Le projet de loi C-34 : Loi sur l’accord définitif concernant la Première Nation de Tsawwassen et modifiant certaines lois en conséquence a reçu une première lecture à la Chambre des communes le 6 décembre 2007 et a été adopté par la Chambre et le Sénat les 17 et 26 juin 2008 respectivement. Sa promulgation complète la ratification de l’entente tripartite sur les revendications territoriales globales et sur l’autonomie gouvernementale conclue par la Première Nation de Tsawwassen, la Colombie‑Britannique et le Canada, premier traité moderne issu du processus de la Commission des traités de la Colombie‑Britannique et premier « traité urbain » de la province.
Les Premières Nations de Colombie Britannique n’ont pas participé, pour la plupart, au processus de traités historiques qui, en Ontario, dans les provinces des Prairies et dans les actuels territoires du Nord Ouest, ont abouti à des traités prévoyant la cession de vastes territoires autochtones. Les 14 traités Douglas de l’île de Vancouver, remontant aux années 1850, ont porté sur l’achat de parcelles à des groupes Salish de la côte(1) représentant moins de 400 milles carrés(2) et n’ont pas constitué de précédent pour la conclusion d’autres traités sur l’île ou sur le continent(3). Les seuls autres traités portant sur des cessions territoriales en Colombie Britannique ont été conclus entre 1900 et 1914, période pendant laquelle quatre groupes des Premières Nations du nord-est de la province ont adhéré au Traité no 8(4).
Au moment de conclure ces traités concernant l’île de Vancouver, le gouverneur James Douglas avait reconnu les titres autochtones, conformément aux principes de la Proclamation royale de 1763(5). Toutefois, les autorités provinciales et coloniales qui lui ont succédé ont constamment adopté la position inverse(6). Après son entrée dans la Confédération en 1871(7), la Colombie Britannique n’a pas souscrit à l’opinion du gouvernement fédéral selon laquelle les politiques appliquées dans les provinces des Prairies reconnaissant et abolissant des droits autochtones devaient s’étendre à la province(8). Malgré les démarches des groupes autochtones auprès du gouvernement fédéral pour obtenir de plus grandes réserves(9) et les constants tiraillements entre les gouvernements fédéral et provincial sur cette question, Ottawa n’a exercé aucune pression sur la province à propos des titres autochtones et des traités.
En 1912, la Commission royale McKenna McBride a été constituée dans le but de régler les différends entre les gouvernements fédéral et provincial concernant les affaires et les terres indiennes. Le mandat de la Commission et le rapport produit en 1916 portaient uniquement sur la taille des réserves, et non sur les questions plus fondamentales de propriété et de contrôle des terres. En 1920, la Loi du Règlement relatif aux terres des sauvages de la Colombie Britannique (fédérale) donnait suite aux recommandations de la Commission. En 1927, une modification à la Loi sur les Indiens, demeurée en vigueur jusqu’en 1951, a rendu illégal le fait d’accepter de l’argent d’un Autochtone pour défendre des revendications territoriales(10).
À mesure que la colonie et la province prenaient de l’expansion, les groupes des Premières Nations perdaient l’accès à la plupart de leurs territoires traditionnels et ne pouvaient plus les utiliser, et la Colombie Britannique ignorait globalement les questions de titres autochtones.
En 1968, les Nisga’as se sont adressés aux tribunaux pour obtenir une déclaration selon laquelle les titres autochtones visant la vallée de la Nass, au nord ouest de la Colombie-Britannique, ne s’étaient jamais éteints. Bien que les tribunaux supérieurs de la province aient rejeté la poursuite, laissant entendre que, même si le titre existait, il s’était éteint implicitement avec l’adoption, avant 1871, de lois territoriales, la décision de 1973 de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Calder représentait un arrêt clé pour tous les groupes autochtones ayant des revendications en suspens(12). Jugeant que les Nisga’as détenaient des titres avant la création de la Colombie Britannique, la Cour a confirmé que l’occupation historique des terres par les peuples autochtones leur conférait des droits juridiques sur ces terres qui survivaient au peuplement européen, reconnaissant ainsi la possibilité de droits autochtones actuels à l’égard des terres et des ressources.
L’arrêt Calder a beaucoup joué dans l’élaboration par le gouvernement fédéral de politiques visant à régler les revendications territoriales autochtones en suspens. Rendue publique dans un premier temps en 1973, la première « politique de revendications territoriales globales » a été adoptée en 1976(13), puis confirmée en 1981 dans En toute justice : Une politique des revendications des Autochtones(14). En 1986, la politique a été révisée de manière à ce qu’une gamme plus importante de questions puisse être négociée dans le contexte des revendications territoriales(15) et, en 1993, le gouvernement a répété que l’objectif du processus de revendication globale était de négocier des traités établissant des droits à l’égard des terres et des ressources, « d’échanger les revendications de droits ancestraux indéterminés contre un ensemble précis de droits et d’avantages »(16). En 1995, le gouvernement libéral de l’époque a commencé à s’intéresser aux droits inhérents à l’autonomie, comme droit autochtone existant en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. C’est ainsi qu’a pu se préparer la négociation de droits à l’autonomie protégés par la Constitution de même que des droits territoriaux dans les nouveaux traités. À une exception près, les traités conclus depuis 1995 contiennent des chapitres sur la gouvernance(17).
La politique fédérale exigeant des groupes autochtones qu’ils renoncent à leurs droits et à leurs titres ancestraux sur les terres et ressources en échange de droits définis par traité a toujours été une pierre d’achoppement. Le thème dominant à cet égard est la nécessité d’en arriver à une « certitude » relativement aux droits et intérêts concernant les terres et les ressources. Des groupes autochtones se sont constamment opposés à cette politique, critiquée dans un certain nombre de rapports(18). Et, si les termes de cession, d’abandon et de renoncement typiques des premiers accords sur les revendications territoriales ne figurent plus dans les traités plus récents, la question continue de préoccuper les groupes autochtones et d’autres observateurs du contexte de la négociation de ces traités.
En tout, 20 revendications territoriales globales ont été réglées depuis 1973(19), notamment par l’Accord définitif Nisga’a, premier traité moderne négocié en Colombie Britannique(20).
De 1976 à 1990, les Nisga’as et le Canada négociaient sur base bilatérale, tandis que le gouvernement provincial maintenait sa négation des titres ancestraux et refusait de participer aux négociations sur les revendications territoriales. Toutefois, dans les années 1980, la province est devenue plus sensible aux préoccupations des Premières Nations(21). En 1989, le Conseil du premier ministre sur les affaires autochtones a recommandé que la province établisse un processus particulier pour la négociation des revendications territoriales et, en 1990, la Colombie Britannique, qui rejetait toujours les titres autochtones, a convenu de se joindre aux Premières Nations et au gouvernement fédéral dans le cadre de négociations tripartites.
En 1991, le gouvernement et les Premières Nations ont accepté le Rapport du Groupe de travail sur les revendications en Colombie Britannique établi par leurs représentants(22), qui décrivait la portée et le processus des négociations dans la province. Fait important, le gouvernement du Nouveau Parti démocratique alors au pouvoir a reconnu les titres autochtones et le droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale. Son adhésion au Rapport du Groupe de travail a mené à l’établissement de la Commission des traités de la Colombie Britannique (CTCB) en 1992 et au processus de négociation de traités en six étapes(23) toujours utilisé.
Bien que la création du processus de la CTCB constitue à n’en pas douter un moment critique dans l’histoire tourmentée des revendications territoriales des Premières Nations de Colombie Britannique, elle n’a pas été sans heurts. Depuis, le processus tripartite connaît sa part de difficultés. Les Premières Nations se sont dites frustrées du manque apparent de progrès des négociations, de leur lenteur et de leur coût, ainsi que de l’aliénation persistante des terres et des ressources pendant que des négociations complexes ont lieu(24). D’autres observateurs déplorent également l’absence de résultats concrets(25) et la progression des coûts liés au processus de la CTCB(26).
Un pourcentage important des groupes des Premières Nations de Colombie Britannique ne participent aucunement à ce qu’ils estiment être un processus de négociation vicié. Depuis 2006, des douzaines de communautés participant au processus ont signé un « Unity Protocol Agreement » qui appelle à un nouveau processus mixte pour éliminer les obstacles aux négociations venant de ce que les signataires voient comme des positions rigides de la part du gouvernement sur plusieurs points importants(27). La CTCB a avalisé l’idée d’une table de négociation sur des questions communes(28) et, en décembre 2007, les ministres fédéral et provincial ont convenu de poursuivre ce projet(29).
Selon le Rapport annuel de la CTCB pour 2007, 58 groupes des Premières Nations de Colombie Britannique participent actuellement au processus de traité à 48 tables de négociation. Six, outre les Premières Nations Maa-nulth et de Tsawwassen(30), négocient afin de finaliser des traités (étape 5)(31). La CTCB a fait savoir que, « même si les négociations avancent à certaines tables, il y a encore des différends considérables à d’autres. En tout, 20 tables de négociation signalent des progrès, 14 autres connaissent de nettes divergences de positions et les 24 dernières piétinent ou sont paralysées. Pour bon nombre de Premières Nations, ces traités ne représentent pas leur idée d’une véritable réconciliation »(32).
Il est donc manifeste que l’Accord définitif conclu avec la Première Nation de Tsawwassen et celui conclu avec la Première Nation Maa-nulth revêtent une grande importance pour les trois parties et pour le processus(33).
La Première Nation de Tsawwassen fait partie des collectivités qui constituent les Salish de la côte, sur la côte Ouest canadienne. Les Tsawwassens ont de tout temps utilisé les eaux du sud du détroit de Géorgie et du cours inférieur du Fraser et leurs environs pour se déplacer, pêcher et chasser. Au fil du temps, cette Première Nation, comme d’autres de la province, a perdu la quasi totalité du territoire ancestral qu’elle revendique, qui couvre plus de 250 000 hectares(34).
La Première Nation de Tsawwassen compte aujourd’hui 350 membres environ dont la moitié vit en réserve sur un territoire de 290 acres, situé entre la gare maritime de BC Ferries et le complexe portuaire comprenant le terminal de conteneurs de Delta Port et le terminal charbonnier de Roberts Bank. Il s’agit d’une banlieue située au sud ouest de la région du Grand Vancouver dans le Lower Mainland de Colombie Britannique.
Source : Gouvernement de la Colombie Britannique, ministère des Relations autochtones et de la Réconciliation, « Tsawwassen First Nation ».
Comme c’est le cas de nombreuses Premières Nations, chez les Tsawwassens plus de la moitié de la population a moins de 25 ans, le chômage y est plus important et les revenus familiaux annuels de même que le taux d’obtention d’un diplôme d’études secondaires beaucoup plus faibles que dans les collectivités voisines non membres des Premières Nations(35).
Dans les documents sur la Première Nation de Tsawwassen se trouvent les pétitions présentées en vain par les chefs communautaires depuis les années 1860, notamment auprès de la Commission McKenna-McBride, pour obtenir des terres plus vastes(36). On y découvre également l’aménagement et l’industrialisation graduels des terres entourant la réserve, ainsi que leurs répercussions sur l’environnement pour les membres et les terres de la Première Nation. Ainsi, plus de 16 000 hectares de terres avoisinantes avaient été aménagés en 1890; la gare de BC Ferries et le pont-jetée avaient été construits puis agrandis à partir de 1958 et, en 1968, le terminal charbonnier était construit et fonctionnait en permanence(37).
Entre autres ensembles résidentiels construits sur des terres louées à la Première Nation de Tsawwassen, citons le Stahaken Development, important lotissement loué à la Ville de Tsawwassen jusqu’en 2089 et l’immeuble d’habitation en copropriété Tsatsu Shores. Environ 500 non-membres résident sur des terres appartenant à la Première Nation de Tsawwassen.
La Première Nation de Tsawwassen a entamé le processus tripartite de la CTCB en 1993 en présentant une déclaration d’intention de négocier un traité. Les parties ont conclu une entente de principe qui constituait la base de la phase finale de négociation en 2004 et, en décembre 2006, ont paraphé l’Accord définitif de la Première Nation de Tsawwassen (l’Accord définitif). Cet accord a été ratifié par 70 p. 100 des électeurs Tsawwassen inscrits en juillet 2007 et par l’Assemblée législative de Colombie Britannique en novembre 2007, avec la promulgation de la Tsawwassen First Nation Final Agreement Act (projet de loi 40)(38). Les parties ont signé l’Accord définitif le 6 décembre 2007. Conformément à ce dernier (ch. 24), le gouvernement fédéral est tenu d’adopter des mesures législatives, présentées dans le projet de loi C 34, pour achever le processus de ratification et entériner l’Accord définitif.
Les différends au sujet des frontières des terres ancestrales ont des répercussions sur bon nombre de revendications globales en Colombie Britannique et ailleurs, notamment celles de la Première Nation de Tsawwassen(39). Fin novembre 2007, un juge de la Cour suprême de Colombie Britannique a rejeté les pétitions de quatre groupes des Premières Nations dont les terres se chevauchaient – notamment trois groupes visés par les traités Douglas – et qui cherchaient à empêcher la signature de l’Accord définitif en arguant de consultations insuffisantes et d’une prise en compte inadéquate de leurs intérêts par la Couronne provinciale. Le juge a convenu avec les avocats du gouvernement qu’il serait impossible de conclure des traités s’il fallait régler tous les chevauchements au préalable et a conclu que les revendications des signataires de la pétition ne seraient pas irrémédiablement lésées par la signature, surtout que l’Accord définitif contient des dispositions de non-dérogation(40).
L’Accord définitif de la Première Nation de Tsawwassen (l’Accord définitif) contient 25 chapitres qui définissent précisément les droits, les responsabilités et les processus applicables à l’égard de la Première Nation de Tsawwassen pour ce qui est des terres, de la gestion de l’environnement et des terres, des ressources forestières, de la récolte de la faune et des pêches, de la fiscalité, du règlement des différends, etc. Outre ce traité protégé par la Constitution, les parties ont conclu des ententes connexes, notamment un plan d’application et les lignes directrices en matière de pêches ainsi que des ententes concernant le financement budgétaire, la concertation en matière d’impôts fonciers, le traitement fiscal et les revenus de source personnelle.
Même si le présent document n’est pas un récapitulatif détaillé du contenu de l’Accord définitif, nous présentons ci-après certaines grandes caractéristiques des chapitres portant sur les dispositions générales, les terres et la gouvernance.
Ce chapitre essentiel énonce les dispositions suivantes :
Au lieu des dispositions d’extinction explicites des droits à l’égard de règlements antérieurs de revendications territoriales, l’Accord définitif de la Première Nation de Tsawwassen applique l’approche des « droits modifiés » établie à l’origine dans l’Accord définitif des Nisga’a. Aux termes de cette solution en matière de « certitude » :
En vertu de l’Accord définitif, la composante foncière comprend 724 hectares dont :
Source : Gouvernement de la Colombie Britannique, ministère des Relations autochtones et de la Réconciliation, « Fiche : Terres Tsawwassen ».
Les terres de la Couronne provinciale qui seront transférées à la Première Nation de Tsawwassen en vertu de l’Accord définitif se trouvent actuellement dans la Réserve de terres agricoles (RTA) régie par l’Agricultural Land Commission Act de la Colombie-Britannique. Quand l’Accord définitif entrera en vigueur, 207 hectares de terres tsawwassennes perdront la désignation RTA(44) tandis que les autres terres tsawwassennes la conserveront. Les anciennes terres de réserve, qui couvrent 290 hectares et qui sont des terres domaniales, demeureront exclues de la RTA (art. 31 à 34).
En outre, le chapitre sur les terres :
Dispositions concernant la gouvernance de la Première Nation de Tsawwassen :
Divers chapitres de l’Accord définitif confèrent d’autres pouvoirs d’adopter des lois, en définissent la portée et précisent, sauf dans un cas, quelle loi, du gouvernement tsawwassen ou du gouvernement fédéral/provincial, a préséance en cas de divergence(48). Le chapitre qui fait exception est celui qui porte sur les lois afférentes à l’imposition directe des membres de la Première Nation de Tsawwassen sur les terres tsawwassennes et qui précise que ces lois ne restreignent pas les pouvoirs d’imposition des gouvernements fédéral et provincial (ch. 20, art. 2)(49).
L’Accord définitif renferme également des dispositions relatives à la transition entre l’application de la Loi sur les Indiens et l’application de l’Accord définitif dans certains domaines (ch. 3); aux relations entre la Première Nation de Tsawwassen et le gouvernement régional (ch. 17); au mécanisme de résolution des conflits auquel recourir en cas de conflit entre les parties au sujet de l’interprétation, de la mise en œuvre ou de l’application de l’Accord ou encore en cas de non-respect de l’Accord (ch. 22).
Les aspects financiers de l’Accord définitif sont énoncés en partie dans le chapitre sur le transfert de fonds (ch. 18)(50) et dans le chapitre sur les relations financières (ch. 19). Ce dernier porte sur la négociation et la teneur d’accords de financement budgétaire quinquennaux, qui prévoient entre autres le financement de programmes et de services convenus pour la Première Nation de Tsawwassen, y compris les contributions de la Première Nation de Tsawwassen provenant de ses « propres sources de revenus » [traduction] [art. 2](51). Selon les estimations les plus courantes, les coûts généraux associés à l’Accord définitif s’établissent à environ 120 millions de dollars.
Le projet de loi C-34 comporte un préambule et 33 articles, dont 12 sont des dispositions transitoires, des dispositions prévoyant des modifications corrélatives ou encore des dispositions conditionnelles, bref des dispositions que comportent généralement les lois concernant le règlement de revendications globales. Les lignes qui suivent donnent un aperçu de certains aspects importants du projet de loi, mais n’en abordent pas toutes les dispositions. Les indications entre crochets renvoient à l’Accord définitif.
Les articles de fond du projet de loi sont précédés d’un préambule de six paragraphes qui aura pour effet d’intégrer le recueil annuel de lois dans la nouvelle législation. Les préambules servent à établir un contexte et le bien-fondé d’une loi et peuvent aussi souligner l’intention parlementaire qui la sous-tend. Le préambule du projet de loi explique notamment l’importance de la réconciliation par la négociation, définit la négociation de l’Accord définitif comme un moyen d’établir de nouvelles relations entre les parties et précise que sa ratification est subordonnée à la promulgation d’une loi fédérale.
Le projet de loi confirme que l’Accord définitif est un traité au sens des articles 25(52) et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (art. 3). Il approuve l’Accord, en prévoit l’entrée en vigueur, déclare qu’il est valide et reconnaît qu’il a force de loi (art. 4). Il reprend exactement les termes d’une disposition de la loi de la Colombie-Britannique sur le règlement (novembre 2007), dont l’adoption est aussi une condition à la validité de l’Accord (ch. 24, art. 11)(53).
Le projet de loi dispose aussi qu’il est entendu :
À l’instar des lois antérieures de ratification des règlements sur les revendications territoriales, le projet de loi contient des dispositions relatives à une incompatibilité éventuelle entre ses dispositions (une fois adoptées), ou celles de l’Accord définitif, et d’autres textes législatifs. Conformément à l’Accord (ch. 2, art. 26 à 28), le projet de loi énonce clairement que 1) l’Accord définitif, document protégé par la Constitution, l’emporte sur les dispositions incompatibles de toute loi fédérale, incluant les lois portant sur le règlement de revendications territoriales (par. 5(1)); 2) celle-ci a préséance sur toute loi fédérale incompatible (par. 5(2)).
Le projet de loi prévoit que seront prélevées sur le Trésor les sommes nécessaires pour satisfaire aux obligations financières contractées par le Canada aux termes de l’Accord. Les obligations dont il est fait mention à l’article 6 sont celles qui sont énoncées : au chapitre 4 (terres), lesquelles exigent du Canada le paiement de 440 000 dollars à la Première Nation de Tsawwassen pour l’établissement d’un fonds de réconciliation aux fins de projets commémoratifs [art. 30] et le paiement de tout juste un peu plus un million de dollars pour l’établissement d’un fonds d’investissement pour le développement économique [art. 107]; le chapitre 18 (transfert de fonds et remboursement de prêts accordés pour les négociations) prévoit des transferts de fonds échelonnés à la Première Nation de Tsawwassen qui totalisent environ 14 millions de dollars, dont plus de 12 millions consistent en dix transferts annuels commençant à la date d’entrée en vigueur de l’Accord définitif [annexe 1, art. 1](55).
La loi reprend les dispositions du chapitre 4 de l’Accord définitif à condition que, à la date d’entrée en vigueur de l’Accord définitif, la Première Nation de Tsawwassen détienne en fief simple les terres tsawwassennes et autres terres tsawwassennes.
Aux termes du chapitre 20 de l’Accord définitif, les parties doivent conclure un accord relatif au traitement de diverses questions fiscales, et les lois fédérale et provinciale doivent comporter des dispositions donnant effet à cet accord fiscal (art. 22 et 23). L’accord sur le traitement fiscal a été conclu(56) et le projet de loi répond à l’exigence selon laquelle il doit être mis en vigueur par voie législative. L’article 13 donne également force de loi à l’accord sur le traitement fiscal pour la période pendant laquelle il a effet, soit au moins dix sept ans [accord sur le traitement fiscal, ch. 13]. Le projet de loi précise que l’accord sur le traitement fiscal ne fait pas partie de l’Accord définitif et qu’il n’est pas protégé par les articles 22 et 35 (ch. 2, art. 58)(57).
L’article 7 de la Loi sur les pêches confère au ministre des Pêches et des Océans le pouvoir discrétionnaire d’octroyer des baux et des permis de pêche, mais pour une période ne dépassant pas neuf ans; il peut en octroyer pour plus longtemps avec l’autorisation du gouverneur en conseil. Nonobstant l’article 7, le projet de loi confère le pouvoir ministériel de conclure et de mettre en œuvre l’accord sur la cueillette que prévoit le chapitre 9 de l’Accord définitif [art. 102], dont la durée est de 25 ans et qui peut être prolongé au gré de la Première Nation de Tsawwassen [accord sur la cueillette, art. 3 et 4]. L’Accord définitif n’exige pas expressément que la loi sur le règlement des revendications territoriales donne effet à cet accord parallèle non soumis au régime d’un traité.
Ainsi qu’il est indiqué précédemment, l’Accord définitif comporte des exceptions transitoires à la règle générale, sauf lorsqu’il s’agit de déterminer le statut d’« Indien », la Loi sur les Indiens ne s’appliquera pas à la Première Nation de Tsawwassen, ni aux membres, au gouvernement et aux institutions tsawwassens [ch. 2, art. 39](58). Le projet de loi reprend ces exceptions, précisant que la Loi cesse de s’appliquer à la date d’entrée en vigueur de l’Accord définitif (art. 12). Il y est indiqué, encore une fois conformément à l’Accord définitif [ch. 2, art. 40] que, à partir de ce moment-là, l’Accord-cadre relatif à la Gestion des Terres de Premières Nations, signé en 2003 par la Première Nation de Tsawwassen, la Loi sur la gestion des terres des premières nations et le code foncier de la Première Nation de Tsawwassen, établi sous le régime de cette loi, ne s’appliqueront plus à la Première Nation de Tsawwassen, ni à ses membres, à ses terres, à son gouvernement et à ses institutions (par. 13(1))(59). Nonobstant ce qui précède, tout règlement en vigueur de la Première Nation de Tsawwassen, y compris implicitement ceux qui sont pris sous le régime de la Loi sur les Indiens ou de la Loi sur la gestion des terres des premières nations, tel le code foncier susmentionné, demeure en vigueur dans l’ancienne réserve de la Première Nation de Tsawwassen pendant les 30 jours suivant la date d’entrée en vigueur de l’Accord définitif (par. 13(2))(60).
Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement l’autorité exclusive en ce qui concerne « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens ». L’article 15 répond à une exigence de l’Accord définitif [ch. 2, art. 20] selon laquelle les lois fédérales sur le règlement des revendications territoriales doivent comporter une disposition afférente à l’application des lois de la Colombie-Britannique qui, en raison du paragraphe 91(24), ne pourraient s’appliquer d’elles-mêmes à la Première Nation de Tsawwassen, à ses membres, à son gouvernement et à ses institutions, visés par le projet de loi C-34 et par toutes autres lois fédérales (art. 15). La loi portant sur la ratification de l’accord Nisga’a renferme une mesure équivalente.
Le projet de loi prévoit l’admission d’office de l’Accord définitif, de l’accord sur le traitement fiscal et des lois de la Première Nation de Tsawwassen (art. 16 et 17), de sorte qu’il n’est pas nécessaire de présenter en cour la preuve de leur existence et leur teneur en cas de litige. Le projet de loi exige également que les procureurs généraux du Canada et de la Colombie-Britannique ainsi que la Première Nation de Tsawwassen soient avisés à l’avance des procédures judiciaires intentées au sujet de l’interprétation ou de la validité de l’Accord définitif, ou encore de la validité ou de l’applicabilité de lois de ratification fédérales ou provinciales ou de toutes lois tsawwassenes (art. 20).
Le gouverneur en conseil est autorisé à prendre « les décrets et les règlements qui sont nécessaires » [traduction] à la mise en œuvre de l’Accord définitif ou de l’accord sur le traitement fiscal (art. 18). Un pouvoir général semblable a été conféré par voie législative ratifiant des accords sur des revendications territoriales antérieures. Le projet de loi ne précise pas les personnes ou les organismes qui détermineraient quels règlements s’imposent et à quel moment.
Aux termes du projet de loi, tout intérêt dans les terres de l’ancienne réserve de la Première Nation de Tsawwassen qui a été accordé en vertu de la Loi sur les Indiens ou de la Loi sur la gestion des terres des premières nations est maintenu sous le régime du projet de loi et empêche l’octroi d’un intérêt de remplacement. Les droits et les obligations du Canada en tant que concesseur de cet intérêt sont transférés à la Première Nation de Tsawwassen à la date d’entrée en vigueur de l’Accord définitif (art. 21 et 22), après quoi le Canada n’est pas responsable des actions ou omissions de la Première Nation dans l’exercice 1) de ses droits et obligations concernant les intérêts existants dans les terres ou 2) des pouvoirs ou des fonctions concernant de tels intérêts accordés sous le régime de lois tsawwassennes (art. 23).
La loi reprend également une disposition de l’Accord définitif afférente aux obligations fédérales prévues dans la Loi sur la gestion des terres des premières nations [ch. 2, art. 41], disposant que, aussi longtemps que la Loi demeure en vigueur, le Canada doit indemniser la Première Nation de Tsawwassen en ce qui a trait à ses anciennes terres de réserve comme il le ferait si la Loi continuait de s’appliquer à ces terres (art. 24). Cet engagement soutenu se rattache à l’article 34 de la Loi sur la gestion des terres des premières nations, qui oblige la Couronne fédérale à indemniser une Première Nation visée par cette loi de toute perte résultant d’une action ou d’une omission de la Couronne relativement à une terre appartenant à la Première Nation avant l’entrée en vigueur de son code foncier.
Les modifications que prévoit le projet de loi à cinq lois fédérales ont pour effet :
Le projet de loi entrera en vigueur à une date fixée par le gouverneur en conseil, à l’exception de deux dispositions de coordination, soit les articles 31 et 32(61), et l’article 19, aux termes desquels les chapitres sur l’admissibilité et la ratification de l’Accord définitif sont réputés avoir pris effet à la signature de l’Accord en décembre 2006.
Le projet de loi C-34 a suscité très peu de réactions. L’Accord définitif même et le processus du traité de façon générale ont fait l’objet de commentaires partagés depuis la clôture des négociations, commentaires formulés en grande partie par des observateurs membres des Premières Nations et d’autres observateurs dans la province.
Ces derniers se sont dits fort préoccupés par la portée possible du pouvoir d’imposition directe que pourrait exercer le gouvernement tsawwassen auprès de personnes qui ne sont pas membres de la Première Nation de Tsawwassen. À leur avis, il s’agit d’un pouvoir de taxation sans représentations vu la capacité restreinte des non-membres privés de leur droit, c’est-à-dire la majorité des résidents des terres de la Première Nation de Tsawwassen, de participer au processus décisionnel après l’adoption de l’Accord définitif. Un autre sujet de préoccupation concernant la taxation était que la Première Nation de Tsawwassen conserverait des pourcentages de diverses recettes fiscales prélevées sur ses terres, un mécanisme de financement jugé plus généreux que celui dont disposent les municipalités.
Des observateurs s’opposaient également au retrait, de la Réserve de terres agricoles de la province, de terres visées par le règlement du traité. L’on craignait la perte du statut de terres protégées accordé à de précieuses terres agricoles – un dossier chaud dans la région – parce qu’on ne savait pas vraiment quel sort la Première Nation de Tsawwassen réserverait à ces terres et qu’on ignorait, en particulier, l’étendue du développement industriel qu’elle pourrait faire, encore moins les répercussions de ce développement.
D’autres critiques estimaient que les coûts associés à l’Accord définitif et, par extrapolation, aux traités conclus à l’échelle de la province étaient sous-estimés. Ils croyaient que le chapitre de l’Accord portant sur les pêches et l’accord parallèle favorisaient la pêche fondée sur des considérations raciales et que la Première Nation de Tsawwassen avait un accès spécial à la pêche commerciale. On allait même jusqu’à penser que l’Accord définitif en général et le processus du traité moderne étaient source de ségrégation et que le projet de loi devrait être soumis à un vote libre au Parlement.
Par ailleurs, d’autres éditorialistes, signalant que la population reconnaissait la nécessité des traités et l’obligation morale de fournir aux Premières Nations des possibilités de développement économique, opinaient qu’il y avait lieu d’être optimiste, car les Accords définitifs des Premières Nations de Tsawwassen et Maa-nulth représentent une étape importante, démontrant que les traités sont chose possible et peuvent servir de cadres à d’autres accords. Pour d’autres observateurs non-membres des Premières Nations, puisque l’un des principaux objectifs des traités modernes est d’améliorer les perspectives de développement économique des Premières Nations qui en sont signataires, il aurait été injuste de restreindre la planification de l’utilisation des terres de la Première Nation de Tsawwassen, compte tenu surtout de l’ampleur des activités de développement industriel réalisées par des non-membres sur le territoire traditionnel tsawwassen. Ces mêmes observateurs signalaient que les règlements par traité impliquent inévitablement des compromis et des coûts, tel l’effritement de la Réserve de terres agricoles, que contrebalancent les concessions de la Première Nation de Tsawwassen dans d’autres domaines.
D’autres critiques, convenant que toutes les parties doivent faire des compromis, ont mentionné que, malgré les dispositions de l’Accord définitif portant sur les terres et les aspects financiers, la Première Nation de Tsawwassen avait du « rattrapage » à faire et elle était prête à relever les défis. D’autres observateurs estimaient qu’il fallait faire confiance à la Première Nation de Tsawwassen pour l’élaboration d’un plan communautaire, car il était peu probable que ses membres appuieraient un plan qui transformerait leur modeste parcelle de territoire en un parc industriel.
Les porte-parole des Premières Nations de la Colombie-Britannique ont également exprimé des avis partagés au sujet de la ratification de l’Accord définitif. Les membres du Sommet des Premières Nations, qui représentent les collectivités dans le processus de négociation des traités, jugeaient que la ratification de l’Accord définitif par la Première Nation de Tsawwassen représentait un développement énorme et une étape importante du processus malgré les enjeux qui se posent aux collectivités de la province. Autant les dirigeants du Sommet que ceux de l’Assemblée des Premières Nations de la province se réjouissaient de la loi de ratification, mais ont prévenu le gouvernement qu’on ne saurait assumer des progrès de façon ininterrompue et qu’il restait beaucoup à faire. Dans un communiqué diffusé par le Sommet des Premières Nations, on a félicité la Première Nation de Tsawwassen de l’élaboration de l’Accord définitif, mais signalé que « la conclusion d’autres accords de règlement est grandement compromise à moins que les gouvernements fédéral et provincial ne modifient leurs mandats de négociation et s’engagent à agir avec intégrité et de bonne foi dans les futures négociations afin de reconnaître les titres et les droits autochtones »(62).
Des représentants des collectivités ont fait observer que l’Accord définitif de la Première Nation de Tsawwassen et les traités conclus avec les Premières Nations Maa-nulth de l’île de Vancouver tiennent compte des préoccupations de beaucoup de gens, car il y est indiqué qu’il existe un point final au processus de négociation qui est acceptable pour la majorité. En outre, les traités tiennent compte de l’histoire et de la situation différentes d’un groupe à l’autre, et cela démontre la volonté du gouvernement d’adapter les modalités des traités à chacune des collectivités, fait rassurant pour les Premières Nations.
Le chef de la Union of British Columbia Indian Chiefs, qui représente des groupes opposés au processus de négociation des traités, a laissé entendre que l’Accord définitif ne relancerait pas le système boiteux. Selon lui, les collectivités des Premières Nations qui s’opposent au processus sont plus nombreuses que celles qui l’appuient. Et, bien que respectueux de la décision de la Première Nation de Tsawwassen de mettre en œuvre le traité, il a demandé aux gouvernements fédéral et provincial de ne pas le signer avant l’issue des consultations avec les groupes visés par les traités de Douglas qui revendiquent des droits chevauchants. Les représentants du Sommet des Premières Nations tenaient eux aussi à résoudre le problème des chevauchements avant la conclusion d’accords définitifs.
Nous n’avons jamais racheté de titres indiens sur les propriétaires foncières, et les Indiens n’espèrent pas que nous le fassions, mais que nous réservions, de temps à autre, des terres d’une étendue suffisante pour répondre à leurs besoins en culture et en pâturage. Si vous commencez à faire l’achat des titres sur les terres indiennes de la Colombie Britannique, il faudra remonter à 30 ans en arrière. … Nos Indiens sont satisfaits … .Madill (1984), ch. 1, « La portée des traités de l’île de Vancouver ».
Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés – ancestraux, issus de traités ou autres – des peuples autochtones du Canada […].Cet article est souvent considéré comme un garde-fou pour la protection des droits collectifs ou issus de traités des Autochtones.
Source : Gouvernement de la Colombie-Britannique, ministère des Relations autochtones et de la Réconciliation, annexes de l’Accord définitif de la Première Nation de Tsawwassen (PDF, 372 pages), annexe A, disponible en anglais seulement.
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