Le projet de loi C-44 : Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, a fait l’objet d’une première lecture à la Chambre des communes le 13 décembre 2006. Il abroge l’article 67 de la loi fédérale sur les droits de la personne, article qui limite l’accès aux mécanismes de recours de celle-ci, puisqu’il dispose que « [l]a présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi »(1).
Le 21 février 2007, après la deuxième lecture, la Chambre des communes a renvoyé le projet de loi à son Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, qui s’est réuni 16 fois pour l’étudier de mars à juin 2007. Les témoins entendus par le Comité ont presque unanimement appuyé l’abrogation de l’article 67, mais presque tous les témoins autres que ceux du gouvernement – y compris les organisations et communautés nationales, régionales et locales des Premières nations, la Commission canadienne des droits de la personne, les associations des barreaux des provinces et d’autres spécialistes du domaine juridique – ont aussi exprimé diverses réserves concernant un ou plusieurs aspects du processus d’application et du fond du projet de loi. L’opposition à la mesure visait essentiellement ce qu’on considérait comme des lacunes du processus de consultation qui a précédé l’élaboration du projet de loi. Entre outre, l’absence de disposition interprétative permettant de mettre les droits individuels et les droits collectifs en équilibre, la période de transition abrégée précédant la mise en œuvre du projet de loi et l’incertitude quant aux ressources qui seraient affectées à cette mise en œuvre ont aussi été signalées comme sources de préoccupations.
Le 19 juin 2007, le Comité a adopté une motion de l’opposition recommandant de suspendre jusqu’à dix mois le débat sur l’abrogation de l’article 67, pour que le gouvernement puisse tenir une vaste consultation à ce sujet, et de reprendre ensuite le débat, mais en permettant aux représentants des Premières nations de témoigner au sujet du résultat des consultations. Le Comité a présenté son rapport à la Chambre le 20 juin 2007. Le 26 juillet, la majorité des députés présents à la réunion extraordinaire convoquée au milieu de l’été pour faire l’étude article par article du projet de loi a voté pour que le Comité suspende cette étude jusqu’à ce que le gouvernement ait tenu les consultations demandées dans la motion du 19 juin.
La Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), adoptée en 1977, interdit les pratiques discriminatoires fondées sur une liste exhaustive de motifs(3) dans les domaines de l’emploi, de l’hébergement et de la fourniture de biens, services ou installations normalement accessibles au public. La LCDP s’applique aux lois fédérales, aux ministères, organismes et sociétés d’État du gouvernement fédéral et aux entreprises et secteurs sous réglementation fédérale, par exemple les banques et les sociétés de communications.
Le système de protection des droits de la personne s’appuie sur le dépôt de plaintes. Les fonctions de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), qui est chargée de l’application de la LCDP, sont d’évaluer les plaintes pour déterminer si elles relèvent de sa compétence, de faire enquête et de régler les plaintes valables, entre autres par la conciliation, ou de les adresser, lorsqu’il y a lieu, à un tribunal doté de larges pouvoirs d’accorder réparation afin qu’il tranche. La Commission est aussi habilitée à produire des directives exécutoires sur la façon dont les dispositions de la LCDP doivent être appliquées dans certaines catégories de cas.
Par ailleurs, la Commission énonce certaines exceptions au principe général de non-discrimination, afin d’équilibrer le droit individuel de ne pas être l’objet de discrimination et d’autres droits importants sur le plan social. Dans le cas d’exigences professionnelles justifiées ou de motifs justifiables, une politique ou pratique d’emploi, d’hébergement ou de service n’est pas discriminatoire, s’il est prouvé qu’elle est nécessaire dans les circonstances.
L’article 67 de la LCDP (à l’origine, le par. 63(2)) se lit comme suit :
La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.
Unique exception de cette nature dans la LCDP, l’article 67 concerne principalement les Premières nations assujetties à la Loi sur les Indiens (LI) et il protège explicitement le gouvernement fédéral et les gouvernements des collectivités des Premières nations contre les plaintes pour discrimination au motif d’actes découlant de la LI ou posés en vertu de celle-ci. Selon Ron Basford, alors ministre de la Justice, cette disposition était nécessaire en 1977, compte tenu de l’engagement du gouvernement à ne pas réviser la LIen attendant l’issue de consultations en cours avec la Fraternité nationale des Indiens(4) et d’autres organisations au sujet de la réforme générale de la LI(5).
Comme on pouvait s’y attendre, cette disposition a suscité la controverse dès le dépôt de la LCDP. On a estimé qu’elle était particulièrement préjudiciable aux femmes des Premières nations privées de « statut » aux termes de dispositions de la LIqui étaient alors en vigueur et largement considérées comme discriminatoires(6). Les témoins qui se sont adressés au Comité permanent de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes de l’époque pendant l’examen parlementaire de la nouvelle loi (projet de loi C-25) ont déclaré que cette exception était « injuste », « répréhensible », « un affront » et « la pire indifférence à l’égard des droits de la personne »(7). L’Association du Barreau canadien a proposé que l’exception soit limitée aux dispositions prises en vertu de la LI qui constituent une préférence ou un avantage en faveur de la population indienne, mais ne constituent une note discriminatoire à aucun autre égard(8), tandis que d’autres témoins recommandaient son élimination du projet de loi. Une proposition d’amendement en ce sens a été rejetée par le Comité(9).
Le Ministre considérait l’article 67 comme une nécessité provisoire, laissant entendre que le Parlement ne serait pas très favorable à l’idée de maintenir cette exception indéfiniment ou très longtemps(10), mais « l’exception de la Loi sur les Indiens » est restée en vigueur malgré les très attendues modifications de 1985 à la LI qui, dans le projet de loi C-31, ont permis de supprimer les dispositions les plus manifestement discriminatoires de cette loi, et elle le demeure jusqu’à ce jour. On estime généralement que cette limitation continue de toucher avant tout les femmes des Premières nations. En particulier, les « Indiens » qui ont récupéré leur statut grâce au projet de loi C-31 dénoncent une discrimination résiduelle dans le cadre de la LI modifiée, relativement à la transmission du statut, à l’affiliation aux collectivités des Premières nations et à des questions connexes(11).
L’exception prévue à l’article 67 n’empêche pas entièrement les membres des Premières nations de se prévaloir du régime de la LCDP. Comme l’a expliqué le ministre Basford en 1977, les Indiens jouiraient de la protection générale assurée par la LCDP au même titre que tous les autres Canadiens, sauf dans les situations spéciales relativement auxquelles leurs droits et leur statut sont régis par la Loi sur les Indiens(12).
L’exception n’est pas non plus applicable aux collectivités des Premières nations qui ont conclu des accords d’autonomie gouvernementale ou adopté des textes législatifs et ne relèvent plus de la LI(13). Par conséquent, les conseils des Premières nations qui exercent les pouvoirs limités prévus par la LI sont exemptés de l’examen de la situation des droits de la personne par l’article 67, alors que les gouvernements Premières nations qui jouissent de pouvoirs plus larges hors du cadre de la LI n’en sont pas exemptés. La plupart des accords en question ne font aucune mention de la LCDP, mais l’Accord sur l’autonomie gouvernementale de la Première nation de Westbank, accord distinct non issu d’un traité, y renvoie en prévoyant explicitement l’application de la LCDP à Westbank et comporte une disposition d’interprétation à cet égard(14).
L’article 67 n’a pas d’effet sur les procédures judiciaires relatives aux droits à l’égalité garantis par la Charte lorsqu’un traitement discriminatoire sous le régime de la LI est allégué. Les Premières nations et les autres peuvent se prévaloir de la Charte pour soulever des questions qui, si ce n’était de l’exception, pourraient faire l’objet de plaintes en vertu de la LCDP(15). Dans la pratique, cette solution est considérée comme onéreuse par les intéressés en raison de la complexité, du coût et de la durée de la procédure judiciaire.
Selon un principe d’interprétation législative largement reconnu, les exceptions aux lois quasi constitutionnelles sur les droits de la personne doivent être interprétées étroitement(16). Par conséquent, l’application de la LCDP par le Tribunal canadien des droits de la personne et par les tribunaux en général dépend de la question de savoir si la LI ou tout règlement ou règlement administratif adopté en vertu de celle-ci donne au conseil de bande ou au ministère des Affaires indiennes le pouvoir explicite de prendre une mesure ou une décision contestée. Si c’est le cas, l’article 67 interdit au Tribunal de procéder à un contrôle, même dans les cas de discrimination les plus manifestes. En revanche, l’exception prévue à l’article 67 ne protège pas les mesures et décisions discriminatoires non autorisées par la LI, ce qui fait que l’article 67 n’a pas empêché les membres de collectivités des Premières nations de recourir aux mécanismes prévus par la LCDP dans un certain nombre de cas où ce pouvoir explicite fait défaut(17). Dans les autres cas, c’est la LI et l’exception de l’article 67 qui l’ont emporté(18).
Les observateurs spécialisés estiment que cette situation a conduit à une application incohérente et arbitraire de la LCDP aux personnes, aux collectivités et aux gouvernements des Premières nations qui sont assujettis à la LI(19).
Les femmes des Premières nations contestent depuis longtemps l’exception prévue à l’article 67 et font pression pour obtenir l’élimination de cette disposition qui limite leur accès au système fédéral de protection des droits de la personne. Les organismes voués à la défense des droits de la personne, dont la CCDP, ont adopté une position semblable. Quant au projet de loi C-44, ce n’est pas le premier projet de loi gouvernemental qui propose l’élimination de la disposition controversée. Depuis des années, d’autres initiatives législatives et déclarations de principe ont porté sur la nécessité de supprimer l’article 67. Voici un bref exposé de certaines de ces mesures.
L’abrogation de l’article 67 faisait partie des nombreuses modifications à la LCDP que proposait le projet de loi C-108, présenté en décembre 1992. Le projet de loi n’est pas allé au-delà de la première lecture et il est mort au Feuilleton au moment de la dissolution de la 34e législature, en juin 1993.
Le Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne, chargé de procéder à un examen approfondi de la LCDP, a reconnu l’importance des ramifications de l’article 67 pour les peuples autochtones(20). Son rapport indique que les différents groupes de la population autochtone consultés ont soulevé, en matière de droits de la personne, toutes sortes de questions relatives à l’accès limité aux programmes et services du gouvernement et des bandes. Certains participants à la procédure d’examen s’opposaient à l’application de la LCDP aux organismes régissant les affaires autochtones, mais « tous les groupes de femmes autochtones ont demandé qu’on abolisse cette exception », c’est-à-dire celle prévue par l’article 67(21).
En fin de compte, le Comité a conclu « qu’une exception générale comme celle qui est stipulée dans l’article 67 n’est pas appropriée »(22), mais il a rappelé l’importance d’une mesure d’interprétation pour « trouver un équilibre entre les intérêts individuels des Autochtones qui revendiquent l’égalité sans discrimination et les intérêts les plus importants des communautés autochtones »(23). Il a recommandé l’abrogation de l’article 67, l’application de la LCDP au gouvernement fédéral et aux gouvernements autochtones en attendant l’élaboration d’un code autochtone des droits de la personne et l’incorporation dans la LCDP d’une disposition facilitant l’interprétation des justifications actuelles(24).
L’objet premier de la controversée Loi sur la gouvernance des premières nations était d’énoncer les exigences relatives aux codes de « gouvernance » des collectivités des Premières nations, mais le projet de loi C-7 prévoyait également l’abrogation de l’article 67 et l’introduction d’une disposition d’interprétation empruntée presque textuellement au rapport publié en 2000 par le Comité de révision de la LCDP(26). On y proposait que, dans toute question pouvant faire l’objet d’une plainte contre une organisation gouvernementale autochtone, les besoins et aspirations (qui n’étaient pas définis) de la collectivité autochtone concernée « qui sont compatibles avec les principes de l’égalité entre les sexes »(27) soient pris en considération pour l’interprétation et l’application des dispositions de la LCDP.
Les témoins qui se sont adressés au Comité permanent des affaires autochtones, du développement du Grand Nord et des ressources naturelles de l’époque ont exprimé leur appui à ces mesures, mais ils estimaient que la disposition d’interprétation proposée n’était pas claire et serait difficile à appliquer. La CCDP a alors proposé des solutions pour parvenir à plus de clarté et rappelé l’importance de consultations efficaces auprès des Premières nations et des autres parties intéressées. Elle a également remis en cause sa propre capacité et celle des collectivités des Premières nations à composer efficacement avec les répercussions de l’abrogation de l’exception prévue à l’article 67, évoquant, entre autres, l’augmentation de la charge de travail et les besoins supplémentaires en formation et en ressources des collectivités touchées. L’Association des femmes autochtones du Canada et la National Aboriginal Women’s Association ont exprimé leur inquiétude à l’égard des conséquences possibles de la disposition d’interprétation pour les droits collectifs traditionnels.
Dans son rapport spécial sur l’abrogation de l’article 67, la CCDP voulait « encourager le redressement d’une lacune inacceptable qui mine depuis longtemps le régime de protection des droits de la personne »(28) pour les Premières nations, estimant, compte tenu des objections et demandes d’abrogation vigoureuses exprimées à l’égard de cette disposition depuis son adoption, que « n’eût été de l’article 67, la Commission aurait été saisie d’un nombre important de plaintes depuis 1977 »(29). Dans ce même rapport, elle rappelle que cette exception contredit les obligations nationales et internationales du Canada en matière de droits de la personne(30); elle examine aussi l’évolution juridique et constitutionnelle du Canada concernant les droits des peuples autochtones depuis 1977 et reconnaît qu’il peut y avoir contradiction entre les droits collectifs des Autochtones et les droits individuels(31).
Faisant écho aux conclusions du Comité de révision de la LCDP, Une question de droits rappelle également que, « au moment de procéder à l’abrogation de l’article 67, il importe de s’assurer que le système de règlement des plaintes relatives aux droits de la personne tiendra dûment compte du caractère particulier de la situation et des droits des Premières nations ». Il réitère également le point de vue du Comité selon lequel il y aurait lieu d’ajouter une disposition d’interprétation à la LCDP pour que « les plaintes de discrimination présentées par des individus [puissent] être examinées à la lumière des droits collectifs légitimes »(32). Compte tenu de l’importance d’une formulation adaptée de cette disposition après consultation des Premières nations, la CCDP a proposé une procédure en deux étapes, et elle recommande que :
Il faut dire que, selon le Rapport spécial de la CCDP, la résolution efficace des plaintes pour discrimination dans le contexte des Premières nations pourrait supposer un ajustement des mécanismes institutionnels actuels, qu’il y aurait lieu de préciser en collaboration après l’abrogation de l’article 67. En outre, « la nécessité de réagir à l’échelle communautaire se fait d’autant plus sentir dans le cas des Premières nations, compte tenu de la diversité qui les caractérise et de leur nature spéciale », c’est-à-dire, puisque la plupart des collectivités en cause sont rurales et éloignées, compte tenu de la diversité des traditions culturelles et linguistiques et des différences de capacité administrative. La CCDP poursuivait en ces termes dans le rapport :
Il sera également essentiel de s’assurer que les Premières nations disposent des ressources humaines et financières nécessaires à l’élaboration et à la mise en œuvre de systèmes viables de protection des droits de la personne […] [E]lle nécessitera des investissements importants au chapitre du renforcement des capacités. Il importe que les Premières nations ne soient pas contraintes de puiser des ressources à même des programmes essentiels, tels les programmes de logement et d’éducation, afin de devoir satisfaire à leurs obligations en matière de droits de la personne.(34)
Elle a aussi fait observer qu’un certain nombre de questions relatives à la LI soulèvent des préoccupations en matière de droits de la personne. Elle a exhorté le gouvernement à entreprendre une révision de la LI en raison de l’incompatibilité de cette dernière avec la LCDP et d’autres instruments de protection des droits de la personne, en s’attachant plus particulièrement aux répercussions du projet de loi C‑31 et aux questions connexes en matière de statut et d’affiliation.
Dans ce document publié en mai 2006, où elle propose un plan pluriannuel visant à faire participer pleinement les collectivités autochtones et les collectivités des Premières nations et de les consulter véritablement au sujet de l’abrogation de l’article 67(35), l’Association des femmes autochtones du Canada appuyait les recommandations de la CCDP concernant l’abrogation immédiate de l’article 67 et l’introduction d’une disposition d’interprétation, mais elle faisait remarquer ce qui suit :
En ajoutant une disposition d’interprétation à la LCDP, on n’assure pas effectivement l’accès véritable de beaucoup de membres des Premières nations aux garanties relatives aux droits de la personne […] notamment celui des membres de collectivités éloignées […] L’accès équitable à la loi sur les droits de la personne suppose beaucoup plus qu’un changement à la « lettre de la loi ». Ne pas fournir aux femmes et aux collectivités des Premières nations les moyens d’accéder au système de justice est tout aussi déplorable et injustifiable, du point de vue des droits de la personne, que les lacunes actuelles de la loi elle-même telle qu’elle s’applique aux femmes des Premières nations.(36)
En décembre 2004, le rapporteur spécial sur la situation des droits de la personne et les libertés fondamentales des peuples autochtones, rendant compte de sa mission au Canada, recommandait que l’article 67 soit abrogé et que la CCDP soit habilitée à recevoir les plaintes des Premières nations concernant la LI(37).
En avril 2006, le Comité des droits de l’homme faisait remarquer que le fait de réaliser un équilibre entre les intérêts collectifs et les intérêts individuels dans les réserves au détriment des seules femmes n’est pas compatible avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il recommandait l’abrogation immédiate de l’article 67 et l’adoption, en consultation avec les peuples autochtones, de mesures mettant fin à la discrimination dans les affaires d’affiliation aux bandes et de biens matrimoniaux(38).
En mai 2006, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels faisait remarquer que la discrimination actuelle concernant le statut d’Indien et l’appartenance aux bandes portait atteinte aux droits des femmes des Premières nations garantis par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il a, lui aussi, recommandé l’abrogation de l’article 67 et l’élimination de toute discrimination résiduelle dans la LI(39).
Le projet de loi C-44 comporte trois articles.
L’article premier abroge l’article 67 de la LCDP, éliminant ainsi le rempart qui, depuis 1977, interdit les plaintes pour discrimination contre le gouvernement fédéral et les gouvernements des Premières nations concernant des actes et des décisions autorisés par la LI. En supprimant l’exception prévue à l’article 67, le gouvernement a l’intention de veiller à ce que les peuples autochtones aient accès à toutes les garanties de la LCDP au même titre que les autres Canadiens et de « fournir aux membres des Premières nations des mécanismes de recours »(40).
Comme l’analyse qui précède le montre bien, les autorités consultées estiment que les répercussions de l’abrogation de cette disposition pour les Premières nations et pour le système actuel de la LCDP pourraient être importantes. S’il se concrétise, le fort volume prévu de plaintes jusque-là interdites pour discrimination – contre le gouvernement fédéral relativement aux dispositions de la LI(41) et contre des mesures et décisions prises par les conseils communautaires et des gouvernements des Premières nations en vertu de la LI – pourrait peser lourdement sur les ressources humaines et financières de beaucoup de gouvernements locaux et celles de la CCDP. Les relations au sein des collectivités pourraient également devenir tendues au moment où de nouveaux recours externes seront exercés.
L’article 3, une disposition transitoire, donne un peu de temps aux gouvernements des Premières nations pour planifier l’abrogation de l’article 67. Il dit que les actes ou omissions de toute autorité autochtone qui sont accomplis dans l’exercice des attributions prévues par la LI ou sous son régime ne peuvent servir de fondement à une plainte déposée au titre de la LCDP s’ils sont accomplis dans les six mois suivant la date de sanction du projet de loi. La période de transition recommandée par la CCDP devait justement permettre, entre autres, de préparer le règlement des plaintes par les collectivités des Premières nations et la Commission, et il semble que celle-ci organisera des entretiens avec des organisations autochtones sur la mise en œuvre des changements apportés à la LCDP(42). Le projet de loi ne permet pas au gouvernement fédéral de retarder l’application de la LCDP aux questions liées à la LI.
L’article 3 permet d’atténuer au moins en partie les répercussions immédiates de l’abrogation de l’article 67 sur les collectivités des Premières nations. La période de transition est cependant nettement inférieure aux 18 à 30 mois proposés par la CCDP et approuvés par l’Association des femmes autochtones du Canada. Dans la recommandation de la Commission, la suspension de l’application de la LCDP aux organismes des Premières nations était liée explicitement à l’organisation de consultations sur l’élaboration et la promulgation d’une disposition d’interprétation tenant compte des intérêts des Premières nations et orientant l’application de la LCDP. À cet égard, la période de transition plus brève prévue par le projet de loi peut avoir un lien avec le fait que la mesure ne comporte pas de disposition d’interprétation ni ne mentionne l’élaboration d’une disposition d’interprétation équilibrant les droits individuels et les droits collectifs garantis par la LCDP. Compte tenu de l’importance attribuée à une mesure de ce genre par le Comité de révision de la LCDP, la Commission et d’autres, son absence pourrait compliquer l’interprétation et l’application de la LCDP dans le contexte des Premières nations.
Il reste à voir si, peu importe l’absence de disposition en ce sens dans la LCDP, la Commission a l’intention de diffuser des instructions qui pourraient faire office d’instruments d’interprétation ou si le gouvernement a l’intention de prendre des mesures complémentaires concernant l’abrogation de l’article 67. Il est également possible que le gouvernement considère les motifs justifiables actuellement prévus par la LCDP comme un moyen suffisant d’équilibrer les droits dans le règlement des plaintes pour discrimination dans le contexte des Premières nations(43).
Enfin, l’article 2 dispose que, dans les cinq ans qui suivent la date de sanction du projet de loi, un examen approfondi des effets de l’abrogation de l’article 67 doit être entrepris par un comité parlementaire et que celui-ci doit présenter son rapport au cours de l’année suivante. Cette disposition semble indiquer que le gouvernement est conscient des répercussions éventuelles de l’élimination de l’exception prévue dans la LCDP à l’égard de laLI.
Le projet de loi C-44 a déclenché une réaction immédiate au sein des organisations des Premières nations dont les mandants sont les plus directement touchés par l’abrogation de l’article 67.
Dans un communiqué commun, l’Assemblée des Premières Nations (APN) et l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) appuient l’abrogation en principe, mais seulement si elle fait suite à une procédure de consultation des Autochtones. Faute de consultation préalable, le projet de loi sera, selon le chef national de l’APN, « tout simplement inefficace et entraînera de nouveaux coûts pour les gouvernements des Premières nations, déjà sous-financés », outre qu’il s’écarte de la recommandation de la CCDP prévoyant une période de transition de 18 à 30 mois. La présidente de l’AFAC s’inquiète du fait qu’une abrogation sans consultation préalable risque de mener au désastre, et elle critique le fait que le gouvernement n’a pas répondu au plan proposé par l’Association en 2006 en prévision de l’abrogation de l’article 67. Les deux organisations veulent une procédure transparente d’évaluation des répercussions de l’abrogation de la disposition et l’élaboration en collaboration d’un plan d’exécution(44).
Dans une réponse plus complète au projet de loi, l’AFAC critique également l’absence d’une disposition d’interprétation, jugée « essentielle », pour « protéger d’importants droits collectifs tout en tenant compte des droits individuels », considère que la période de transition de six mois est insuffisante pour préparer les collectivités à l’application de la LCDP et invite « le gouvernement à ralentir pour veiller à ce que les choses se fassent correctement », puisque « cette mesure risque, en réalité, de faire plus de tort que de bien aux femmes autochtones »(45).
Les organisations des Premières nations ne sont pas toutes opposées à ces mesures législatives. Le chef national du Congrès des Peuples Autochtones appuierait le projet de loi, qu’il considère comme une étape vers l’abrogation de la LI, et contesterait la nécessité de procéder à d’autres consultations en matière de droits de la personne(46). Le Grand Chef de la nation Nishnawbe Aski aurait, lui aussi, déclaré qu’il soutient le projet de loi, qu’il considère comme un moyen d’obtenir « l’accès aux droits universels »(47).
Dans toutes les régions, les commentaires éditoriaux appuient le projet de loi, généralement sans réserve. L’abrogation de l’article 67 est décrite, par diverses parties, comme une réforme nécessaire, une mesure longtemps attendue de reconnaissance de l’égalité des droits des Premières nations, un moyen d’examiner les activités des chefs et des conseils, une limitation nécessaire de leur pouvoir sur les membres des Premières nations et un moyen d’accès aux mécanismes de protection des droits de la personne en tant que première étape vers la responsabilisation. Certains estiment que les droits individuels sont des droits légitimes qui ne sauraient être éclipsés indéfiniment par les intérêts de groupe. Les objections formulées par l’APN, l’AFAC et d’autres concernant des consultations préalables sont considérées généralement comme sans fondement, tout comme l’idée que le projet de loi favoriserait l’assimilation.
Certains pensent également que le gouvernement devrait envisager d’aider les collectivités des Premières nations à faire face aux conséquences concrètes de l’abrogation de l’exception relative à la LI(48) et que l’objectif positif du projet de loi pourrait être gâché par une attitude paternaliste, reflétée par l’absence de consultations préalables et par une période de transition abrégée(49).
Aucune disposition du présent Accord ne restreint l’opération de la Loi canadienne sur les droits de la personne à l’égard de la Première Nation de Westbank ou bien des Membres ou des Terres de Westbank. L’interprétation et la mise en œuvre de la Loi canadienne sur les droits de la personne en ce qui a trait à la Première Nation de Westbank ainsi qu’aux Membres et aux Terres de Westbank tiennent compte :
Article 291 de l’Accord sur l’autonomie gouvernementale de la Première nation de Westbank entre Sa Majesté la Reine du chef du Canada et la Première nation de Westbank.
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