifs est l’atteinte ou la menace d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne, ou toute forme de voies de fait ».

Le projet de loi modifie le paragraphe 33.1(1) du Code afin de prévoir, sous réserve des deux conditions énoncées aux alinéas 33.1(1)a) et 33.1(1)b), qu’une personne qui commet une infraction violente (visée au paragraphe 33.1(3)) est considérée comme l’ayant commise, même si, en raison de son intoxication volontaire extrême, elle n’a pas l’intention générale ou la volonté habituellement requise. Ces deux conditions sont les suivantes :

  1. d’une part, tous les autres éléments constitutifs de [l’infraction] sont présents;
  2. d’autre part, avant de se trouver dans un état d’intoxication extrême, [la personne] s’est écartée de façon marquée de la norme de diligence attendue d’une personne raisonnable, dans les circonstances, relativement à la consommation de substances intoxicantes.

Comme il est expliqué plus haut, selon l’actuel paragraphe 33.1(2) du Code, pourdéterminer l’écart marqué de la norme de diligence raisonnable, il faut prouver que la personne a commis un acte violent alors qu’elle se trouvait dans un état d’intoxication volontaire qui l’a rendue inconsciente de sa conduite ou incapable de se maîtriser. Cette norme ne constitue donc pas de la négligence criminelle, mais plutôt simplement « des conditions à remplir pour engager la responsabilité 38 ».

Le projet de loi modifie le paragraphe 33.1(2) du Code afin d’établir une norme de négligence criminelle. Il énonce en effet de quelle manière un tribunal peut déterminer qu’une personne s’est écartée de façon marquée de la norme de diligence attendue d’une personne raisonnable au sens du nouvel alinéa 33.1(1)b) :

Pour décider si la personne s’est écartée de façon marquée de la norme de diligence, le tribunal prend en compte la prévisibilité objective du risque que la consommation des substances intoxicantes puisse provoquer une intoxication extrême et amener la personne à causer un préjudice à autrui. Dans sa prise de décision, il prend aussi en compte toute circonstance pertinente, notamment ce que la personne a fait afin d’éviter ce risque.

La nouvelle norme de négligence criminelle ainsi établie semble s’aligner sur les conclusions de la CSC dans l’affaire R. c. Brown. Selon la CSC, l’une des options législatives dont disposait le Parlement était d’établir une norme de négligence criminelle qui exigerait « que l’on démontre à la fois que le risque d’une perte de maîtrise et le risque du préjudice en découlant étaient raisonnablement prévisibles 39 ». Selon la Cour, cette option aurait été plus respectueuse des droits inscrits dans la Charte.

Finalement, le projet de loi ajoute le paragraphe 33.1(4) du Code afin d’y définir le terme « extrême » utilisé aux paragraphes 33.1(1) et 33.1(2) de la manière suivante : « se dit de l’intoxication qui rend une personne incapable de se maîtriser consciemment ou d’avoir conscience de sa conduite ». Comme l’explique le ministère de la Justice :

La Cour suprême a reconnu que l’alcool seul n’entraînera presque jamais un état d’intoxication extrême. Un accusé doit prouver qu’il était dans un état d’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme. Cela exige une preuve d’expert au procès. 40


Notes

  1. Projet de loi C‑28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême), 44e législature, 1re session (L.C. 2022, ch. 11). Le même jour, le ministre de la Justice a déposé un énoncé concernant la Charte. Voir Gouvernement du Canada, Projet de loi C‑28 : Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême) – Énoncé concernant la Charte, 17 juin 2022. [ Retour au texte ]
  2. R. c. Brown, 2022 CSC 18. [ Retour au texte ]
  3. Ibid.; Code criminel (le Code), L.R.C. 1985, ch. C‑46; et Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, art. 7 et al. 11d). [ Retour au texte ]
  4. David B. Deutscher, « Criminal Law – Offences », dans Canadian Encyclopedic Digest, 4e éd., février 2019 [traduction]. [ Retour au texte ]
  5. L’insouciance comporte un élément subjectif qui « se trouve dans l’attitude de celui qui, conscient que sa conduite risque d’engendrer le résultat prohibé par le droit criminel, persiste néanmoins malgré ce risque. En d’autres termes, il s’agit de la conduite de celui qui voit le risque et prend une chance. » Voir Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570, par. 16. [ Retour au texte ]
  6. David B. Deutscher, « Criminal Law – Offences », dans Canadian Encyclopedic Digest, 4e éd., février 2019. [ Retour au texte ]
  7. Ibid. [ Retour au texte ]
  8. Pour qu’il y ait infraction d’« intention générale », il faut établir que l’accusé avait minimalement l’intention de commettre l’acte interdit qui lui est reproché. La Couronne doit donc prouver que l’accusé voulait intentionnellement faire quelque chose qui est interdit par la loi. Le par. 265(1) du Code prévoit par exemple que « [c]ommet des voies de fait […] quiconque […] d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement ». Dans un tel cas, la Couronne doit prouver que l’accusé avait l’intention d’employer la force contre une autre personne. Quant à elles, les infractions d’« intention spécifique » supposent généralement la poursuite d’un objectif supplémentaire. Prenons l’exemple de l’al. 151a) du Code, qui prévoit que :
    [t]oute personne qui, à des fins d’ordre sexuel, touche directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps d’un enfant âgé de moins de seize ans est coupable […] d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de un an.
    Dans un tel cas, la Couronne doit prouver que l’accusé avait l’intention de toucher directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps d’un enfant âgé de moins de 16 ans, mais aussi que les gestes posés l’étaient à des fins d’ordre sexuel. [ Retour au texte ]
  9. Leary c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 29. [ Retour au texte ]
  10. L’arrêt Daviault n’était pas unanime. Les juges dissidents étaient d’avis que la règle énoncée dans l’arrêt Leary était toujours valable. À leurs yeux, « [l]a preuve établissant que l’accusé s’est intoxiqué volontairement satisfait aux exigences des principes de justice fondamentale ». Voir R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63. [ Retour au texte ]
  11. Ibid. [ Retour au texte ]
  12. Ibid. [ Retour au texte ]
  13. Ibid. [ Retour au texte ]
  14. Ibid. [ Retour au texte ]
  15. Ibid. [ Retour au texte ]
  16. Ibid. [ Retour au texte ]
  17. Projet de loi C‑72, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire), 35e législature, 1re session (L.C. 1995, ch. 32). [ Retour au texte ]
  18. R. c. Brown, 2022 CSC 18, par. 76. [ Retour au texte ]
  19. Ibid., par. 77. [ Retour au texte ]
  20. Ibid., par. 81. [ Retour au texte ]
  21. Ibid., par. 3. [ Retour au texte ]
  22. Ibid., par. 3. [ Retour au texte ]
  23. Ibid., par. 167. [ Retour au texte ]
  24. R. c. Sullivan, 2022 CSC 19. [ Retour au texte ]
  25. R. c. Brown, 2022 CSC 18, par. 43. [ Retour au texte ]
  26. Ibid., par. 45. [ Retour au texte ]
  27. Ibid., par. 90. [ Retour au texte ]
  28. Ibid., par. 91. [ Retour au texte ]
  29. Ibid., par. 96 [ Retour au texte ]
  30. Ibid., par. 102 à 105. [ Retour au texte ]
  31. Ibid., par. 114. [ Retour au texte ]
  32. Ibid., par. 119. [ Retour au texte ]
  33. Ibid., par. 10. [ Retour au texte ]
  34. Ibid., par. 11. [ Retour au texte ]
  35. Ibid., par. 98. [ Retour au texte ]
  36. Ibid., par. 11. [ Retour au texte ]
  37. Ibid., par. 166. [ Retour au texte ]
  38. Ibid., par. 81. [ Retour au texte ]
  39. Ibid., par. 11 et 137. Voir aussi, R. v. B., 2019 ABQB 770 (CanLII), par. 80 à 82 [disponible en anglais seulement]. [ Retour au texte ]
  40. Gouvernement du Canada, Modifications à l’article 33.1 du Code criminel relativement à l’intoxication volontaire extrême. [ Retour au texte ]

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