Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-35 : Loi visant à décourager le terrorisme et modifiant la Loi sur l’immunité des États (la Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme(1) — LJVAT), a été déposé à la Chambre des communes le 2 juin 2009 par le ministre de la Sécurité publique, l’honorable Peter Van Loan. Le projet de loi établit une cause d’action (c.-à-d., des motifs de poursuite) permettant aux victimes d’intenter des poursuites contre des personnes, des organisations et des entités terroristes pour se faire compenser les pertes ou les dommages qu'elles ont subies par suite de tout acte ou omission commis par ces personnes, organisations ou entités en violation de la partie II.1 du Code criminel(2) (partie qui porte sur le terrorisme). Il permet aussi aux victimes de terrorisme, dans certaines circonstances, d’intenter des poursuites contre les États étrangers qui ont appuyé les entités terroristes ayant commis ces actes. Les dispositions s'appliquent à la perte ou aux dommages subis par les victimes, au Canada ou à l’étranger, depuis le 1er janvier 1985. Si la perte ou les dommages sont subis à l’étranger, l'affaire doit avoir un lien « réel et substantiel » avec le Canada. Le projet de loi C-35 modifie également la Loi sur l’immunité des États(3) de manière à créer une nouvelle exception à l’immunité des États, la règle générale qui empêche d’intenter des poursuites contre un État devant les tribunaux canadiens. Toutefois, la nouvelle exception ne lève l’immunité d'un État que lorsque le Cabinet a inscrit celui-ci sur sa liste d'entités qui, selon toute probabilité raisonnable, soutiennent ou ont soutenu le terrorisme.
Le projet de loi C-35 ressemble à certains projets de loi émanant des députés et à certains projets de loi d’intérêt public émanant du Sénat qui ont été déposés au Parlement depuis 2005(4). La principale différence : les autres projets de loi visaient à incorporer la cause d’action dans le Code criminel, tandis que le projet de loi C-35 établit une cause d’action civile indépendante.
Le projet de loi C-35 permet aux victimes d’actes terroristes d’intenter devant les tribunaux canadiens des poursuites contre des États étrangers qui soutiennent le terrorisme(5). C'est là l'une de ces principales caractéristiques; en effet, la plupart des États ne reconnaissent pas le parrainage ou le soutien du terrorisme comme des circonstances entraînant une exception au principe général de l’immunité des États(6).
D'ailleurs, le droit coutumier international donne aux États, à leurs agents et à leurs organes une immunité complète contre les poursuites devant les tribunaux des autres États. Ce principe découle d’un autre principe du droit international – l’égalité souveraine des États. Le professeur de droit John Currie explique que « selon cette théorie, si tous les États sont égaux en droit international, aucun État ne devrait en assujettir un autre à ses tribunaux »(7).
Le paragraphe 3(1) de la Loi sur l’immunité des États confirme l’acceptation de cette règle générale par le Canada. Il dispose que « [s]auf exceptions prévues dans la présente loi, l’État étranger bénéficie de l’immunité de juridiction devant tout tribunal au Canada ». Le terme « État étranger » est défini dans l’article 2 de la Loi sur l’immunité des États de manière à inclure le chef ou souverain d’un État étranger, dans l’exercice de ses fonctions officielles, ainsi que le gouvernement, les ministères et les organismes de cet État. Il inclut également les chefs des subdivisions politiques, comme les provinces, dans l’exercice de leurs fonctions officielles, ainsi que les gouvernements des subdivisions politiques, leurs ministères et leurs organismes. Cela dit, certaines exceptions à cette règle générale de l’immunité complète se sont formées avec le temps dans le droit coutumier international. Le Parlement a reconnu ce fait en codifiant les exceptions les plus courantes à la règle générale de l’immunité des États dans la Loi sur l’immunité des États actuelle. Parmi ces exceptions figurent notamment :
Dans chacune de ces situations, les tribunaux canadiens exercent la juridiction civile sur les États étrangers, leurs agents et leurs organes. Le projet de loi C-35 vise à créer une nouvelle exception à l’immunité des États, exception destinée aux situations où un État appuie le terrorisme.
Le seul pays ayant une loi semblable serait les États-Unis, qui ont adopté l’Antiterrorism and Effective Death Penalty Act of 1996 et qui ont modifié la Foreign State Immunity Act de manière à prévoir une exception semblable à celle qui est proposée dans le projet de loi C-35. Pour plus de renseignements sur l’expérience américaine, voir la rubrique Commentaire du présent résumé législatif.
Le projet de loi C-35 comprend un préambule et 11 articles.
Le préambule donne une idée des facteurs qui ont motivé le projet de projet de loi C-35, des objectifs que vise le projet de loi et du contexte dans lequel il devra être interprété et appliqué s’il est adopté par le Parlement. En particulier, le préambule :
L’article 1 donne à la loi proposée par le projet de loi C-35 le titre abrégé de Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme.
L’article 2 définit trois termes par renvoi à d’autres lois. En particulier, « État étranger » s’entend au sens de l’article 2 de la Loi sur l’immunité des États. Celui-ci, comme nous l’avons signalé plus haut, assimile à un État étranger le souverain ou autre chef de l’État, dans l’exercice de ses fonctions officielles, et le gouvernement, les ministères et les organismes de l’État, ainsi que les chefs des subdivisions politiques de l’État (comme les provinces), dans l’exercice de leurs fonctions officielles, et les gouvernements, ministères et organismes des subdivisions politiques.
Le terme « entité inscrite » s’entend quant à lui au sens du paragraphe 83.01(1) du Code criminel : « entité inscrite sur la liste établie par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 83.05 ». Les articles 83.05 à 83.07 du Code criminel(8) établissent le processus d’inscription des entités ainsi que les conditions à remplir avant que le gouverneur en conseil inscrive une entité sur la liste(9).
Enfin, l’article 2 de la LJVAT assimile aux « personnes » les organisations au sens de l’article 2 du Code criminel. Celui-ci définit le terme « organisation » comme suit :
a) corps constitué, personne morale, société, compagnie, société de personnes, entreprise, syndicat professionnel ou municipalité;
b) association de personnes qui, à la fois :
(i) est formée en vue d’atteindre un but commun,
(ii) est dotée d’une structure organisationnelle;
(iii) se présente au public comme une association de personnes.
L’incorporation par renvoi de définitions contenues dans d’autres lois permet au projet de loi C-35 d’accorder aux trois termes traités dans l’article 2 (en particulier, « État étranger » et « entité inscrite ») une signification beaucoup plus large et plus détaillée que leur sens ordinaire.
L’article 3 déclare que la LJVAT a pour objet de « décourager le terrorisme en établissant une cause d’action permettant aux victimes d’actes de terrorisme d’engager des poursuites contre leurs auteurs et ceux qui les soutiennent ». Le fait que l’objet déclaré du projet de loi consiste à établir une « cause d’action » permettant d’intenter des poursuites civiles soulève une interrogation : le Parlement possède-t-il la compétence constitutionnelle nécessaire pour adopter la LJVAT?. Ce point sera examiné sous la rubrique Commentaire à la fin du présent résumé législatif.
L’article 4 établit les paramètres de la nouvelle cause d’action créée par le projet de loi C-35. À de nombreux égards, la portée de la cause d’action est large. Par exemple, le paragraphe 4(1) stipule que toute personne qui a subi au Canada ou à l’étranger des pertes ou des dommages par suite de tout acte ou omission peut intenter une action, tant que l’acte ou l’omission « est sanctionné par la partie II.1 du Code criminel ou le serait s’il avait été commis au Canada ». Comme nous l’avons déjà signalé plus haut, la partie II.1 du Code criminel est consacré aux infractions liées au terrorisme. Par conséquent, afin de pouvoir intenter des poursuites en application de la LJVAT, le demandeur doit avoir subi des pertes ou des dommages par suite d’un ou de plusieurs des actes ou omissions qui suivent (les numéros renvoient aux articles du Code criminel) :
Étant donné que l’article 4 établit une cause d’action civile, on peut présumer que la preuve serait évaluée selon le critère de la « prépondérance des probabilités » pour déterminer si le défendeur a commis un ou plusieurs des actes ou omissions décrits ci-dessus et si l’acte ou l’omission en question a porté préjudice au demandeur. Ce critère est généralement employé dans les recours civils, alors qu’en droit criminel le critère est plus astreignant et exige que les faits soient prouvés « au-delà de tout doute raisonnable ». L’utilisation du critère moins astreignant aurait pour effet d’élargir la portée de la cause d’action décrite dans la LJVAT, en augmentant la probabilité que l’action sera couronnée de succès.
Le délai pour invoquer une cause d’action semble assez généreux. Le paragraphe 4(1) est de nature rétrospective : il permet aux victimes qui ont subi des pertes ou des dommages par suite d’actes ou d’omissions de nature terroriste commis le 1er janvier 1985 ou après cette date d’intenter une action contre les auteurs de ces actes ou omissions (il est plus courant que les lois s’appliquent uniquement aux actes commis à partir de la date où la loi prend effet). La LJVAT est probablement conçue de manière rétrospective pour permettre aux familles des victimes de l’attentat contre le vol Air India 182, qui a été commis le 23 juin 1985, de profiter de cette nouvelle cause d’action.
En outre, le paragraphe 4(3) de la LJVAT prévoit que la « prescription » relative à l’action intentée en vertu du paragraphe 4(1) ne court pas avant l’entrée en vigueur de l’article ni pendant la période où la personne qui a subi les pertes ou les dommages est incapable d’intenter une action en raison de son état physique, mental ou psychologique ou est incapable d’établir l’identité de l’entité inscrite, de la personne ou de l’État étranger qui lui a porté préjudice. Enfin, le paragraphe 4(1) précise que la cause d’action peut être invoquée devant « tout tribunal compétent », ce qui semble donner à la victime le choix du tribunal, pourvu que le tribunal en question ait compétence en la matière et compétence territoriale, et pourvu qu’il ait le pouvoir de rendre la décision demandée(10).
Alors que la définition de la cause d’action proprement dite, le délai pour intenter une action et la possibilité de choisir le tribunal où intenter l’action ont pour effet d’élargir la portée de la nouvelle cause d’action, d’autres éléments de l’article 4 imposent des restrictions ou des limites à l’emploi de cette cause d’action, en particulier à l’égard des États étrangers. Par exemple, même si l’alinéa 4(1)a) permet aux victimes d’actes terroristes de poursuivre les personnes, les organisations et les entités inscrites qui leur ont causé des pertes ou des dommages en commettant un acte ou une omission sanctionné par la partie II.1 du Code criminel, les États étrangers ne peuvent être poursuivis que s’ils ont fait quelque chose au profit de la personne, de l’organisation ou de l’entité inscrite qui a causé le dommage en question. Il semble donc que la cause d’action ne porte pas sur les situations où un État a été impliqué directement.
L’alinéa 4(1)b) prévoit que si les États étrangers, les personnes, les organisations ou les entités inscrites n’ont pas commis eux-mêmes l’acte qui a causé le dommage, mais qu'ils ont simplement fait quelque chose au profit de l’entité inscrite qui a commis l’acte, ils seront reconnus coupables uniquement s’ils ont commis un ou plusieurs des actes suivants (les numéros renvoient aux articles du Code criminel):
En outre, le paragraphe 4(2) de la LJVAT dispose que les tribunaux n’ont compétence pour entendre et résoudre une action intentée en vertu du paragraphe 4(1) que si l’affaire « a un lien réel et substantiel avec le Canada » (c.-à-d. la victime est canadienne, le demandeur est canadien, les dommages ont été subis au Canada ou à bord d’un navire ou d’un aéronef au Canada, et ainsi de suite)(11). De plus, le paragraphe 4(4) de la LJVAT précise que le tribunal peut refuser d’entendre une demande déposée en application du paragraphe 4(1) si la plainte a été déposée contre un État étranger, le demandeur a subi les pertes ou les dommages dans l’État étranger et il n’a pas accordé à cet État « la possibilité raisonnable de soumettre le différend à l’arbitrage conformément aux règles d’arbitrage internationales reconnues »(12).
Pour conclure cette section, il convient de signaler que même si le paragraphe 4(5) de la LJVAT dispose que tout tribunal compétent doit reconnaître le jugement d’un tribunal étranger rendu en faveur d’un demandeur ayant subi des pertes ou des dommages visé au paragraphe 4(1), le tribunal ne reconnaîtra le jugement étranger que s’il satisfait aux critères applicables en droit canadien en matière de reconnaissance de jugements étrangers (13). Dans le cas d’une action intentée par un demandeur contre un État étranger, la reconnaissance d’un jugement étranger contre l’État en question est encore plus limitée. Ainsi, le paragraphe 4(5) précise que, pour qu’un jugement étranger rendu contre un État étranger soit reconnu au Canada, l’État étranger doit être inscrit sur la liste établie par le Cabinet en application du paragraphe 6.1(2) de la Loi sur l’immunité des États. (Ce paragraphe est ajouté par l’article 7 de la LJVAT; voir plus bas.)
Bien que la LJVAT ne dispose pas explicitement que seuls les États étrangers inscrits sur la liste établie par le Cabinet en application du nouveau paragraphe 6.1(2) de la Loi sur l’immunité des États peuvent être poursuivis au moyen de la cause d’action décrite au paragraphe 4(1) de la LJVAT, dans la pratique une telle limitation découle des modifications apportées à la Loi sur l’immunité des États, et ce parce que ces modifications établissent une exception à l’immunité des États uniquement pour les États inscrits qui soutiennent le terrorisme. Des précisions sur le processus d’inscription sont fournies ci-dessous.
Les articles 5 à 11 du projet de loi C-35 modifient la Loi sur l’immunité des États (LIE) afin d’établir une autre exception à la règle générale (énoncée au paragraphe 3(1) de la LIE) qui protège les États étrangers contre les poursuites devant les tribunaux au Canada (14). Ces modifications sont nécessaires pour donner un sens au droit de recours décrit au paragraphe 4(1) de la LJVAT. L’article 5 est une modification administrative qui ajoute un intertitre, « Définitions et interprétation », avant l’article 2 de la Loi sur l’immunité des États.
L’article 6 du projet de loi C-35 ajoute un nouvel article 2.1 à la Loi sur l’immunité des États. Selon ce nouvel article 2.1, on entend par État étranger qui soutient le terrorisme tout État étranger qui commet un acte décrit à l’alinéa 4(1)(b) de la LJVAT. Autrement dit, les États étrangers ne sont considérés comme des soutiens du terrorisme et ne peuvent être poursuivis pour ce motif que s’ils agissent de manière à soutenir les activités des entités inscrites décrites aux articles 83.02 à 83.04 ou 83.18 à 83.23 du Code criminel.
L’article 7 du projet de loi C-35 ajoute un nouvel article 6.1 à la Loi sur l’immunité des États. Selon ce nouvel article 6.1, un État étranger ne peut être poursuivi en application du paragraphe 4(1) de la LJVAT que si l’acte commis par l’État pour soutenir le terrorisme a été commis le ou après le 1er janvier 1985 (nouveau par. 6.1(1) de la Loi sur l’immunité des États). Cette date, qui correspond à celle qui se trouve au paragraphe 4(1) de la LJVAT, a probablement été choisie pour permettre aux familles des victimes de l’attentat contre Air India de poursuivre des États étrangers (pourvu que les familles des victimes puissent démontrer que l'État étranger qu'elles entendent poursuivre a commis, le ou après 1er janvier 1985, un acte visant à soutenir l'entité inscrite à l'origine de l’attentat)(15).
En outre, on ne peut poursuivre un État étranger en application du paragraphe 4(1) de la LJVAT que s'il figure sur la liste dressée par le Cabinet (nouveau par. 6.1(1)). Les nouveaux paragraphes 6.1(2) à 6.1(7) de la Loi sur l’immunité des États établissent la procédure pour inscrire des États étrangers. Le processus ressemble beaucoup au processus d'inscription des entités terroristes décrit aux articles 83.05 à 83.07 du Code criminel. Le ministre des Affaires étrangères recommande l’inscription, après consultation du ministre de la Sécurité publique, et le Cabinet décide de procéder ou non à l’inscription. L’inscription d’un État étranger doit se fonder sur l'existence de motifs raisonnables de croire que cet État soutient ou a soutenu le terrorisme, au sens du nouvel article 2.1 de la Loi (nouveau par. 6.1(2)).
Le ministre des Affaires étrangères, en consultation avec le ministre de la Sécurité publique, doit examiner la liste des États étrangers tous les deux ans, afin de déterminer si les motifs justifiant l’inscription de l’État existent toujours, et il recommande ensuite au Cabinet de radier ou non l’entité de la liste (nouveau par. 6.1(6)). Il termine son examen dans les meilleurs délais mais au plus tard 120 jours après l’avoir commencé. Ensuite, il fait publier sans délai un avis dans la Gazette du Canada pour annoncer l'achèvement de l'examen (nouveau par. 6.1(7)).
Les États étrangers n'ont pas voix au chapitre en ce qui concerne leur éventuelle inscription à la liste; toutefois, après son inscription, un État peut demander par écrit au ministre des Affaires étrangères d’être radié de la liste. Dans ce cas, le ministre des Affaires étrangères, après consultation du ministre de la Sécurité publique, décide s’il existe des motifs raisonnables de recommander au gouverneur en conseil de radier cet État de la liste (nouveau par. 6.1(3)). Une fois que le ministre des Affaires étrangères a pris une décision concernant la demande de radiation de l’État étranger, il doit en informer ce dernier sans délai (nouveau par. 6.1(4)). L’État étranger ne peut présenter une nouvelle demande de radiation de la liste que si sa situation a évolué d’une manière importante depuis la présentation de sa dernière demande ou que si le ministre a terminé son plus récent examen biennal de la décision recommandant l’inscription (nouveau par. 6.1(5)).
La différence la plus importante entre le processus d’inscription des États étrangers décrit dans les nouveaux paragraphes 6.1(2) à 6.1(7) de la Loi sur l’immunité des États et le processus d’inscription des entités terroristes décrit dans les articles 83.05 à 83.07 du Code criminel est que les paragraphes 6.1(2) à 6.1(7) de la Loi sur l’immunité des États ne donnent pas explicitement aux États le droit de demander une révision judiciaire de la décision du ministre de recommander l’inscription de l’État en question ou de sa décision de recommander le maintien de cet État sur la liste établie par le Cabinet. Or, le paragraphe 83.05(5) du Code criminel accorde explicitement ce droit aux entités terroristes.
L’article 8 du projet de loi C-35 abroge le paragraphe 11(3) existant de la Loi sur l’immunité des États et le remplace par un nouveau paragraphe 11(3). Le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immunité des États limite le type de réparation (c.-à-d. ce que le demandeur peut réclamer au moyen de sa poursuite) pouvant être accordée à la suite d'une action intentée contre un État étranger. Le paragraphe 11(3) existant rend le paragraphe 11(1) inapplicable aux organismes d’un État étranger, ce qui signifie que les demandeurs ont accès à toutes les réparations ordinaires quand ils poursuivent les organismes, mais qu'ils n'y ont pas accès s'ils poursuivent l’État proprement dit. Par contre, le nouveau paragraphe 11(3) permet aux demandeurs de réclamer toutes les formes de réparation disponibles, qu'il s'agisse d'une action intentée contre les organismes d’un État étranger ou contre l’État étranger proprement dit.
Les articles 9 et 10 du projet de loi C-35 modifient la Loi sur l’immunité des États afin de rendre saisissables les biens appartenant à un État étranger situés au Canada et de permettre la saisie, la rétention, la mise sous séquestre ou la confiscation de ces biens, dans certaines circonstances. L’article 9 modifie l’alinéa 12(1)b) existant de la Loi sur l’immunité des États afin de rendre saisissables les biens appartenant à un État étranger et situés au Canada et d'en permettre la saisie, la rétention, la mise sous séquestre ou la confiscation lorsque l’État en question est inscrit sur la liste établie par le Cabinet en vertu du nouveau paragraphe 6.1(2) de la Loi, et que les biens en question « sont utilisés ou destinés à être utilisés […] au soutien du terrorisme ». Il ajoute également un nouvel alinéa 12(1)d) à la Loi sur l’immunité des États. Cette disposition rend saisissables les biens d’un État étranger situés au Canada et permet la saisie, la rétention, la mise sous séquestre ou la confiscation de ces biens si l’État étranger est inscrit sur la liste établie en vertu du nouveau paragraphe 6.1(2) de la Loi sur l’immunité des États et que la saisie ou l’exécution a trait à un jugement rendu dans le cadre d’une action intentée contre l’État pour avoir soutenu le terrorisme. Cela dit, si les biens de cet État au Canada ont une valeur culturelle ou historique, ils sont insaisissables dans le cadre d'un tel jugement.
L’article 10 du projet de loi ajoute un nouvel article 12.1 à la Loi sur l’immunité des États. Le paragraphe 12.1(1) prévoit que, lorsqu’un jugement est rendu contre un État étranger inscrit pour avoir soutenu le terrorisme, le ministre des Finances et le ministre des Affaires étrangères peuvent, dans le cadre de leur mandat, aider le créancier bénéficiaire du jugement à identifier et à localiser les biens de l’État étranger au Canada. Le ministre des Finances peut aider à identifier et à localiser les actifs financiers de l’État étranger ressortissant à la compétence du Canada (nouvel al. 12.1(1)a)) et le ministre des Affaires étrangères peut aider à localiser les biens de l’État étranger situés au Canada (nouvel al. 12.1(1)b)).
Il importe cependant de souligner que cette disposition est une permission plutôt qu’une obligation. Ainsi, les ministres peuvent, « dans la mesure du possible », aider à identifier et à localiser les biens de l’État étranger inscrit, sauf si, « de l’avis du ministre des Affaires étrangères, cela est préjudiciable aux intérêts du Canada sur le plan des relations internationales ou, de l’avis de l’un ou l’autre des ministres, cela est préjudiciable aux autres intérêts du Canada » (nouveau par. 12.1(1)). De plus, si les renseignements concernant l’identité et l’emplacement de ces biens ont été produits par ou pour une institution fédérale, les ministres doivent obtenir l’autorisation de celle-ci avant de les communiquer aux créanciers bénéficiaires; si ces renseignements n'ont pas été ainsi produits, les ministres doivent obtenir l'autorisation de la première institution fédérale à les avoir reçus (nouveau par. 12.1(2)). Le terme « institution fédérale » est défini dans le nouveau paragraphe 12.1(3) de la Loi sur l’immunité des États et désigne les « ministères, directions, bureaux, conseils, commissions, offices, services, personnes morales ou autres organismes dont un ministre est responsable devant le Parlement ».
En plus des autres modifications de la Loi sur l’immunité des États proposées dans le projet de loi C-35, l’article 11 modifie le paragraphe 13(2) de cette loi de manière à permettre aux tribunaux canadiens d’imposer des pénalités ou amendes à un État étranger en raison de son abstention ou de son refus de produire des documents ou de fournir des renseignements au cours d’une action intentée pour soutien du terrorisme. Ces documents et ces renseignements aideraient les tribunaux canadiens à rendre des jugements dans les actions intentées contre les États étrangers en vertu du paragraphe 4(1) de la LJVAT.
Les victimes d’attaques terroristes demandent des mesures législatives semblables au projet de loi C-35 depuis plusieurs années. La Canadian Coalition Against Terror (C-CAT), organisation réunissant des victimes et d’autres parties qui s’intéressent à la lutte contre le terrorisme, a joué un rôle particulièrement influent dans le dépôt de projets de loi semblables au cours des quatre dernières années(16). Les premiers projets de lois ont été déposés en 2005 par le sénateur David Tkachuk au Sénat, et par le député Stockwell Day, alors dans l’opposition, à la Chambre des communes.
La C-CAT soutient qu’une telle loi est nécessaire pour lutter efficacement contre le financement du terrorisme, étant donné que les dispositions pénales contre le financement du terrorisme n’ont permis d'obtenir aucune condamnation(17). Elle considère aussi que les procédures judiciaires publiques serviraient d'important moyen de dissuasion (18). Par ailleurs, certains soutiennent que la possibilité d’intenter des actions en justice aiderait les victimes en leur permettant d’obtenir une indemnisation, et que même si les victimes ne réussissaient pas à recouvrer les montants accordés par les tribunaux, ils auraient au moins reçu une reconnaissance officielle de ce qu’ils ont vécu et enduré (19).
Un éclaircissement s’impose d’entrée de jeu, car certains articles de presse sur le nouveau projet de loi ont affirmé qu’il n’est pas possible actuellement de poursuivre une personne ou une organisation non étatique, faute de dispositions comme celles proposées dans ce projet de loi(20). Or, dans les faits, comme l’a fait remarquer Edward Belobaba, l’avocat qui a aidé le sénateur Tkachuk à rédiger un projet de loi d’initiative parlementaire sur cette question, les victimes peuvent déjà, en théorie, demander des dommages-intérêts aux acteurs non étatiques qui soutiennent des activités ou des organisations terroristes. L’avantage du projet de loi proposé, d’après Edward Belobaba, est qu’il rend la loi plus claire et plus facile à comprendre, en établissant une cause d’action particulière, alors qu'actuellement les actions à la disposition des victimes varient selon le droit général de la responsabilité civile ou de la responsabilité délictuelle des différentes provinces(21).
Bien que rares, quelques poursuites de ce genre ont été intentées par le passé. Une action intentée contre le gouvernement fédéral par les familles des victimes de l’attentat d’Air India a été réglée à l'amiable(22). Mais cette action, semble-t-il, ne visait pas les auteurs de l’attentat ou les organisations qui les soutenaient. En juillet 2008, la Lebanese Canadian Bank a été poursuivie par quatre citoyens possédant la double nationalité canadienne et israélienne qui se trouvaient en Israël durant les hostilités de 2006 entre Israël et le Hezbollah. Ils ont soutenu que la banque avait fourni des services bancaires et du financement au Hezbollah. Cette affaire serait encore en instance(23).
Au Canada jusqu'ici, selon les sources consultées, aucune action civile reliée au terrorisme ne serait soldée par un jugement final. Dans d'autres pays dotés d'un système de droit fondé sur la common law, les victimes d’actes terroristes ont eu gain de cause dans des affaires de ce genre en misant sur les dispositions portant sur des délits comme les coups et les blessures intentionnelles. Pour un exemple récent, voir Breslin and others v. Seamus McKenna and others, [2009] NIQB 50, où le juge Morgan, de la Haute Cour de l’Irlande du Nord, a déclaré plusieurs défendeurs individuels, ainsi que la Real IRA (une organisation paramilitaire qui s’est séparée de l’Armée républicaine irlandaise provisoire en 1997), responsables des pertes et des dommages subis par les victimes des attaques d’Omagh en 1998 et par les familles des victimes. Ce jugement a accordé plus de 1,6 million de livres à 12 personnes.
Plusieurs réserves au sujet de la LJVAT ont été exprimées par des députés, des avocats et des membres de la société civile; elles seront examinées en détail ci-dessous.
En règle générale, on considère que les poursuites au civil intentées pour permettre aux victimes d’obtenir réparation des dommages ou des pertes subis par suite de la conduite délictueuse d’autrui relèvent de la compétence provinciale, car le paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867(24) donne aux législatures provinciales le pouvoir de légiférer en ce qui concerne « la propriété et les droits civils dans la province ». Comme l’a souligné le juriste canadien Peter Hogg :
Le Parlement fédéral n’a pas de pouvoir indépendant de créer des recours civils comme il en a le pouvoir en droit criminel. Donc, une loi fédérale visant essentiellement à créer une nouvelle cause d’action civile serait invalide, car elle empiéterait sur le pouvoir provincial dans les affaires concernant « la propriété et les droits civils dans la province » (par. 92(13))(25).
Il n'en reste pas moins qu'on a fait valoir avec succès par le passé que le Parlement peut prendre des dispositions relatives aux recours civils si elles sont établies dans le contexte d’un cadre réglementaire ou administratif plus large qui relève de la compétence du Parlement en vertu de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867.
L’affaire citée à l’appui de cet argument est General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641. Cette affaire portait sur l’établissement par le Parlement d’un droit d’action privé dans le cadre de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions (cette loi a depuis été abrogée et remplacée) afin de permettre le recouvrement des pertes découlant des activités qui contrevenaient à cette loi. Le tribunal a tranché que la législation visée dans cette affaire, ainsi que ses composantes administratives, réglementaires et de droit criminel, relevait du pouvoir législatif du Parlement sur la réglementation du trafic et du commerce, accordé par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867. L’établissement de ce recours civil faisait partie d'un programme réglementaire et administratif plus large visant les pratiques commerciales anticoncurrentielles(26).
Une disposition semblable se trouve maintenant dans l’article 36 de la Loi sur la concurrence(27). Le mécanisme réglementaire et administratif établi dans cette loi vise aussi des infractions criminelles et traite des fonctions à exercer par un bureau, un commissaire et un tribunal. Si le problème devait se poser sous le régime de l’actuelle Loi sur la concurrence, la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing s’appliquerait probablement encore.
Selon le raisonnement de la Cour suprême du Canada dans la cause General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, on pourrait peut-être considérer que l'établissement du droit de recours civil par la LJVAT s'inscrivait dans le contexte législatif plus large des modifications apportées à la Loi sur l’immunité des États, modifications qui constituent la deuxième partie du projet de loi C-35 et qui semblent relever de la compétence du Parlement en vertu de son pouvoir de légiférer sur les affaires étrangères et le commerce international(28). Cet argument aurait cependant plus de poids si la LJVAT créait un droit d’action uniquement contre des États étrangers, plutôt que contre des États étrangers, des personnes, des organisations et des entités inscrites. En effet, comme nous l'avons vu plus haut, les victimes peuvent déjà intenter – en recourant aux principes ordinaires du droit provincial de la responsabilité délictuelle ou civile – des actions contre les personnes, les organisations et les entités inscrites ayant commis des actes délictueux qui leur ont causé un préjudice.
Ou encore, on pourrait considérer que la LJVAT est reliée du point de vue fonctionnel au pouvoir du Parlement de légiférer en matière de droit criminel (par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867), étant donné que les recours civils en question n’existent que si les demandeurs peuvent démontrer qu’ils ont subi des pertes ou des dommages par suite de « tout acte ou omission qui est sanctionné par la partie II.1 du Code criminel ou le serait s’il avait été commis au Canada » (art. 4 de la LJVAT). Il n'est pas clair toutefois si les tribunaux confirmeraient la loi sur cette base, étant donné qu’obtenir une condamnation criminelle en vertu de la partie II.1 du Code criminel ne semble pas constituer une condition préalable à remplir avant d’intenter une action civile en vertu de la LJVAT(29). D'ailleurs, de nombreuses causes civiles concernent des infractions sanctionnées par le Code criminel, comme les voies de fait, mais cela ne suffit pas pour les faire passer sous la compétence fédérale et elles sont régies par les lois provinciales.
Il se peut aussi que le souci de « l'intérêt national », qui est incorporé au pouvoir du gouvernement fédéral de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement, puisse autoriser le Parlement à adopter la LJVAT(30). En effet, le préambule de la LJVAT affirme que « le terrorisme est une question d’intérêt national », ce qui pourrait indiquer que le projet de loi s'appuie sur cette justification.
Le fait que le projet de loi traite des infractions relatives au terrorisme mais qu'il passe sous silence la torture est l’une des reproches les plus fréquentes faites à son égard. Des avocats et des observateurs comme le Centre canadien pour la justice internationale (CCJI), estiment qu’il n’y a pas de justification ni de fondement logique pour permettre les poursuites dans un cas mais pas dans l’autre(31). Le CCJI et Amnesty International préconisent l'inclusion de la torture, du génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dans le projet de C-35, en plus du terrorisme(32).
À l’appui de la thèse selon laquelle il faudrait inclure un droit d’intenter des actions pour la torture, l’avocat Prasanna Ranganathan, dans un article paru en 2008 dans une revue spécialisée, renvoie aux recommandations du Comité des Nations Unies contre la torture. En 2005, le Comité avait contesté l’interprétation faite par le Canada de l’article 14 de la Convention contre la torture (33). Dans l’affaire Bouzari, entendue en 2004, la Cour d’appel de l’Ontario avait conclu que l’article 14 ne s’appliquait qu’à la torture infligée au Canada, tandis que le Comité recommandait que les poursuites civiles soient permises quel que soit le lieu où la torture s’est produite(34). Le Comité a aussi conclu que le droit international n’empêchait pas d’établir une exception à l’immunité des États pour des actes de torture, une interprétation contestée par le Canada(35).
Les lois américaines lèvent l’immunité pour un acte de torture, l’exécution sommaire, le sabotage d’un avion, la prise d’otages ou un soutien matériel ou des ressources; ainsi, le terrorisme et la torture sont tous les deux visés(36). Certains pays européens lèvent aussi l’immunité pour la torture, notamment l’Italie, qui a autorisé des poursuites contre l’Allemagne pour ses actes commis durant la Deuxième Guerre mondiale(37). Des projets de loi d'initiative parlementaire portant sur la torture, mais non sur le terrorisme, sont actuellement devant la Chambre des lords et la Chambre des communes au Royaume-Uni(38).
Toutefois, en décembre 2008, en réaction à la levée de l’immunité par l’Italie, l’Allemagne a introduit devant la Cour internationale de justice une instance contre l’Italie pour non-respect de son immunité(39). Au Canada, la C-CAT aurait déclaré que la torture soulève des problèmes différents et qu'elle s'insérerait mal dans le projet de loi C-35(40).
Divers problèmes diplomatiques pourraient découler du projet de loi C-35, d’après les observateurs. Un article de presse a qualifié le projet de loi de « champ de mines diplomatique »(41). Inscrire les pays sur une liste pourrait compliquer les relations étrangères du Canada. De même, la diplomatie canadienne pourrait souffrir si les ministres des Finances et des Affaires étrangères jouent un rôle dans l'exécution des jugements en facilitant des mesures comme l’identification et la localisation de biens à saisir. Par exemple, l’Afghanistan et le Pakistan sont largement considérés comme des « incubateurs » du terrorisme mais les inscrire sur une liste pourrait mener à des complications diplomatiques, car le gouvernement canadien cherche à appuyer les gouvernements de ces pays(42). D’autres observateurs se demandent si les tribunaux sont en mesure de tenir compte des facteurs liés à la politique étrangère et aux relations internationales, éléments qui entreront inévitablement en jeu dans ces cas(43).
Toutefois, d’autres, comme l’avocat Prasanna Ranganathan, soutiennent que la participation des tribunaux est exactement ce qu’il faut pour éviter les influences politiques. Les politiciens pourront se distancer des décisions particulières et expliquer la responsabilité des tribunaux, qu'ils ne peuvent pas influencer, à leurs homologues d’autres pays(44).
Des préoccupations ont aussi été exprimées au sujet des représailles. La situation évoquée ci-dessus qui oppose l’Italie et l’Allemagne est un exemple de la réaction que la création d’une nouvelle exception à l’immunité des États pourrait provoquer(45).
Aaron Blumenfeld, un avocat de Toronto qui travaille avec la C-CAT, reconnaît que ce genre de procès serait très complexe. Des renseignements classifiés pourraient être en cause, et il faudrait prouver l’existence de liens entre les entités terroristes et les États en question, ce qui pourrait être difficile(46). Il serait aussi difficile de prouver la causalité, car, par exemple, les gouvernements peuvent financer une organisation dont les activités sont nombreuses et vont des soins de santé au terrorisme. Il peut être long et difficile, voire impossible, de retracer l’usage de certains fonds en particulier.
Les projets de loi précédents ne prévoyaient pas l'établissement, par le gouvernement, d'une liste de pays dont l’immunité d’État pourrait être levée, et la C-CAT préférerait qu'une telle liste ne soit pas dressée(47). Le projet de loi C-408, qui a été déposé par l’honorable Irwin Cotler deux jours après le projet de loi C-35, propose d’éliminer la liste et de permettre plutôt d’intenter une action contre les pays avec lesquels le Canada n’a pas de traité d’extradition. D’après les défenseurs de cette proposition, dont le député Cotler et le professeur de droit François Larocque de l’Université d’Ottawa, cela permettrait d'empêcher les poursuites sans fondement tout en rendant le processus moins politisé que si l’on ne pouvait poursuivre que les pays inscrits sur une liste(48). On présume dans ce scénario que les pays avec lesquels le Canada a des traités d’extradition respectent la primauté du droit et sont démocratiques et que, par conséquent, les demandes pourraient être présentées directement dans ces pays, plutôt que devant les tribunaux canadiens(49).
Mark Arnold, l’avocat qui a représenté Houshang Bouzari lorsque ce dernier a tenté de poursuivre le gouvernement iranien devant un tribunal canadien pour des actes de torture subis en Iran, fait observer que c’est l’activité à laquelle participe un État qui devrait importer et non dans quel État l’activité a lieu. Il trouve que les listes sont trop politiques. Ed Morgan, professeur de droit à l’Université de Toronto, soutient cependant qu’une liste est un bon compromis, étant donné les conséquences négatives que pourraient avoir les poursuites sur les relations étrangères. Les listes permettent au gouvernement de conserver dans une certaine mesure sa capacité de diriger les relations du Canada avec les autres pays(50).
Aux États-Unis, une loi semblable est en place depuis plus d’une décennie. Seuls les pays inscrits sur la liste peuvent être poursuivis. Figurent actuellement sur la liste Cuba, l’Iran, la Syrie, le Soudan et la Corée du Nord. L’Iraq et la Libye étaient inscrits sur la liste au départ, mais ils ont été radiés depuis.
Un problème courant relevé par le Congressional Research Service (CRS) est le refus des défendeurs de reconnaître la compétence des tribunaux américains. Les défendeurs ne comparaissent donc pas et des jugements par défaut sont rendus. Les pays débiteurs refusent ensuite de reconnaître ces jugements et de payer les dommages-intérêts(51).
Le recouvrement des dommages-intérêts pose un grand problème, étant donné que peu d'actifs des pays inscrits sont détenus aux États-Unis et que le pouvoir exécutif s'oppose à l’utilisation à cette fin d’actifs bloqués. Ainsi, quand le Congrès a tenté de créer des mécanismes de recouvrement, l’exécutif a résisté à ces efforts, par crainte de provoquer des mesures de représailles, de perdre toute l'influence sur les pays en cause, et de commettre des violations éventuelles du droit international en matière d’immunité des États. Par exemple, l’accord d’Alger de 1981, qui a permis la libération des employés de l’ambassade des États-Unis détenus en otages en Iran, interdisait aux otages d’intenter des poursuites civiles. Le Congrès a proposé divers projets de loi visant à donner un droit de recours à ces otages, mais l’exécutif s'y est opposé à cause des conséquences internationales que risquerait de provoquer le non-respect des dispositions de cet accord(52).
L’évolution de la situation en Iraq a aussi compliqué la tâche de l’administration Bush. Sous Saddam Hussein, l’Iraq était un pays inscrit qui pouvait être poursuivi. Certaines de ces poursuites ont donné gain de cause aux demandeurs, et ceux-ci ont tenté d’obtenir un dédommagement en saisissant des biens iraquiens. Mais selon le CRS, après l’invasion de l’Iraq, le gouvernement américain n’avait plus intérêt à faciliter la saisie ces biens, puisqu’il voulait plutôt que ces derniers profitent aux Iraquiens et qu'ils servent à reconstruire le pays. L’Iraq a donc été radié avec effet rétroactif, et de nombreux défendeurs n’ont pas pu recouvrer les sommes qui leur avaient été accordées dans les jugements(53).
Étant donné qu'il y a au Canada peu d'actifs saisissables de pays étrangers, il faudrait que les victimes cherchant à se faire dédommager se disputent les rares biens saisissables. De plus, les inquiétudes des Américains décrites plus haut au sujet des représailles semblent avoir été fondées, car Cuba et l’Iran ont pris des mesures semblables en réaction aux mesures étatsuniennes.
L’expérience américaine illustre les nombreuses difficultés à surmonter pour qu’un mécanisme législatif réussisse à répondre aux besoins des victimes et soit dissuasif. Certains se demandent si le risque d’une poursuite a vraiment une incidence sur le comportement des terroristes qui sont prêts à tuer pour atteindre leurs objectifs(54). Le refus des défendeurs de participer au processus constitue également un obstacle important. Enfin, comme les biens saisissables sont probablement plus limités au Canada qu’aux États-Unis, le recouvrement serait encore plus difficile au Canada(55).
Certains observateurs, comme la C-CAT, pensent qu’une telle mesure serait efficace. Ils évoquent le cas de la Libye qui, visée par des poursuites pour soutien du terrorisme, a conclu une entente pour indemniser les victimes et a cessé de fournir un tel soutien. Les poursuites, conjuguées aux promesses de lever les sanctions économiques, ont eu une incidence positive dans ce cas(56).
L’exemple de la Libye montre ce que peuvent faire ces lois lorsqu'il y a concordance entre les objectifs des victimes et ceux des relations étrangères. En revanche, les cas de l’Iraq et de l’Iran cités plus haut montrent les difficultés qui peuvent surgir lorsque ces objectifs divergent.
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
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