Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C‑5, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel 1, a été déposé à la Chambre des communes le 4 février 2020 par l’honorable David Lametti, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Un énoncé concernant la Charte relatif au projet de loi C‑5 a été déposé le 7 février 2020 2.
Une version similaire de ce projet de loi a été présentée à la Chambre des communes le 23 février 2017 par l’honorable Rona Ambrose (l’ancien projet de loi C‑337, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel (agression sexuelle) 3), mais elle n’a pas été adoptée au Sénat avant l’élection de 2019. Le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes a étudié le projet de loi C‑337 avant de recommander, dans son rapport, l’amendement de trois articles et l’abrogation d’un autre 4. La Chambre des communes a adopté le projet de loi avec les amendements du Comité permanent de la condition féminine le 15 mai 2017. Après avoir franchi l’étape de la première lecture au Sénat, le projet de loi C‑337 a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui a recommandé des amendements dans le rapport qu’il a présenté le 5 juin 2019 5.
Selon le document d’information du ministère de la Justice publié en février 2020, le projet de loi C‑5 :
est conforme à l’ancien projet de loi C‑337, qui n’a pas été adopté par le Sénat avant la dernière élection. Le projet de loi tient compte des recommandations formulées par le Comité sénatorial permanent des [a]ffaires juridiques et constitutionnelles, qui ont reçu l’appui massif de la marraine du projet, des intervenants et de nombreux parlementaires 6.
Le projet de loi C‑5 comporte trois grands objets :
En février 2020, dans un communiqué sur le projet de loi C‑5, l’honorable David Lametti a déclaré que les juges sont censés « [avoir] la formation nécessaire pour comprendre la nature complexe des agressions sexuelles et les mythes qui, trop souvent, les entourent 7 ». Dans son témoignage concernant le projet de loi C‑337 devant le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes, l’honorable Rona Ambrose a expliqué qu’elle avait décidé de déposer ce projet de loi après avoir remarqué « un nombre troublant d’affaires d’agressions sexuelles qui ont ébranlé la confiance du public envers notre système de justice 8 ».
Il s’agissait d’affaires dans le cadre desquelles les juges avaient fait des déclarations devant les tribunaux ou dans leurs décisions à l’issue de procès pour agression sexuelle et qui, selon certains, s’appuyaient sur des stéréotypes discrédités au sujet des victimes d’agression sexuelle. Dans un cas, le juge a démissionné après que le CCM a recommandé sa révocation après qu’il a tenu des propos ou posé des questions « démontrant de l’aversion pour les lois visant à protéger les témoins vulnérables, à promouvoir l’égalité homme‑femme et à assurer l’intégrité des procès pour agression sexuelle 9 ».
Dans une affaire datant de 2016, un nouveau procès a été ordonné d’abord par la Cour d’appel de l’Alberta, puis par la Cour suprême du Canada (CSC) après que le juge a été déclaré coupable d’avoir invoqué des mythes sur le comportement « attendu » d’une victime d’agression sexuelle dans ses motifs d’acquittement d’un homme accusé d’avoir agressé sexuellement sa belle‑fille pendant plusieurs années 10.
En 2017, un autre juge a été vertement critiqué pour son langage insultant à l’égard d’une femme qui était en état d’ébriété au moment de l’agression sexuelle alléguée 11. Plus récemment, en 2019, la CSC a ordonné un nouveau procès pour un homme acquitté d’avoir tué une femme autochtone, au motif que la preuve concernant le comportement sexuel antérieur avait été prise en compte incorrectement par le juge du procès 12.
La sénatrice Raynell Andreychuk, qui a parrainé le projet de loi C‑337 au Sénat, a expliqué que ces cas s’ajoutent aux facteurs qui dissuadent les victimes de signaler une agression sexuelle. Elle a souligné que le projet de loi C‑337 visait à prévenir d’autres décisions judiciaires fondées sur des stéréotypes concernant les victimes d’agression sexuelle et à rétablir la confiance de ces dernières à l’égard du processus judiciaire 13.
L’agression sexuelle est le crime le moins signalé au Canada. Selon les données de l’Enquête sociale générale de 2014 sur la victimisation, de Statistique Canada, seulement 5 % des agressions sexuelles ont été signalées à la police en 2014 14. Selon les recherches, parmi les raisons de la sous‑déclaration, il y a « la honte, la culpabilité et la stigmatisation associées à la victimisation sexuelle […], la normalisation des comportements sexuels inappropriés ou non désirés, et la perception voulant que la violence sexuelle ne justifie pas un signalement 15 ». Bon nombre de victimes ne signalent pas l’agression parce qu’elles ne pensent pas « que le recours au système de justice donner[a] un résultat positif 16 ».
En 2014, l’agression sexuelle était le seul crime violent pour lequel le taux de victimisation est demeuré relativement stable depuis 1999, alors que les taux enregistrés en 2014 pour les autres crimes violents étaient considérablement inférieurs à ceux notés en 1999 17.
Par ailleurs, dans le système de justice criminelle, le taux d’attrition des affaires d’agression sexuelle est élevé. Sur 100 agressions sexuelles déclarées par la police 18 au Canada entre 2009 et 2014, seulement 21 ont mené à un procès, et 12 ont donné lieu à une déclaration de culpabilité 19.
L’appareil judiciaire du Canada est composé de tribunaux de compétence provinciale ou fédérale; la CSC étant l’ultime cour d’appel pour tous les tribunaux canadiens. Selon le ministère de la Justice :
Les provinces et les territoires sont responsables de répondre à tous les besoins des tribunaux relevant de leur secteur de compétence, c’est‑à‑dire de construire et d’entretenir les palais de justice, de fournir le personnel […] ainsi que [de rémunérer les] juges des tribunaux provinciaux et territoriaux. Pour sa part, le gouvernement fédéral nomme et rémunère les juges des cours supérieures de chaque province, de même que les juges des tribunaux fédéraux. Il est également responsable de l’administration de la Cour suprême du Canada et des tribunaux créés en vertu d’une loi fédérale 20.
Les juges des cours supérieures provinciales et les autres juges de juridiction supérieure de nomination fédérale, comme il est défini dans la Loi d’interprétation 21, sont régis par une loi fédérale, la Loi sur les juges 22, laquelle énonce les exigences relatives à des questions comme l’admissibilité à la nomination des juges des cours supérieures provinciales. Les exigences relatives à l’admissibilité pour les juges de la Cour suprême du Canada, de la Cour fédérale et de la Cour canadienne de l’impôt sont énoncées dans les lois régissant chacune de ces cours 23.
La nomination des juges des cours provinciales relève des provinces. Par ailleurs, ce sont les cours provinciales qui entendent la majorité des affaires criminelles au Canada – y compris les affaires d’agression sexuelle. Les dispositions du projet de loi C‑5 modifiant la Loi sur les juges ne s’appliquent qu’aux juges des cours supérieures, parce que le Parlement n’a pas compétence pour légiférer en ce qui concerne les juges nommés à l’échelle provinciale ou territoriale.
Outre les tribunaux, certains organismes jouent un rôle important dans l’administration de la justice au Canada, à savoir :
Composé d’un préambule et de quatre articles, le projet de loi C‑5 modifie la Loi sur les juges et le Code criminel 27.
Dans le préambule sont décrits les motifs à l’origine du projet de loi. Il affirme la nécessité pour les personnes ayant survécu à une agression sexuelle de faire confiance au système de justice pénale ainsi que la responsabilité du Parlement de veiller à ce que les institutions démocratiques du Canada reflètent les « valeurs et les principes » des Canadiens. Il nuance toutefois cette affirmation en soulignant l’importance de l’indépendance judiciaire. En reconnaissant à la fois la nécessité d’un système de justice pénale équitable et de l’indépendance judiciaire, le préambule reconnaît les précautions que doit prendre le Parlement lorsqu’il légifère en matière de nominations judiciaires.
Le préambule insiste par ailleurs sur l’effet qu’un procès pour agression sexuelle peut avoir sur la vie des personnes touchées, notamment le risque qu’un tel procès revictimise les survivants d’actes de violence sexuelle, et on met en garde contre les interprétations problématiques du droit dans un procès pour agression sexuelle. On y déclare que le Parlement reconnaît l’importance de la participation de la magistrature à des cours de perfectionnement juridique.
Il est souligné enfin, dans le préambule, que le Parlement veut être informé de la participation des juges aux formations sur le droit relatif aux agressions sexuelles et on affirme l’importance de motiver les décisions rendues lors des procès pour agression sexuelle.
Le paragraphe 1(2) du projet de loi modifie les conditions de nomination pour les nominations judiciaires énoncées dans la Loi sur les juges. Conformément au nouvel alinéa 3b) de la Loi sur les juges, pour être nommé juge d’une juridiction supérieure d’une province (à savoir, une cour supérieure provinciale ou une cour d’appel provinciale), le candidat doit s’engager à suivre une formation continue portant sur des questions liées au droit relatif aux agressions sexuelles et au contexte social 28. La formation sur le contexte social amène les juges à tenir compte du contexte des affaires qu’ils instruisent et à ne pas se laisser influencer par des attitudes fondées sur des stéréotypes, des mythes ou des préjugés 29. D’après un communiqué du ministère de la Justice sur le projet de loi C‑5 publié en février 2020 : « L’éducation au contexte social est conçue pour sensibiliser les juges et leur apprendre à s’assurer que toutes les personnes qui entrent dans la salle d’audience sont traitées avec respect, équité et égalité 30 ».
Le paragraphe 2(1) du projet de loi modifie l’alinéa 60(2)b) de la Loi sur les juges qui permet au CCM d’organiser des colloques en vue du perfectionnement des juges. L’alinéa modifié prévoit que les colloques de perfectionnement doivent comprendre des cours sur des sujets liés au droit relatif aux agressions sexuelles et au contexte social. Ces cours doivent être élaborés en consultation avec les personnes, groupes ou organismes que le CCM estime indiqués, tels que des survivants d’agression sexuelle et des groupes et organismes qui leur viennent en aide. Le nouveau paragraphe 60(3) de la Loi sur les juges précise en outre que cette formation doit aborder des questions relatives à la preuve, au consentement et à la procédure à suivre lors des procès pour agression sexuelle, de même que les mythes et les stéréotypes associés aux personnes qui portent plainte pour agression sexuelle, conformément à la recommandation du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles 31.
L’article 3 du projet de loi ajoute le nouvel article 62.1 à la Loi sur les juges de manière à obliger le CCM à produire un rapport annuel qui doit être soumis au ministre de la Justice et déposé au Parlement. Ce rapport doit fournir de l’information sur chacun des colloques susmentionnés qui ont été offerts au cours de l’année civile précédente, plus précisément, son titre, une description de son contenu, sa durée, les dates auxquelles il a été offert, ainsi que le nombre de juges qui y ont assisté. Comme le souligne le document d’information de février 2020 du ministère de la Justice : « [Cette obligation] vise ainsi à accroître la responsabilisation à l’égard de la formation des juges qui entendent ces affaires et à agir comme incitatif pour encourager leur participation 32. »
L’article 4 du projet de loi modifie le Code criminel en ajoutant le nouvel article 278.98. Aux termes du nouveau paragraphe 278.98(4), cet article s’applique uniquement aux procès devant un juge sans jury.
Le nouveau paragraphe 278.98(1) exige du juge qu’il motive ses décisions concernant certaines infractions sexuelles dont l’accusé est acquitté, absolu après avoir été déclaré coupable, déclaré coupable, déclaré criminellement non responsable ou déclaré inapte à subir son procès. Les infractions visées par le nouvel article 278.98 sont les suivantes :
Le nouveau paragraphe 278.98(2) prévoit que le nouvel article 278.98 s’appliquera également aux infractions criminelles antérieures si le comportement allégué constitue une infraction aux termes d’une des dispositions du Code criminel susmentionnées, et ce, dès l’entrée en vigueur de l’article 4 du projet de loi.
Aux termes du nouveau paragraphe 278.98(3), les motifs de la décision sont à porter dans le procès‑verbal des débats ou, à défaut, à donner par écrit 33.
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
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