Résumé législatif du Projet de loi C-49

Résumé Législatif
Projet de loi C-49 : Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes)
Laura Barnett, Division du droit et du gouvernement
Publication no 38-1-LS-508-F
PDF 82, (17 Pages) PDF
2005-07-07
Révisée le : 2006-01-12

Table des matières


Introduction

Entré en vigueur le 25 novembre 2005, le projet de loi C-49 modifie le Code criminel(1) pour interdire explicitement la traite des personnes au Canada. Il confirme l’engagement du gouvernement à protéger les personnes les plus vulnérables et fait partie de sa stratégie destinée à combattre cette forme de trafic.

Bien qu’il établissait un certain nombre d’infractions – dont l’enlèvement, le fait de proférer des menaces et l’extorsion – qui jouaient un rôle dans la lutte contre ce crime, le Code criminel ne contenait jusqu’alors aucune disposition interdisant explicitement la traite des personnes. En 2002, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés(2) était la première loi promulguant au Canada des dispositions interdisant la traite des personnes. L’article 118 de cette loi interdit d’organiser l’entrée au Canada de personnes par enlèvement, fraude, tromperie, utilisation ou menace d’utilisation de la force ou de toute autre forme de coercition.

Le projet de loi C-49 dépasse cette loi en élargissant l’interdiction au-delà de l’immigration et en faisant de la traite des personnes une infraction criminelle. De fait, le projet de loi établit trois interdictions. La première prohibe de façon globale la traite des personnes, qu’il s’agisse de recruter, transporter, transférer, recevoir, détenir, cacher ou héberger une personne, ou d’exercer un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une personne en vue de l’exploiter ou de faciliter son exploitation. La deuxième défend à une personne de tirer avantage économiquement de la traite des personnes. La troisième interdit de retenir ou de détruire tout document de voyage ou tout document pouvant établir l’identité d’une personne ou son statut d’immigrant en vue de faciliter le trafic des personnes.

Le projet de loi C-49 fait également en sorte que la traite des personnes puisse servir de fondement à un mandat pour intercepter des communications privées et prendre des échantillons de substances biologiques pour l’analyse de l’ADN, et il permet d’inscrire la personne reconnue coupable d’une infraction sur le registre des délinquants sexuels. Enfin, le projet de loi accorde aux victimes la possibilité de demander un dédommagement pour les blessures corporelles ou les dommages psychologiques subis.¨

Contexte

A. Le contexte international

1. Le problème

Dans le monde transnational d’aujourd’hui, la traite des personnes est devenue l’un des problèmes les plus pressants auxquels est confrontée la politique migratoire mondiale. Depuis les années 1990, le problème se situe au cœur des questions de sécurité nationale et internationale, tout particulièrement puisqu’il semble que le crime organisé y soit impliqué de façon importante(3); il serait attiré vers cette activité par les énormes profits qu’il est possible d’en tirer et le risque relativement faible de détection. Réagissant à de tels problèmes, la communauté internationale a condamné ce trafic, le qualifiant de forme répugnante d’esclavage moderne et de violation des droits humains fondamentaux.

Le terme « traite ou trafic des personnes » désigne essentiellement le recrutement, le transport et l’hébergement d’une personne pour l’astreindre au service forcé. Les victimes sont souvent des femmes et des enfants livrés sous la contrainte à l’industrie du sexe, mais elles comptent aussi des hommes, des femmes et des enfants exploités sous la forme d’un travail agricole, domestique ou autre. Dans certains pays, des enfants ayant fait l’objet d’un trafic peuvent être forcés à travailler comme mendiants ou à devenir des enfants-soldats.

La traite des personnes peut s’effectuer de diverses façons; elle peut être le fait de groupes criminels organisés qui exploitent de vastes réseaux transnationaux et profitent de relations dans les milieux politique et économique établies dans les pays d’origine comme dans les pays destinataires, mais aussi celui de petites organisations qui font le trafic d’une personne ou deux à la fois. Avant d’être contraintes à exercer leur nouvelle profession, les personnes soumises à ce trafic sont souvent trompées au moyen de promesses de mariages ou de contrats de travail apparemment légitimes à l’étranger. D’autres sont victimes d’enlèvement pur et simple. Au moment de leur arrivée à destination, ces personnes sont mises au travail et assujetties à une servitude pour des dettes dont le remboursement peut exiger des années(4). Les victimes de la traite sont souvent soumises à la violence physique, sexuelle et psychologique. À cause de la nature tout particulièrement clandestine de cette activité, il est difficile d’obtenir des données précises, mais les Nations Unies estiment qu’annuellement 700 000 personnes font l’objet d’un trafic à travers le monde, ce qui générerait des revenus annuels globaux de près de 10 milliards de dollars américains. D’autres estimations sont beaucoup plus élevées(5).

L’attention internationale accordée au problème du trafic des personnes va au delà de la dissuasion et porte également sur la protection des victimes. Le statut de la victime est néanmoins souvent complexe. Bien que certaines soient universellement reconnues comme victimes – les enfants exploités dans le commerce du sexe par exemple –, d’autres sont souvent considérées comme des immigrants illégaux ou des criminels. Dans certains cas, on juge que les femmes qui ont fait l’objet d’un trafic puis été exploitées dans le commerce du sexe enfreignent simplement les lois sur l’immigration ou les lois criminelles relatives à la prostitution. En raison de ces perceptions et des menaces que profèrent les trafiquants, beaucoup de victimes éprouvent de la réticence à s’en remettre à la police pour obtenir une protection. Les stigmates sociaux de la prostitution soulèvent également un problème : les femmes ayant fait l’objet d’un trafic international qui sont renvoyées dans leur pays d’origine peuvent être mises au ban de leur milieu et de leur famille.

2. Le protocole contre la traite des personnes

L’effort le plus poussé de la communauté internationale pour faire face au problème de la traite des personnes est l’adoption du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Le protocole a été adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en novembre 2000, et le Canada l’a ratifié en mai 2002. L’un de ses principaux objectifs est de maintenir un équilibre judicieux entre l’application des lois et la protection des victimes.

L’article 3 du protocole définit ainsi la traite des personnes :

le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes […]

Cette définition vise à inclure un large éventail de cas où des personnes sont exploitées par des groupes criminels organisés ou dans lesquels il y a un élément de contrainte associé à un aspect transnational(6). Le protocole prévoit explicitement que le consentement d’une personne à l’exploitation est non pertinent lorsqu’il y a eu contrainte ou tromperie ou lorsque le trafiquant a accordé un avantage quelconque à la personne en cause. Même si la définition ne mentionne pas expressément qu’il doit y avoir mouvement transfrontalier, c’est nettement le point central du protocole, eu égard au fait qu’il constitue un ajout à la Convention contre la criminalité transnationale organisée et à l’attention qu’il porte au contrôle des frontières.

En plus de définir et de condamner la traite des personnes, le protocole :

  • énonce l’obligation des États parties au protocole d’adopter les mesures législatives nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale à la traite des personnes, y compris aux actes consistant à tenter de commettre une telle infraction, à s’en rendre complice et à conspirer en vue de la perpétration d’une telle infraction;
  • accroît la portée de la protection et de l’assistance aux victimes de la traite;
  • demande aux États d’assurer la confidentialité aux victimes et de les protéger contre les trafiquants;
  • encourage les États à prendre des mesures pour offrir aux victimes la possibilité d’intenter des recours civils et de profiter d’avantages sociaux;
  • traite du statut d’immigrant, énonçant que les États doivent examiner la possibilité de prendre des mesures législatives grâce auxquelles les victimes d’un trafic pourraient rester au pays temporairement ou de manière permanente, dans les cas où une telle mesure convient, et veiller à ce que les pays d’origine des victimes donnent leur accord pour faciliter le rapatriement de leurs propres ressortissants;
  • traite de mesures de prévention, de coopération et autres, de caractère national ou international, visant à combattre la traite des personnes.

Fondamentalement, le protocole est un modèle important pour des lois nationales. Il précise les actes qui devraient être sanctionnés ainsi que le niveau adéquat de sévérité des peines et énonce des mesures efficaces pour prévenir et combattre le trafic des personnes(7).

3. Autres instruments internationaux

Plusieurs instruments internationaux, outre le protocole sur la traite des personnes, ont pour but d’affronter les problèmes de la traite. Bon nombre de dispositions des conventions de l’Organisation internationale du travail ont trait au travail forcé et aux âges minimaux d’emploi. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes traite de questions relatives à l’exploitation des femmes. Enfin, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants énonce des mesures destinées à renforcer la coopération internationale en vue de combattre la traite internationale des enfants. Il exige que les États parties au protocole confèrent un caractère d’infraction pénale à la traite d’enfants, y compris au transfert d’organes d’enfant à des fins lucratives ou à la soumission d’un enfant à un travail forcé. Le Canada a signé le protocole facultatif en novembre 2001, mais ne l’a pas encore ratifié. Des consultations sont en cours au pays au sujet du chevauchement des compétences fédérales et provinciales; le gouvernement fédéral compte ratifier le protocole dans un avenir prochain.

B. Initiatives nationales

Sur le plan national, le Canada a été directement confronté au problème de contrebande et de traite des personnes au moment où environ 600 migrants chinois ont été abandonnés au large des côtes de la Colombie-Britannique en 1999. Depuis lors, le Canada est reconnu à la fois comme un pays de destination et un pays de transit (le plus souvent vers les États-Unis). Bien qu’il n’y ait pas de statistiques très précises, la Gendarmerie royale du Canada estime que 600 femmes et jeunes filles étrangères sont intégrées de force au commerce du sexe au Canada, chaque année. Ce nombre atteindrait 800 si on y incluait les personnes victimes de trafiquants et amenées au Canada pour d’autres genres de travail forcé. Les estimations montrent également que 2 000 personnes font annuellement l’objet d’un trafic qui les fait passer du Canada aux États-Unis(8).

Le Canada est reconnu pour la lutte relativement forte qu’il mène contre la traite des personnes, et ce, grâce aux lois qu’il a adoptées et aux ressources qu’il a mises en place. Cependant, un récent rapport américain sur ce sujet reproche au Canada sa capacité limitée de mettre la main au collet des auteurs de crimes de cette nature, et insiste sur le fait que le gouvernement doit se servir de ses lois de manière énergique, pour effectuer davantage d’enquêtes, d’arrestations, de poursuites et de condamnations de trafiquants, particulièrement de ceux qui profitent abusivement de dispenses de visa et de visas de divertissement(9).

Au-delà des modifications apportées par le projet de loi C-49 au Code criminel, le Canada dispose déjà de certaines procédures pour examiner le problème de la traite des personnes et y faire face, dont la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), d’autres dispositions générales du Code criminel et un groupe de travail interministériel.

1. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

La LIPR, entrée en vigueur en juin 2002, était la première loi canadienne visant expressément la traite des personnes. L’article 118 de la Loi établit que quiconque se livre au trafic de personnes, c’est-à-dire organise sciemment l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes par fraude, tromperie, enlèvement, menace ou usage de la force ou de toute autre forme de coercition, commet une infraction. Le recrutement, le transport, l’accueil et l’hébergement de telles personnes constituent également une infraction. La peine maximale est l’emprisonnement à perpétuité. D’autres dispositions de la Loi viennent renforcer l’efficacité de l’article 118. En effet, dans la détermination de la peine, le tribunal doit tenir compte de facteurs aggravants tels que les blessures infligées ou la mort d’une personne, la participation d’une organisation criminelle, le fait que l’infraction ait été commise en vue d’en tirer un profit et la soumission de la personne ayant fait l’objet du trafic à un traitement dégradant ou attentatoire à la dignité humaine, notamment à une exploitation sexuelle. Les toutes premières accusations en vertu de l’article 118 ont été portées en avril 2005.

Les articles 122 et 123 établissent une infraction supplémentaire pour l’utilisation de documents de voyage en vue de contrevenir à la LIPR, ainsi que pour l’achat ou la vente de tels documents. La peine maximale pour cette infraction est de 14 ans d’emprisonnement.

2. Le Code criminel

Mis à part les modifications exposées dans le projet de loi C-49, d’autres dispositions du Code criminel pourraient être utilisées pour lutter contre la traite des personnes, en visant certaines formes précises d’exploitation et d’abus inhérentes à un tel trafic. Ces formes d’exploitation incluent des infractions telles que la fabrication ou l’utilisation de faux documents, les infractions liées à la prostitution, l’infliction de dommages corporels, l’enlèvement et la séquestration, l’intimidation, la conspiration et le crime organisé. Bien qu’elle ne soit pas exhaustive, cette liste énumère les principales dispositions du Code criminel qui ont été utilisées pour combattre la traite des personnes. Un examen de la jurisprudence portant sur la période allant de mars 2004 à février 2005 montre qu’au moins 31 personnes ont été accusées de telles infractions liées à la traite des personnes, que 19 de ces personnes ont été reconnues coupables, tandis que 12 causes demeurent en instance(10).

3. Le Groupe de travail interministériel sur la traite des personnes

Le gouvernement a mis sur pied un groupe de travail interministériel sur la traite des personnes, coprésidé par des représentants des ministères de la Justice et des Affaires étrangères et dont font également partie des représentants de plusieurs autres ministères et organismes fédéraux. Le Groupe de travail a pour but de coordonner les efforts fédéraux visant à combattre la traite des personnes et de mettre au point une stratégie fédérale conforme aux engagements internationaux du Canada. Il examine les lois, les programmes et les politiques déjà en vigueur et susceptibles d’avoir des effets sur cette traite, afin de cerner les meilleures pratiques à adopter et les domaines où des améliorations peuvent être apportées(11). Le Groupe a déjà conçu une brochure et une affiche dénonçant ce trafic des personnes; elles sont disponibles dans de nombreuses langues et ont été transmises à des missions canadiennes et à des organisations non gouvernementales, à l’étranger et au Canada, afin d’informer les victimes éventuelles des dangers que présente ce trafic. Un grand nombre de conférences, de colloques et de séances d’information du public ont également été tenus pour échanger sur la meilleure stratégie à adopter et sur la recherche à effectuer, ainsi que pour sensibiliser les collectivités.

Description et analyse

A. Définition et nouvelles infractions

Le projet de loi C-49 va au-delà de la question de l’immigration et érige la traite des personnes au niveau de l’infraction criminelle, qu’elle soit commise ou non avec le franchissement d’une frontière internationale. Le projet de loi situe la nouvelle infraction que constituera la traite des personnes après l’article 279 du Code criminel. L’article 2 du projet de loi ajoute la traite des personnes en remplaçant l’intertitre précédant l’article 279 du Code par « Enlèvement, traite des personnes, prise d’otages et rapt ». L’article 3 du projet de loi établit de façon détaillée ce qu’interdit la loi en matière de traite des personnes dans les articles 279.01 à 279.04 du Code : traite, avantage matériel et infraction relative à des documents.

1. Traite des personnes

Le nouveau paragraphe 279.01(1) décrit la principale infraction de traite des personnes en utilisant une définition similaire à celle du protocole de l’ONU de 2000. Quiconque recrute, transporte, transfère, reçoit, détient, cache ou héberge une personne, ou exerce un contrôle ou une influence sur les mouvements d’une personne, en vue de l’exploiter ou de faciliter son exploitation, commet un acte criminel passible d’un emprisonnement pouvant atteindre 14 ans ou d’un emprisonnement à perpétuité si l’accusé est coupable d’enlèvement, se livre à des voies de fait graves ou une agression sexuelle grave sur la personne ou cause sa mort lors de la perpétration de l’infraction.

Comme le fait ressortir également le protocole de l’ONU, un consentement de la victime au trafic de sa personne n’est jamais une défense valide (par. 279.01(2)) en raison de l’exploitation inhérente à une infraction de cette nature. Contrairement au passage de migrants clandestins, qui est une forme de migration illégale dans laquelle il y a transport organisé d’une personne qui traverse la frontière, habituellement en échange d’une somme d’argent et parfois dans des conditions dangereuses, le trafic des personnes comporte l’exploitation et la privation de liberté de la personne recrutée ou transportée. Alors qu’une personne peut consentir à ce qu’on lui fasse franchir clandestinement une frontière, une personne ne peut jamais consentir à l’exploitation qui découle de la traite. Le nouvel article 279.04 définit ainsi l’exploitation : une personne en exploite une autre si elle l’amène à fournir ou offrir de fournir son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait exploitation directe pour qu’une infraction de traite de personnes soit commise; il peut y avoir uniquement contrainte pour inciter la victime à offrir ses services(12). La définition de l’exploitation inclut aussi les situations dans lesquelles, par la tromperie, la menace ou l’usage de la force, une personne en amène une autre à se faire prélever un organe ou des tissus.

En conséquence, la nouvelle infraction de traite des personnes proposée interdit de créer une situation dans laquelle une personne est déplacée ou cachée et est contrainte à fournir ou à offrir de fournir du travail, des services, un organe ou des tissus. L’interdiction englobe donc non seulement l’enlèvement ou le recrutement dans le but de forcer une personne à se livrer à la prostitution, mais aussi d’autres situations d’exploitation par le travail, telles que celles mettant en cause des travailleurs domestiques et des travailleurs agricoles saisonniers. Il est important de remarquer que, contrairement aux infractions de trafic et de passage de migrants clandestins établies dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’infraction de traite des personnes établie dans le Code criminel ne suppose pas qu’il y ait nécessairement franchissement de frontières canadiennes. L’interdiction semble toucher toute forme de mouvement forcé et pourrait porter sur un mouvement interprovincial, interurbain et même à l’intérieur d’une ville.

2. Avantage matériel tiré de la traite des personnes

Le nouvel article 279.02 définit l’infraction complémentaire qui consiste à tirer un avantage économique de la traite des personnes. Quiconque bénéficie d’un avantage matériel, notamment pécuniaire, qu’il sait provenir de la traite des personnes, commet une infraction passible d’un emprisonnement maximal de dix ans. Cette infraction s’applique aussi aux personnes qui ne font pas directement de recrutement ou de transport, notamment à celles qui hébergent une victime de la traite pour obtenir une rétribution(13). Depuis les années 1990, la traite des personnes est devenue l’une des activités les plus lucratives dans le monde, se situant tout juste derrière le commerce des armes et de la drogue(14). Contrairement à ce qui se produit pour le passage de clandestins, où la principale source de revenu des passeurs est la rétribution versée par le migrant, la principale source de revenu dans le trafic des personnes – et par conséquent la motivation économique à commettre l’infraction – est celle des produits provenant de l’exploitation des victimes au moyen d’un travail forcé ou de la prostitution(15). Cette interdiction est donc une façon de s’attaquer à ces bénéfices économiques à leur source.

3. Rétention ou destruction de documents

Le nouvel article 279.03 définit l’infraction complémentaire qui consiste à retenir ou à détruire des pièces d’identité ou des documents d’immigration ou de voyage, dans le but de faciliter la traite des personnes. Quiconque, en vue de se livrer à la traite des personnes ou de la faciliter, cache, enlève, retient ou détruit tout document de voyage d’une personne ou tout document pouvant établir ou censé établir l’identité ou le statut d’immigrant d’une personne, commet une infraction passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans. En ce qui concerne cette infraction, le fait que le document soit authentique ou non, canadien ou étranger, n’importe pas. Cette nouvelle infraction se veut une réponse au fait que dans beaucoup de cas de trafic de personnes les trafiquants retirent à la victime les documents qu’elle possède dans le but d’exercer un contrôle accru sur ses mouvements, et ce, pour augmenter sa vulnérabilité.

B. Infractions inscrites

En plus d’établir ces principales infractions, le projet de loi C-49 inclut les infractions de traite des personnes parmi celles qui sont inscrites dans diverses autres parties du Code criminel, afin d’assurer une application plus efficace des dispositions en cause et une surveillance plus efficace des délinquants. Les infractions ainsi inscrites peuvent servir de motif à la délivrance de mandats pour intercepter des communications privées et prendre des échantillons de substances corporelles pour des analyses de l’ADN; elles peuvent également constituer des infractions pour lesquelles un contrevenant peut être inscrit sur le registre des délinquants sexuels.

1. Atteinte à la vie privée

L’article premier du projet de loi C-49 modifie l’article 183 du Code criminel de façon à inscrire les trois infractions de traite des personnes parmi celles qui peuvent servir de base à la délivrance d’un mandat d’interception de communications privées ou d’un mandat de surveillance vidéo en vertu du paragraphe 487.01(5), dans les cas où : il y a des motifs raisonnables de croire que des infractions de traite des personnes ont été ou seront commises; la délivrance du mandat sert au mieux l’administration de la justice; il n’y a aucune autre loi qui prévoit l’émission de tels mandats. Cette modification facilitera les enquêtes policières dans les cas de traite de personnes – un domaine où la clandestinité est prononcée et où il est difficile pour la police d’exercer une surveillance et de recueillir des preuves.

2. Dispositions de coordination et analyse de l’ADN

L’article 5 du projet de loi C-49 modifie l’article 487.04 du Code criminel de façon à inscrire la principale infraction de traite des personnes parmi celles qui peuvent servir de motif à la délivrance d’un mandat de prise d’un échantillon de substance corporelle pour des analyses génétiques, dans les cas où : il y a des motifs raisonnables de croire que l’infraction de traite des personnes a été commise; une substance corporelle a été trouvée en lien avec la perpétration de l’infraction; la personne était complice de l’infraction; l’analyse génétique fournira des renseignements signalétiques; la délivrance du mandat sert au mieux l’administration de la justice. Cette modification facilitera les enquêtes de la police et la cueillette de preuves dans les cas de traite des personnes.

L’article 9 du projet de loi C-49 expose les dispositions de coordination avec le projet de loi C-13, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques et la Loi sur la défense nationale, qui a reçu la sanction royale le 19 mai 2005, dans le but de s’assurer que la traite des personnes demeure une infraction primaire aux fins des analyses génétiques une fois que le projet de loi C-13 sera en vigueur.

3. Base de données sur les délinquants sexuels

Enfin, le projet de loi C-49 fait en sorte que la principale infraction de traite des personnes est incluse parmi les infractions pour lesquelles un contrevenant peut être inscrit sur le registre des délinquants sexuels en vertu du paragraphe 490.011(1) du Code criminel. Dans les cas qui justifient l’inscription dans la base de données sur les délinquants sexuels, cette nouvelle disposition permettra une surveillance plus efficace des activités et des allées et venues de ces personnes, de façon à éviter qu’elles ne récidivent.

C. Dédommagement

Afin de renforcer la protection des victimes, le projet de loi C-49 accorde aux victimes ayant subi des blessures corporelles ou des dommages psychologiques une possibilité accrue de demander un dédommagement. Bien que l’alinéa 738(1)b) du Code criminel permette déjà à un tribunal qui inflige une peine d’exiger du contrevenant qu’il verse des dommages-intérêts à une victime de blessures corporelles, l’article 7 du projet de loi C-49 élargit cet éventuel dédommagement aux victimes ayant subi des dommages psychologiques. Cet article fait en sorte qu’une victime qui subit des préjudices imputables à la perpétration de l’infraction, à l’arrestation ou à la tentative d’arrestation du délinquant puisse avoir droit à des dommages-intérêts qui ne dépassent pas la valeur des dommages pécuniaires, notamment la perte de revenu, si le montant peut en être facilement déterminé. Un tel élargissement du droit à un dédommagement fait en sorte que les victimes de la traite qui n’ont pas subi de blessures corporelles mais qui ont été menacées ou soumises à des contraintes psychologiques ont la possibilité de recevoir une indemnisation pour toute perte pécuniaire due à ce préjudice.

D. Dispositions de coordination et protection des témoins vulnérables

L’article 4 du projet de loi C-49 prévoit une protection renforcée des témoins, ce qui constitue une question de première importance pour les organismes internationaux de défense des droits de la personne et pour ceux qui sont chargés d’appliquer les lois contre le trafic des personnes. Cet article accroît la possibilité qu’a le juge de faire un procès à huis clos quand un témoin a moins de 18 ans, si l’accusation portée contre l’inculpé est liée à la traite des personnes (art. 279.01 à 279.03). Il accroît également la possibilité qu’a le juge permettre à un témoin âgé de moins de 18 ans de témoigner à l’extérieur de la salle d’audience ou derrière un écran, de manière à ce qu’il ne voie pas l’accusé, si ce dernier est inculpé pour traite de personnes. Ces dispositions de protection des témoins ont pour but de mettre les victimes de trafic marginalisées et vulnérables à l’abri de l’influence directe ou indirecte de leurs exploiteurs et de faciliter leur témoignage dans le milieu souvent intimidant et rigide du système judiciaire canadien. Ces dispositions peuvent aussi aider les organismes chargés de l’application de la loi à convaincre des personnes réticentes de témoigner.

L’article 4 vise dans une grande mesure les mêmes objectifs que le projet de loi C-2 : Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d’autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada, qui a reçu la sanction royale le 20 juillet 2005. En conséquence, l’article 8 du projet de loi C-49 établit des dispositions de coordination suivant l’ordre d’entrée en vigueur des deux projets de loi. Ceux-ci étant tous deux en vigueur en date du 2 janvier 2006, le paragraphe 486(3) du Code criminel s’applique maintenant aux procédures où le prévenu est accusé d’une des nouvelles infractions liées à la traite des personnes.

Commentaire

Étant donné le caractère urgent du problème et la nécessité perçue de respecter les engagements internationaux du Canada en matière de traite des personnes, que le projet de loi C-49 a reçu l’appui de tous les partis à l’étape de la troisième lecture à la Chambre des communes et au Sénat. De façon similaire, les reportages dans les médias ont été favorables au projet de loi et ont apporté leur soutien au but recherché, soit de combattre ce trafic(16). En raison des accusations portées en avril 2005 en vertu de l’article 118 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de la publication aux États-Unis du Trafficking in Persons Report, en juin 2005, les médias ont accordé une grande attention à l’ampleur du problème au Canada et au besoin de renforcer les lois canadiennes.

Les commentaires des parlementaires à propos du projet de loi C-49 ont porté principalement sur la nécessité de veiller à ce que toute mesure législative présentée prévoie des infractions criminelles graves et une bonne protection des témoins, et à ce que les ressources requises pour faire appliquer la loi soient disponibles de manière à garantir des poursuites efficaces et un véritable effet de dissuasion. Députés et sénateurs se sont dits particulièrement préoccupés par l’exploitation des enfants. De manière générale, les parlementaires ont discuté des liens entre la traite des personnes et l’immigration, ainsi que des ramifications des politiques relatives à la prostitution. Durant les débats en Chambre et en comité, ils ont rappelé que la lutte contre la traite des personnes doit s’accompagner d’efforts à l’échelle internationale pour combattre le crime organisé. Les parlementaires ont aussi insisté sur le besoin de disposer de statistiques précises sur le phénomène de la traite des personnes, au pays et à l’étranger(17).

Les organisations non gouvernementales qui offrent des services aux victimes de la traite des personnes ont formulé des critiques. Certaines croient que les dispositions du projet de loi ne sont pas pratiques et n’apportent pas de réponse adéquate aux dures réalités auxquelles sont confrontées les personnes exploitées pour leur travail et leurs services au Canada(18). Ces organisations rappellent le fait que de nombreuses femmes acceptent au départ des conditions de travail qui se révèlent par la suite une forme d’exploitation. Elles sont par conséquent réticentes à se plaindre de leur situation. Ce fait est souvent oublié dans des lois qui s’appuient sur des formes très nettes d’exploitation pour assurer l’efficacité des poursuites.


* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur.
(1) L.R.C. 1985, ch. C-46, modifié.
(2) L.C. 2001, ch. 27.
(3) Il faut toutefois faire remarquer que certains chercheurs sont d’avis qu’il s’agit d’un problème plus vaste de contrôle des migrations plutôt que de recherche d’une réaction adéquate à des problèmes de justice criminelle. Voir notamment ce qu’en disent Christine Bruckert et Colette Parent dans un rapport commandé par la Gendarmerie royale du Canada intitulé Crime organisé et trafic de personnes au Canada : perceptions et discours, Ottawa, 2004.
(4) Janie Chuang, « Redirecting the Debate over Trafficking in Women: Definitions, Paradigms, and Concerns », Harvard Human Rights Journal, vol. 11, 1998, p. 69 et 70.
(5) Tim Riordan, La traite des personnes, PRB 04-25F, Bibliothèque du Parlement, Ottawa, 9 janvier 2006, p. 1; Ministère de la Justice, document d’information, « La traite des personnes : une brève description », 12 mai 2005.
(6) Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, « The Protocol to Prevent, Suppress and Punish Trafficking in Persons » (résumé).
(7) Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, « Trafficking in Human Beings ».
(8) Jim Brown, « Cotler Ignores Liberal Crisis, Tables Bill to Combat Human Trafficking », dépêche de la Presse Canadienne, 12 mai 2005.
(9) Département d’État des États-Unis, Trafficking in Persons Report, juin 2005, p. 79.
(10) Matthew Taylor, ministère de la Justice, Pacific Northwest Conference on International Human Trafficking, Vancouver, 19 mai 2005.
(11) Ministère de la Justice, document d’information (2005).
(12) Taylor (2005).
(13) Ibid.
(14) Susan W. Tiefenbrun, « Sex Sells But Drugs Don’t Talk: Trafficking of Women Sex Workers », Thomas Jefferson Law Review, vol. 23, 2001, p. 199 et 209.
(15) Human Trafficking: Reference Guide for Canadian Law Enforcement, University College of the Fraser Valley Press, Abbotsford, 2005, p. 11.
(16) Brown (2005); « Minister Sprints to Table Human Trafficking Bill », The Gazette [Montréal], 13 mai 2005, p. A13.
(17) Christin Schmitz, « Bill to Fight Trafficking of Humans Misses Boat », Ottawa Citizen, 10 mai 2005, p. A5. Voir aussi les débats à la Chambre des communes, les 26 et 27 septembre et 17 octobre 2005, les travaux du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile de la Chambre des communes, le 4 octobre 2005, les débats du Sénat, les 25 octobre et 1er novembre 2005, et les travaux du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, le 23 novembre 2005.
(18) Pacific Northwest Conference on International Human Trafficking, Vancouver, 19 mai 2005.

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