Résumé législatif du Projet de loi C-53

Résumé Législatif
Résumé législatif du projet de loi C-53 : Loi de 2013 sur la succession au trône
Michel Bédard, Division des affaires juridiques et sociales
Publication no 41-1-C53-F
PDF 323, (16 Pages) PDF
2013-08-30

1 Contexte

Le 31 janvier 2013, le ministre de la Justice et procureur général du Canada, l’honorable Rob Nicholson, a déposé à la Chambre des communes le projet de loi C-53 : Loi d’assentiment aux modifications apportées à la loi concernant la succession au trône (titre abrégé : « Loi de 2013 sur la succession au trône »). Le projet de loi a pour objet de permettre au Parlement du Canada de donner son assentiment à un projet de loi britannique qui modifie les règles de succession au trône pour que l’ordre de succession soit déterminé indépendamment du sexe et que soit annulée l’incapacité de régner résultant du mariage avec un catholique.

En présentant le projet de loi, le ministre de la Justice et procureur général a déclaré que la Couronne avait accordé à cette mesure législative le consentement royal « en ce qui concerne l’incidence du projet de loi sur les prérogatives de la souveraine1 ». Le consentement royal, à ne pas confondre avec la sanction royale ou la recommandation royale, fait partie des règles et usages non écrits du Parlement du Canada. Tout projet de loi touchant aux prérogatives royales nécessite le consentement royal2.

Le 4 février 2013, la Chambre des communes a adopté le projet de loi à toutes les étapes du processus législatif au moyen d’une simple motion et sans débat. Le 5 février, le projet de loi a été déposé et lu pour la première fois au Sénat. Le Sénat en a débattu à toutes les étapes et l’a renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 27 mars 2013.

1.1 Historique

Dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 est formulé le désir des provinces canadiennes de « contracter une Union Fédérale pour ne former qu’une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande3 » [SOULIGNÉ PAR L’AUTEUR].

Les règles de succession au trône britannique sont issues de la common law et de certaines lois du Royaume-Uni, notamment le Bill of Rights de 1689 et l’Act of Settlement de 1701, adoptées dans la foulée de la Glorieuse Révolution et de l’accession au trône de Guillaume III et de Marie II. Ces règles, conçues pour assurer la succession protestante au trône, interdisaient au monarque d’être catholique ou d’épouser un catholique et retirent de l’ordre de succession quiconque épouse un catholique. La succession au trône était aussi assujettie à la « règle de primogéniture de préférence masculine », qui donne préséance aux héritiers sur les héritières sans égard à l’âge, et aux aînés sur les cadets.

Le Bill of Rights de 1689 confirme l’accession au trône de Guillaume III et de Marie II et assure la succession à leurs héritiers. Cependant, Marie II meurt sans enfants en 1694 et l’enfant unique de sa sœur Anne (qui suivait dans l’ordre de succession après Guillaume III) meurt en 1700. Devant la possibilité de l’absence d’héritiers protestants après la mort de Guillaume III et de la princesse Anne (future reine Anne), le Parlement adopte, en 1701, l’Act of Settlement, qui transmet la couronne à la princesse Sophie, Électrice de Hanovre (et petite-fille de Jacques Ier) et à ses héritiers protestants à la mort de Guillaume III et de la reine Anne et de leurs héritiers éventuels. La reine Anne succède à Guillaume III après la mort de celui-ci en 1702. À la mort de la reine Anne, le trône passe à George I, fils de la princesse Sophie.

Cela dit, en 1936, le Parlement du Royaume-Uni adopte la loi intitulée His Majesty’s Declaration of Abdication Act 19364. Cette loi, adoptée dans le but de donner effet à l’Instrument of Abdication d’Édouard VIII5, entraîne la dévolution de la Couronne de même que la transmission du trône à l’héritier suivant selon l’ordre de succession. Ainsi, le frère d’Édouard VIII, le prince Albert, monte sur le trône sous le nom de George VI le 11 décembre 1936. La même loi exclut aussi les descendants éventuels d’Édouard VIII de l’ordre de succession au trône6. Le gouvernement canadien accorde par décret le consentement du Canada au projet de loi britannique avant son adoption7, aux termes du Statut de Westminster de 19318. Le Parlement du Canada adoptera par la suite la Loi sur la modification de la Loi concernant la succession au trône9 pour exprimer son assentiment à l’égard de la loi adoptée par le Parlement du Royaume-Uni. Il est question de l’abdication d’Édouard VIII et des dispositions du Statut de Westminster qui y sont rattachées dans la section 3 de la présente publication.

Le 28 octobre 2011 se déroule à Perth, en Australie, une réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth à laquelle assistent les premiers ministres des 16 pays du Commonwealth10, dont Sa Majesté la Reine, Elizabeth II, est le chef d’État. Y est conclu un accord portant sur une approche commune concernant les modifications à apporter aux règles de succession en vue de mettre fin à la règle de primogéniture de préférence masculine et à l’incapacité de régner résultant du mariage avec un catholique. Les chefs de gouvernement s’engagent à « travailler chacun au sein de leur gouvernement à l’adoption des mesures nécessaires pour que tous les royaumes puissent donner effet à ces modifications en même temps11 ».

Conformément à l’accord passé à Perth, le gouvernement britannique dépose, le 13 décembre 2012, à la Chambre des communes du Royaume-Uni le projet de loi sur la succession à la Couronne. Ce projet de loi apporte trois modifications aux règles de succession. D’abord, il supprime la règle de préférence masculine à laquelle est assujettie la succession au trône. Cette disposition ne modifie pas l’ordre actuel de succession puisqu’elle s’applique aux héritiers nés après le 28 octobre 2011, date de l’accord (art. 1). Ensuite, le projet de loi annule l’incapacité de régner résultant du mariage avec un catholique (art. 2). Enfin, il abroge également la Royal Marriages Act 177212, qui rendait nul et non avenu le mariage d’un membre de la famille royale contracté sans le consentement du monarque régnant. Désormais, ce consentement ne sera nécessaire que pour les six personnes qui suivent dans l’ordre de succession au trône (art. 3)13. Le Parlement britannique édicte la loi sur la succession à la Couronne le 25 avril 201314.

2 Description et analyse

Le projet de loi C-53 a pour objet d’exprimer l’assentiment du Parlement du Canada à deux modifications apportées par le projet de loi britannique sur la succession au trône : l’abolition de la règle de primogéniture de préférence masculine et l’abrogation de l’incapacité de régner résultant du mariage avec un catholique.

2.1 Préambule

Le premier attendu du préambule, qui renvoie à la Loi constitutionnelle de 1867, précise que « Sa Majesté la Reine est investie du pouvoir exécutif pour le Canada15 ». Le deuxième attendu fait référence à l’accord conclu par les chefs de gouvernement du Commonwealth à Perth, en Australie, le 28 octobre 2011. Le troisième attendu reproduit le deuxième attendu du Statut de Westminster :

Attendu qu’il convient, puisque la couronne est le symbole de la libre association de tous les membres du Commonwealth britannique et qu’ils sont unis par une commune allégeance à celle-ci, de déclarer en préambule que serait conforme à leur situation constitutionnelle l’obligation d’assujettir désormais toute modification des règles de succession au trône et de présentation des titres royaux à l’assentiment des parlements des dominions comme à celui du Parlement du Royaume-Uni.

À cet égard, le gouvernement a fait la déclaration ci-après le jour du dépôt du projet de loi C-53 : « [l]e projet de loi […] est conforme au préambule du Statut de Westminster de 1931, qui prévoit que toute modification aux lois régissant la succession nécessite l’assentiment des parlements du Dominion16 ».

Le dernier attendu renvoie au projet de loi britannique sur la succession au trône.

2.2 Titre abrégé (art. 1)

L’article 1 précise le titre abrégé de la loi : « Loi de 2013 sur la succession au trône ».

2.3 Assentiment (art. 2)

L’article 2 donne l’assentiment du Parlement du Canada aux modifications qu’apporte le projet de loi britannique sur la succession à la Couronne à la loi sur la succession au trône.

2.4 Entrée en vigueur (art. 3)

La loi entre en vigueur à la date fixée par décret (art. 3).

3 Commentaire

Les modifications apportées aux règles de succession au trône par le projet de loi britannique, auxquelles le Canada a donné son consentement au moyen du projet de loi C-53, n’ont pas suscité de grande controverse au Canada. Cependant, la décision du gouvernement canadien de donner effet aux modifications proposées par le Royaume-Uni au moyen d’une loi du Parlement du Canada a été examinée par certains universitaires17 et observateurs18, selon lesquels une modification constitutionnelle en bonne et due forme pourrait être nécessaire.

La présente section traite de quelques-unes des questions constitutionnelles que soulève le projet de loi C-53.

3.1 Le Statut de Westminster et l’abdication d’Édouard VIII

En adoptant le Statut de Westminster en 1931, le Parlement du Royaume-Uni confirme par voie législative les déclarations et les résolutions des conférences impériales de 1926 et 1930, qui ont reconnu l’indépendance et l’autonomie des dominions britanniques, dont le Canada. Par exemple, aux termes de la Déclaration de Balfour de 1926, le Royaume-Uni et les dominions :

sont des communautés autonomes au sein de l’Empire britannique, égales en statut, en aucun cas subordonnées l’une à l’autre eu égard à quelque aspect de leurs affaires intérieures et extérieures, bien qu’unies par une allégeance commune à la Couronne, et librement associées comme membres du Commonwealth britannique des nations19.

C’est pour donner suite à ce principe que le Statut de Westminster met fin à la suprématie des lois impériales sur les lois nationales et autorise les dominions à abroger ou à modifier les lois impériales20. Il énonce également que les lois adoptées par le Parlement du Royaume-Uni ne font désormais partie du droit d’un dominion que si le s’il est expressément déclaré dans ces lois que le dominion a demandé leur édiction et y a consenti21. Une exception est toutefois prévue pour les lois constitutionnelles du Canada22 puisque la Constitution canadienne n’est pas encore rapatriée.

Le deuxième attendu du Statut de Westminster (cité précédemment) affirme que « serait conforme à [la] situation constitutionnelle [des membres du Commonwealth] » l’obligation d’assujettir désormais toute modification des règles de succession au trône à l’assentiment des parlements des dominions. Le troisième attendu du préambule du Statut de Westminster affirme « qu’est également conforme à cette situation constitutionnelle la règle selon laquelle les lois désormais adoptées par le Parlement du Royaume-Uni ne peuvent faire partie du droit d’un dominion qu’à la demande et avec le consentement de celui-ci ». Conformément à ce troisième attendu, l’article 4 du Statut de Westminster porte que :

Les lois adoptées par le Parlement du Royaume-Uni après l’entrée en vigueur de la présente loi ne font partie du droit d’un dominion que s’il est expressément déclaré dans ces lois que le dominion a demandé leur édiction et y a consenti.

Les dispositions du Statut de Westminster sont mises à l’épreuve pour la première fois en 1936 quand Édouard VIII exprime le désir d’abdiquer le trône pour épouser Wallis Simpson, une divorcée dont les deux ex-maris sont toujours vivants. Le Cabinet britannique s’oppose au projet de mariage. Le trône passe à l’héritier suivant selon l’ordre de succession – le frère d’Édouard, Albert (futur George VI) –, mais le Parlement britannique doit adopter une loi portant dévolution de la Couronne (puisque le monarque ne peut pas, en vertu du droit britannique, abdiquer unilatéralement) et excluant les héritiers éventuels d’Édouard VIII de la succession au trône, puisqu’autrement, ils auraient été inclus à titre de descendants de la princesse Sophie, conformément à l’Act of Settlement de 1701. Le 10 décembre 1936, Édouard VIII affirme, dans un Instrument of Abdication, sa « détermination irrévocable de renoncer au trône », pour lui et ses descendants. Le même jour, le gouvernement canadien, invoquant l’article 4 du Statut de Westminster, prend un décret par lequel il donne son consentement à la loi britannique, qui sera adoptée plus tard le même jour. Le décret du 10 décembre 1936 affirme l’intention du gouvernement de procéder par décret et par loi du Parlement afin de satisfaire à l’obligation législative ainsi qu’à la convention constitutionnelle énoncées dans le Statut de Westminster :

Pour satisfaire à l’obligation de l’article 4 du [Statut de Westminster], il faut que le Canada demande l’édiction du projet de loi et y consente; et, pour satisfaire à la convention constitutionnelle exprimée au deuxième attendu du préambule […], il faut assujettir le projet de loi à l’assentiment du Parlement du Canada23.

Le Parlement canadien, qui est alors en période de prorogation, adoptera la Loi sur la modification de la Loi concernant la succession au trône à la reprise de ses travaux en 193724.

À l’époque, les constitutionnalistes critiquent la décision de se conformer aux obligations législatives et conventionnelles. Ils soutiennent qu’il n’y a pas lieu d’établir un lien entre l’article 4 et le deuxième attendu du Statut de Westminster (modification de la loi concernant la succession au trône), mais uniquement avec le troisième attendu concernant l’incorporation des lois du Parlement britannique au droit des dominions. À leur avis, le législateur n’a jamais eu comme intention d’assujettir les lois concernant la succession au trône à l’obligation juridique prescrite à l’article 4, mais uniquement à la convention constitutionnelle énoncée dans le deuxième attendu25. Par conséquent, la loi du Parlement suffisait à assurer le respect de la convention constitutionnelle énoncée dans le deuxième attendu, et le troisième attendu et sa disposition habilitante, l’article 4, n’auraient jamais dû intervenir.

Le mérite du précédent de l’abdication de 1936 revêt une importance certaine pour le fondement constitutionnel du projet de loi C-53, puisque le troisième attendu et l’article 4 du Statut de Westminster ont été abrogés en ce qu’ils s’appliquaient au Canada en 1982 avec le rapatriement de la Constitution26. Ils ont été remplacés par une formule d’extinction du pouvoir du Parlement britannique sur le Canada, soit l’article 2 de la Loi sur le Canada (R.-U.), qui fait partie de la Constitution du Canada, et qui énonce : « Les lois adoptées par le Parlement du Royaume-Uni après l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982 ne font pas partie du droit du Canada27. » Le deuxième attendu, toutefois, n’a pas été abrogé, et fait expressément partie de la Constitution du Canada28.

S’il n’était pas nécessaire de se conformer au mécanisme établi par l’article 4 du Statut de Westminster en 1936 et que l’assentiment du Parlement suffisait, selon la convention constitutionnelle exprimée dans le deuxième attendu du Statut de Westminster, alors le projet de loi C-53 semble suffisant, puisqu’il est édicté en vertu du deuxième attendu du Statut de Westminster, qui est toujours en vigueur au Canada. En revanche, des questions pourraient surgir si le Canada avait l’obligation juridique en 1936 de respecter le mécanisme établi par l’article 4, parce qu’on ne sait trop de quelle façon la Loi de 1982 sur le Canada (la loi britannique énonçant le rapatriement de la Constitution canadienne) s’appliquerait, dans ce cas, à ces domaines.

3.2 La Constitution du Canada

Comme cela a été mentionné précédemment, certains universitaires et observateurs remettent en cause le projet de loi C-53 au motif qu’il aurait fallu donner effet aux modifications proposées aux règles de succession par une modification constitutionnelle adoptée à l’unanimité (c.-à-d. avec le consentement des deux Chambres du Parlement et des dix assemblées législatives provinciales) étant donné que les modifications proposées sont liées à la « charge de la Reine ». Dans la fiche d’information sur le projet de loi C-53, le gouvernement du Canada explique que :

[l]es changements apportés aux lois de succession ne touchent pas la Constitution canadienne. Il s’agit de modifications visant des lois britanniques qui ne sont pas énumérées à l’annexe de notre Loi constitutionnelle de 1982 et ne font pas partie de notre Constitution canadienne. De plus, ces modifications aux lois de succession ne changent en rien « la charge de Reine » dont fait état la Loi constitutionnelle de 1982. « La charge de Reine » comprend le statut, les pouvoirs et les droits constitutionnels du souverain au Canada. Ni l’interdiction imposée aux héritiers et héritières d’épouser des catholiques ni la règle de common law relative à la primogéniture selon laquelle on accorde la préférence aux mâles ne peuvent être qualifiées à proprement parler de pouvoirs ou de prérogatives royaux au Canada. Or, puisque la ligne de succession est établie en vertu des lois britanniques et non par le souverain ou la souveraine, les modifications régissant la succession au Canada n’ont aucune répercussion sur les droits et les pouvoirs de la reine29.

Toute mesure législative qui touche à la « charge de la reine » n’exige pas forcément une modification constitutionnelle à moins qu’elle apporte une modification à la Constitution du Canada30. La Loi constitutionnelle de 1982 énumère les textes législatifs et les décrets qui font partie de la Constitution31, et ni l’Act of Settlement ni le Bill of Rights n’y sont expressément mentionnés. Il ne faut pas pour autant conclure que ces textes législatifs ne font pas partie de la Constitution puisque l’exhaustivité de l’énumération de la Loi constitutionnelle de 1982 n’a pas été clairement établie. Alors que certains tribunaux l’ont qualifiée catégoriquement d’exhaustive32, la Cour suprême du Canada a laissé ouverte la possibilité d’y inclure d’autres textes33. En effet, la Cour suprême a qualifié à quelques reprises la liste de non exhaustive en faisant valoir que la Constitution renferme des règles écrites et d’autres, non écrites34.

En fait, il semble qu’un seul cas porté devant les tribunaux ait donné lieu à une tentative expresse d’ajouter un document écrit à la Constitution du Canada. Chose intéressante, cette cause, entendue par un tribunal inférieur, traitait du statut constitutionnel des règles de succession au trône et de l’Act of Settlement.

Dans l’affaire O’Donohue v. Canada35, la Cour supérieure de l’Ontario a rejeté une demande de déclaration qui aurait rendu nulles et non avenues les dispositions de l’Act of Settlement au motif qu’elles sont discriminatoires envers les catholiques et contraires aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés en matière d’égalité. La Cour a rejeté la demande sur motion préliminaire parce que les ques-tions soulevées étaient non judiciables. Dans sa décision, la Cour a soutenu que les dispositions contestées, en raison de leur nature constitutionnelle, n’étaient pas assujetties à la Charte puisqu’une partie de la Constitution ne peut en abroger une autre. Cependant, on ignore quelles sont – parmi l’Act of Settlement, la symétrie entre les règles de succession et celles du Royaume-Uni, ou les aspects fonda-mentaux de la monarchie constitutionnelle – les normes qui ont été considérées de nature constitutionnelle par la Cour. Selon Peter Hogg, la Cour « a rejeté la demande au motif que l’Act of Settlement faisait partie de la Constitution du Canada et n’était pas assujetti à la Charte36 ». Or, cette interprétation va peut-être à l’encontre de la conclusion de la Cour selon laquelle « les règles de succession ne font pas partie de la Constitution écrite, mais de la Constitution tacite ou non écrite et ne sont donc pas assujetties à la Charte37 ». D’autres passages du jugement O’Donohue font plutôt valoir que c’est le principe de la symétrie entre les couronnes du Canada et du Royaume-Uni qui, au vu du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, fait partie de la Constitution. Ce serait donc la dérogation à ce principe et la modification unilatérale des règles de succession qui exigeraient une modification constitutionnelle en bonne et due forme38.

3.3 La monarchie et le pouvoir résiduel

Certains aspects fondamentaux de la monarchie se reflètent dans les éléments écrits et non écrits de la Constitution canadienne. Toute modification à ces normes constitutionnelles exigerait vraisemblablement une modification constitutionnelle en bonne et due forme puisqu’elle modifierait la Constitution du Canada. Toutefois, selon certains constitutionnalistes, le pouvoir résiduel du Parlement du Canada en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement39 l’habilite à statuer sur les aspects de la monarchie qui ne sont pas explicitement inscrits dans la Constitution40. Le pouvoir résiduel sur la monarchie fournirait, par exemple, le fondement constitutionnel actuel de la Loi sur les titres royaux41.

En raison de ce pouvoir résiduel sur la monarchie, il est légitime de penser que le Parlement est habilité à apporter unilatéralement des modifications aux règles de succession à condition qu’elles ne touchent pas aux dispositions inscrites explicitement dans la Constitution – auquel cas une modification constitutionnelle adoptée à l’unanimité serait nécessaire. Des modifications apportées pour que les règles de succession correspondent toujours à celles du Royaume-Uni relèveraient sans doute du Parlement puisque ces modifications ne contreviendraient pas à la Constitution, mais confirmeraient le principe constitutionnel de symétrie de la Couronne.

D’autres soutiennent que, malgré l’abrogation de l’article 4 du Statut de Westminster, le préambule de ce dernier, y compris le deuxième attendu, qui fait expressément partie de la Constitution canadienne, pourrait être considéré comme le fondement législatif sur lequel le Parlement du Canada s’appuierait pour donner son assentiment aux modifications des règles de succession42.

3.4 L’étude du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles

Comme il a été indiqué plus haut, le projet de loi C-53 a franchi toutes les étapes à la Chambre des communes au moyen d’une simple motion et n’a donc pas fait l’objet d’un examen soutenu dans le cadre des débats de la Chambre ou des travaux des comités. De son côté, toutefois, le Sénat a débattu du projet de loi et l’a renvoyé à un comité.

L’étude du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a servi de tribune pour discuter des questions constitutionnelles touchant le projet de loi C-53, même si aucun témoin n’a remis en question la constitutionnalité du projet de loi lui-même43.

L’honorable Rob Nicholson, ministre de la Justice et procureur général, a répété que le projet de loi visait à donner l’assentiment du gouvernement canadien à des modifications aux règles de succession apportées par des lois britanniques relevant entièrement du pouvoir législatif du Parlement du Royaume-Uni. En faisant allusion au préambule et à l’article 9 de la Loi constitutionnelle de 1867, il a déclaré que le roi ou la reine du Royaume-Uni était aussi le souverain du Canada. M. Nicholson a souligné que le projet de loi C-53 ne modifiait pas la Constitution relativement à la charge de la reine, puisque « le projet de loi ne change aucunement […] ses pouvoirs, ses droits et ses prérogatives en vertu de la Constitution44 ». Il a indiqué au Comité que le projet de loi allait dans le sens de la convention constitutionnelle prévue au deuxième attendu du Statut de Westminster et des précédents pertinents. Un haut fonctionnaire du Bureau du Conseil privé qui comparaissait en compagnie du Ministre a brièvement discuté du fait que le gouvernement du Canada avait procédé, au moment de l’abdication du roi Édouard VIII, en 1936, à la fois par décret (conformément à des dispositions du Statut de Westminster qui ont depuis été abrogées) et par une loi du Parlement. Le haut fonctionnaire a déclaré que le manque de temps et le fait que le Parlement du Canada ne siégeait pas au moment où le roi a abdiqué avaient peut-être poussé le gouvernement a opté pour un décret.

Andrew Heard, professeur associé à l’Université Simon Fraser, a qualifié le projet de loi C-53 d’« exigence politique conventionnelle » et a affirmé que la loi britannique entrerait en vigueur peu importe que le projet de loi C-53 soit adopté ou non. Il a indiqué que la loi canadienne « incorpore les lois britanniques actuelles et futures sur la succession royale. En bref, la loi canadienne régissant notre chef d’État décrète que le monarque britannique est notre chef d’État45 ».

Benoît Pelletier, professeur à l’Université d’Ottawa, a déclaré que le projet de loi C-53 relevait du pouvoir résiduel du Parlement canadien d’adopter des lois sur l’ordre de succession au trône. Il a de plus déclaré que le projet de loi ne concernait pas le statut constitutionnel, les pouvoirs et les droits de la charge de la reine et, par conséquent, qu’il n’était nullement nécessaire de modifier officiellement la Constitution ou encore de consulter les provinces ou d’obtenir leur consentement.

La Fondation du patrimoine royal du Canada, un organisme caritatif d’éducation nationale dont le mandat consiste à conserver, présenter et rehausser le patrimoine royal du Canada, ne s’est pas opposée au projet de loi C-53 et n’a pas remis sa validité en question : les représentants de la Fondation ont déclaré que le projet de loi était un assentiment de courtoisie à une loi britannique et qu’il n’avait aucune force de loi au Canada. Ils ont laissé entendre qu’un changement aux règles de succession nécessitait un changement aux lois canadiennes, puisque les règles de succession font maintenant partie du droit canadien : l’application de dispositions du Statut de Westminster a incorporé aux lois canadiennes la His Majesty’s Declaration of Abdication Act de 1936 et, par défaut, le Bill of Rights de 1689 ainsi que l’Act of Settlement de 1701.

3.5 Contestation

Le 6 juin 2013, deux professeurs de droit de l’Université Laval, Geneviève Motard et Patrick Taillon, ont déposé auprès de la Cour supérieure du Québec une requête introductive d’instance en jugement déclaratoire pour contester la validité constitutionnelle du projet de loi C-5346. Ils avancent que le projet de loi est inconstitutionnel, du fait qu’il modifie la Constitution du Canada sur des questions relatives à la reine et à ses représentants, le gouverneur général et le lieutenant-gouverneur, sans le consentement de toutes les assemblées législatives provinciales supposément exigé par l’article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ils font aussi valoir que si le projet de loi C-53 ne fait pas partie de la Constitution, il y est donc assujetti et invalide, puisque contraire à la liberté de conscience et de religion et au droit à l’égalité garantis par la Charte canadienne des droits et libertés du fait qu’il maintient l’interdiction faite aux personnes de foi catholique de devenir roi ou reine. Enfin, s’appuyant sur l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’article 16 de la Charte canadienne des droits et libertés, ils allèguent que le projet de loi C-53 est inconstitutionnel, puisqu’il donne son assentiment à une loi britannique (loi sur la succession au trône) rédigée uniquement dans la langue anglaise.

La Cour supérieure du Québec n’a pas encore tranché; sa décision pourrait, une fois rendue, être portée en appel devant la Cour d’appel et, à terme, devant la Cour suprême du Canada.


Notes

*  Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur.Retour au texte ]

  1. Chambre des communes, Débats, 1re session, 41e législature, 31 janvier 2013. [ Retour au texte ]
  2. Audrey O’Brien et Marc Bosc (dir.), La procédure et les usages de la Chambre des communes, Ottawa, Chambre des communes, 2e éd. 2009, p. 755. [ Retour au texte ]
  3. Loi constitutionnelle de 1867, 30 et 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.), préambule. [ Retour au texte ]
  4. His Majesty’s Declaration of Abdication Act 1936, 1 Édouard VIII et 1 George VI, ch. 3 (R.-U.). [ Retour au texte ]
  5. L’Instrument of Abdication d’Édouard VIII est reproduit dans l’annexe du His Majesty’s Declaration of Abdication Act 1936. [ Retour au texte ]
  6. Édouard VIII, alors duc de Windsor, meurt en 1972 sans descendants. [ Retour au texte ]
  7. Le décret est reproduit intégralement dans les Débats de la Chambre des communes du 18 janvier 1937, p. 41. [ Retour au texte ]
  8. Statut de Westminster (1931), 22 et 23 George V, ch. 4. (R.-U.). [ Retour au texte ]
  9. Loi sur la modification de la Loi concernant la succession au trône, 1 George VI, ch. 16 (R.-U.). [ Retour au texte ]
  10. Les 16 royaumes sont les suivants : Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Jamaïque, Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Barbade, Grenade, Belize, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Îles Salomon, Tuvalu, Saint-Vincent-et-les-Grenadines et Papouasie-Nouvelle-Guinée. [ Retour au texte ]
  11. Réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth de 2011, Agreement in Principle among the Realms, Perth (Australie), 28 octobre 2011 [traduction]. [ Retour au texte ]
  12. Royal Marriages Act 1772, 12 George III, ch. 11 (R.-U.). [ Retour au texte ]
  13. Le projet de loi rend nécessaires des modifications corrélatives à d’autres lois du Parlement britannique, dont le Bill of Rights et l’Act of Settlement (art. 4) et renferme des dispositions sur son entrée en vigueur à la date ou aux dates fixées par le gouvernement, ainsi que sur son titre abrégé (art. 5). [ Retour au texte ]
  14. Succession to the Crown Act 2013, ch. 20 (R.-U.). [ Retour au texte ]
  15. Loi constitutionnelle de 1867, art. 9 : « À la Reine continueront d’être et sont par la présente attribués le gouvernement et le pouvoir exécutifs du Canada. » [ Retour au texte ]
  16. Patrimoine canadien, Présentation du projet de loi relative à la ligne de succession au trône, fiche d’information, Ottawa, 31 janvier 2013. [ Retour au texte ]
  17. Philippe Lagassé, « The Queen of Canada is dead; long live the British Queen », Macleans, 3 février 2013; Patrick Taillon, « Projet de loi sur la succession au trône d’Angleterre – Une occasion de sauver ce qui reste du veto du Québec! », Le Devoir, 2 février 2013. [ Retour au texte ]
  18. James W.J. Bowden, « Canada cannot assent to British law », Ottawa Citizen, 5 février 2013. [ Retour au texte ]
  19. Inter-Imperial Relations Committee, Imperial Conference, 1926 pdf (79 ko, 14 pages), Report, Proceedings and Memoranda, 1926, p. 3 [traduction]. [ Retour au texte ]
  20. Statut de Westminster (1931), art. 2. [ Retour au texte ]
  21. Ibid., art. 4. [ Retour au texte ]
  22. Ibid., art. 7. [ Retour au texte ]
  23. Chambre des communes, Débats, 18 janvier 1937, p. 41 [traduction]. [ Retour au texte ]
  24. Le Parlement reprend ses travaux le 14 janvier 1937 et adopte la Loi sur la modification de la Loi concernant la succession au trône le 13 mars 1937. [ Retour au texte ]
  25. W.P.M. Kennedy, « Canada and the Abdication Act », University of Toronto Law Journal, vol. 2, no 3, 1937, p. 117; voir aussi F.C. Cronkite, « Canada and the Abdication », Canadian Journal of Economics and Political Science, vol. 4, no 2, 1938, p. 177. [ Retour au texte ]
  26. Loi constitutionnelle de 1982, annexe, al. 17a). [ Retour au texte ]
  27. Canada Act, 1982, ch. 11, art. 2. (R.-U.). [ Retour au texte ]
  28. Loi constitutionnelle de 1982, annexe, art. 17. [ Retour au texte ]
  29. Patrimoine canadien (2013). [ Retour au texte ]
  30. Loi constitutionnelle de 1982, art. 41. [ Retour au texte ]
  31. Ibid., par. 52(2) et annexe. [ Retour au texte ]
  32. Voir p. ex. Dixon v. British Columbia (Attorney General), [1986] 31 D.L.R. (4e) 546 (B.C.S.C.) [ Retour au texte ]
  33. Colombie-Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général); Acte concernant le chemin de fer de l’Île de Vancouver (Re), [1994] 2 R.C.S. 41, p. 94 (juge Iacobucci pour les juges majoritaires) :
    Il n’est certes pas nécessaire d’écarter complètement la possibilité que des documents non énumérés au par. 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 puissent quand même être considérés comme constitutionnels dans certains contextes. Cette question n’a pas à être tranchée en l’espèce.
    [ Retour au texte ]
  34. New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, p. 378 (juge McLachlin [maintenant juge en chef], souscrivant à l’opinion majoritaire) :
    Je suis d’accord avec l’essentiel de la pensée du professeur Hogg lorsqu’il fait observer que l’ajout d’autres textes aux 30 déjà énumérés à l’annexe du par. 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 risque d’avoir de graves conséquences compte tenu de la suprématie et de l’enchâssement prévus relativement à la « Constitution du Canada » aux par. 52(1) et 52(3). Toutefois, comme le reconnaît le professeur Hogg lui-même, le par. 52(2) ne se veut pas clairement exhaustif. Ceci dit, je ne serais pas disposée à limiter l’interprétation de cette disposition de façon à écarter l’intention qui sous-tend le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, et refuser ainsi de reconnaître les privilèges inhérents minimes, mais reconnus depuis longtemps et essentiels, des organismes législatifs canadiens.
    Voir aussi : Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de I.P.E; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de I.P.E. [1997] 3 R.C.S. 3, par. 90 (juge en chef Lamer pour les juges majoritaires); Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 32:
    La « Constitution du Canada » comprend certainement les textes énumérés au par. 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. Même si ces textes jouent un rôle de premier ordre dans la détermination des règles constitutionnelles, ils ne sont pas exhaustifs. La Constitution « comprend des règles non écrites – et écrites – », comme nous l’avons souligné récemment dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, au par. 92.
    [ Retour au texte ]
  35. O’Donohue v. Canada, 2003 CanLII 41404 (C.S.J. Ont.), appel rejeté par la Cour d’appel de l’Ontario : O’Donohue v. Canada, 2005 CanLII 6369 (C.A. Ont.). [ Retour au texte ]
  36. Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd., suppl., vol. 1, Toronto, Carswell, 2007, p. 1-10. [ Retour au texte ]
  37. O’Donohue c. Canada (2003), par. 28 [traduction]. [ Retour au texte ]
  38. Ibid., par. 33. [ Retour au texte ]
  39. Loi constitutionnelle de 1867, art. 91 in limine. [ Retour au texte ]
  40. Margaret A. Banks, « If the Queen Were to Abdicate: Procedure Under Canada’s Constitution », Alberta Law Review, vol. 28, 1990, p. 535 à 539; Anne Twomey, « Changing the Rules of Succession to the Throne », Public Law Review, 2011, p. 378 à 401; Hogg (2007), p. 3-2 et 4-13. [ Retour au texte ]
  41. Loi sur les titres royaux, L.R.C., 1985, ch. R-12. Cet argument se trouve dans Hogg (2007), p. 3-2 et 4-13. [ Retour au texte ]
  42. Josh Hunter, « A more modern crown: changing the rules of succession in the Commonwealth Realms », Commonwealth Law Bulletin, vol. 38, no 3, 2012, p. 447 et 448. [ Retour au texte ]
  43. Sénat, Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, Délibérations pdf (739 ko, 70 pages), 1re session, 41e législature, fascicule no 32, 20 et 21 mars 2013. [ Retour au texte ]
  44. Ibid., p. 32:40. [ Retour au texte ]
  45. Ibid., p. 32:24 et 32:9. [ Retour au texte ]
  46. Geneviève Motard et Patrick Taillon, Requête introductive d’instance en jugement déclaratoire, 6 juin 2013, C.S.Q. no 200-17-018455-139. [ Retour au texte ]

© Bibliothèque du Parlement