Résumé législatif du Projet de loi C-54

Résumé Législatif
Résumé législatif du projet de loi C-54 : Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale en conséquence (Loi protégeant les Canadiens en mettant fin aux peines à rabais en cas de meurtres multiples)
Robin MacKay, Division des affaires juridiques et législatives
Publication no 40-2-LS-671-F
PDF 190, (19 Pages) PDF
2010-03-05

Le projet de loi C-54 : Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale (titre abrégé : « Loi protégeant les Canadiens en mettant fin aux peines à rabais en cas de meurtres multiples ») a franchi l’étape de la première lecture à la Chambre des communes le 28 octobre 2009. Le projet de loi modifie le Code criminel (le Code)(1) en ce qui concerne la « période d’inadmissibilité » à la libération conditionnelle (aussi appelée « délai préalable » ou « temps d’épreuve ») imposée aux auteurs de meurtres multiples, et ce, en habilitant les juges à imposer dans ces cas des périodes consécutives plutôt que simultanées. Il apporte aussi des modifications corrélatives à la Loi sur la défense nationale.

Les dispositions du projet de loi n’obligent pas les juges à imposer des périodes d’inadmissibilité consécutives, mais leur laissent la latitude voulue pour prendre leur décision en fonction du caractère du délinquant, de la nature et des circonstances des infractions et des recommandations du jury. Ils devront par contre énoncer de vive voix ou par écrit leurs motifs s’ils décident de ne pas imposer de périodes consécutives.

Contexte

A. Le droit actuel

En 1976, le Parlement a aboli la peine de mort et institué une peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité à l’égard de l’infraction de meurtre(2). Les délinquants (ou « contrevenants » – les deux termes sont utilisés dans le Code) condamnés pour meurtre au premier degré(3) doivent purger une peine minimale d’emprisonnement à perpétuité et ne sont admissibles à la libération conditionnelle qu’après 25 ans d’incarcération. Les délinquants condamnés pour meurtre au deuxième degré sont aussi passibles d’une peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité, mais dans leur cas, le juge fixe le délai préalable à la libération conditionnelle à un nombre d’années qui se situe entre 10 et 25 ans. Les condamnés à perpétuité peuvent être libérés seulement si la Commission nationale des libérations conditionnelles leur accorde la libération conditionnelle. Contrairement à la plupart des détenus purgeant une peine de durée déterminée, par exemple de deux, 10, ou 20 ans, les condamnés à perpétuité ne sont pas admissibles à la libération d’office(4). S’ils obtiennent la libération conditionnelle, ils demeurent assujettis pendant toute leur vie aux modalités de cette dernière et à la surveillance d’un agent de libération conditionnelle du Service correctionnel du Canada. La libération conditionnelle peut être révoquée et ils peuvent être emprisonnés de nouveau en tout temps s’ils manquent aux conditions de leur libération conditionnelle ou s’ils sont reconnus coupables d’une nouvelle infraction. La libération conditionnelle n’est pas accordée à tous les condamnés à perpétuité, parce que le risque de récidive est trop grand dans certains cas.

La disposition dite « de la dernière chance »(5) est la seule exception qui permet de passer outre au délai préalable à la libération conditionnelle de 25 ans dans le cas des personnes reconnues coupables de meurtre au premier degré, et de 15 à 25 ans dans le cas de celles condamnées pour meurtre au deuxième degré. Au cours des années qui ont suivi son adoption en 1976, la disposition « de la dernière chance » a été modifiée à diverses reprises. À l’heure actuelle, les critères qui président à l’éventuelle libération conditionnelle d’un condamné à perpétuité sont les suivants :

  • Le détenu doit avoir purgé au moins 15 années de sa peine.
  • Le détenu reconnu coupable de plus d’un meurtre, dont au moins un a été perpétré après le 9 janvier 1997 (date à laquelle certaines modifications sont entrées en vigueur), ne peut demander une révision judiciaire du délai préalable à la libération conditionnelle.
  • Pour demander une réduction du délai préalable à sa libération conditionnelle, le délinquant doit présenter une demande au juge en chef de la province ou du territoire où le jugement de culpabilité a été rendu.
  • Le juge en chef ou un juge de la cour supérieure désigné par le juge en chef doit, en premier lieu, décider s’il existe une possibilité réelle que la demande soit accueillie. Les critères suivants constituent le fondement de cette décision :
    • le caractère du requérant;
    • sa conduite durant l’exécution de sa peine;
    • la nature de l’infraction pour laquelle il a été condamné;
    • tout autre renseignement fourni par la victime(6) au moment de l’imposition de la peine ou lors de l’audience prévue par l’article sur la question;
    • tout autre renseignement que le juge estime utile dans les circonstances.
  • Si la demande est rejetée parce qu’il n’y a aucune possibilité réelle qu’elle soit accueillie, le juge en chef ou le juge peut fixer une date pour la présentation d’une nouvelle demande, au plus tôt deux ans après le rejet, ou décider que le détenu ne pourra pas présenter de nouvelle demande.
  • Si le juge en chef ou le juge détermine qu’il y a une possibilité réelle que la demande soit accueillie, un juge sera désigné pour entendre l’affaire avec un jury. Celui-ci doit tenir compte des cinq critères énoncés précédemment pour déterminer si le délai préalable à la libération conditionnelle devrait être réduit. La décision de réduire le délai préalable doit se prendre à l’unanimité. Les victimes du crime perpétré par le délinquant peuvent soumettre des informations oralement ou par écrit, ou de la manière que le juge estime indiquée. Si la demande est rejetée, le jury peut, par une majorité des deux tiers, déterminer une date pour la présentation d’une nouvelle demande, au plus tôt deux ans suivant la date du rejet, ou décider que le détenu ne pourra pas présenter de nouvelle demande.
  • Si le jury décide que le délai préalable à la libération conditionnelle devrait être réduit, une majorité des deux tiers de ce jury suffit pour le réduire, et le délai préalable fixé par le jury peut varier entre 15 et 24 ans.
  • Une fois que le détenu a reçu la permission de demander une libération conditionnelle anticipée, il doit faire parvenir sa demande à la Commission nationale des libérations conditionnelles. La décision de le libérer et la décision quant au moment de sa libération relèvent strictement de la Commission, qui prend cette décision en tenant compte du risque présenté de façon à ce que la protection du public l’emporte sur toute autre considération. Les membres de la Commission doivent aussi être convaincus que le délinquant respectera des conditions précises telles que l’imposition de limites à la liberté de circulation, la participation à des programmes de réadaptation et la défense d’entrer en contact avec certaines personnes (telles que les victimes, les enfants et les criminels reconnus coupables).

Une révision au titre de la disposition « de la dernière chance » n’est donc pas l’occasion de juger à nouveau l’infraction commise à l’origine, ni une audience de libération conditionnelle. Une décision favorable rendue par le juge et le jury ne fait que raccourcir le délai qui doit s’écouler avant que le délinquant puisse présenter une demande de libération conditionnelle.

Le Code prévoit de façon implicite que toutes les peines doivent être purgées concurremment, à moins que le juge qui prononce la sentence ordonne ou que la loi exige de façon spécifique qu’elles soient purgées consécutivement. Par exemple, le paragraphe 85(4) du Code dispose que la peine infligée pour usage d’une arme à feu lors de la perpétration d’une infraction sera purgée consécutivement à toute autre peine sanctionnant une autre infraction basée sur les mêmes faits. L’article 83.26 prévoit que la peine – sauf s’il s’agit d’une peine d’emprisonnement à perpétuité – imposée pour activités terroristes sera purgée consécutivement, et l’article 467.14, que la peine infligée à l’égard d’infractions commises au profit d’une organisation criminelle sera purgée consécutivement. Le juge qui prononce une sentence peut imposer une peine consécutive entre autres lorsque le contrevenant est déjà sous le coup d’une peine d’emprisonnement(7).

Par conséquent, le délinquant qui commet plusieurs meurtres purgera concurremment ses peines d’emprisonnement à perpétuité. L’imposition d’une peine d’une durée déterminée consécutivement à une peine d’emprisonnement à perpétuité n’est pas valide en droit(8). Comme une peine d’emprisonnement à perpétuité signifie l’emprisonnement à vie, nonobstant la mise en liberté sous condition, la peine consécutive ne peut donc prendre effet avant le décès de la personne. Les tribunaux ont conclu que le législateur n’a pas pu vouloir cette impossibilité matérielle susceptible de jeter le discrédit sur la loi(9). Il n’est pas non plus possible de se prévaloir de la disposition « de la dernière chance » si au moins un des meurtres a été commis après le 9 janvier 1997.

L’impossibilité d’imposer des peines consécutives d’emprisonnement à perpétuité ne signifie toutefois pas que les déclarations de culpabilité multiples n’ont aucun effet sur la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle. L’unique délai préalable à la libération conditionnelle imposée aux auteurs de meurtres multiples peut être accru si une personne déjà condamnée à la prison à perpétuité se voit imposer une peine supplémentaire d’une durée déterminée (par opposition à indéterminée). Dans un tel cas, le délinquant n’est admissible à la libération conditionnelle totale qu’à la fin du temps d’épreuve auquel il est assujetti au moment de la condamnation ainsi que du temps d’épreuve sur la peine supplémentaire. Si le délinquant a réduit son temps d’épreuve en se prévalant de la disposition « de la dernière chance », il n’est admissible à la libération conditionnelle totale qu’à la date à laquelle il a accompli le temps d’épreuve auquel il aurait été assujetti, compte tenu de la réduction, à la date de la condamnation à la peine supplémentaire ainsi que le temps d’épreuve sur la peine supplémentaire(10).

En règle générale, la limite maximale du temps d’épreuve requis pour la libération conditionnelle est de 15 ans à compter de la condamnation à la dernière peine(11). Cette règle est toutefois subordonnée à l’article 745 du Code,qui fixe à 25 ans le délai préalable applicable en cas de meurtre au premier degré. Les dispositions relatives au temps d’épreuve supplémentaire s’appliquent à un délinquant condamné à perpétuité qui bénéficie d’une libération conditionnelle ainsi qu’à ceux qui sont incarcérés(12). En résumé, le paragraphe 120.2(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition dispose que, pour le calcul de l’admissibilité à la libération conditionnelle seulement, le temps d’épreuve déterminé à partir de peines d’emprisonnement concurrentes doit être traité comme une période consécutive au reste du temps d’épreuve à accomplir à l’égard de la peine d’emprisonnement à perpétuité de l’individu(13). De plus, il faut garder à l’esprit que toute période d’inadmissibilité d’une durée supérieure à 15 ans consécutive à l’imposition d’une peine d’emprisonnement pour meurtre (p. ex. une période de 20 ans qui resterait sur une période initiale d’inadmissibilité de 25 ans) continuera d’avoir une incidence sur la détermination de la date d’admissibilité à une libération conditionnelle totale.

B. Statistiques sur les meurtres multiples au Canada et aux États-Unis

Le tableau 1 préparé par Statistique Canada vise à comparer le nombre d’homicides recensés chaque année au Canada et le nombre de victimes. Comme on peut le constater, la grande majorité (en moyenne 95 %) font une seule victime.

Tableau 1 – Cas d’homicide selon le nombre de victimes, Canada, 1998-2008
Nombre de victimes Nombre d’homicides
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Total Moyenne 1999–2008a
1 victime 476 492 483 540 510 568 594 540 529 553 5 285 529
2 victimes  26  21  26  15  18  25  25  17  19  18   210  21
3 victimes  2  1  3  2  1  2  5  5  4  6    31  3
4 victimes et plus  1  2  2  1  0  0  1  3  3  1    14  1
2 victimes et plus 29 24 31 18 19 27 31 25 26 25   255 26
Total des homicides 505 516 514 558 529 595 625 565 555 578 5 540 554
Total des victimes 538 546 553 582 549 624 663 606 594 611 5 866 587
a Les chiffres ayant été arrondis, leur somme peut ne pas correspondre exactement aux totaux indiqués.
Source :Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Enquête sur l’homicide, données extraites en décembre 2009.

Le lien entre l’accusé et la victime dans le cas d’homicides qui font une ou plusieurs victimes a également été pris en considération. Comme le montrent les tableaux 2 et 3, le premier lien est celui de la « famille » dans les cas d’homicide ayant fait plus d’une victime et celui de la « connaissance » dans les cas d’homicide ayant fait une seule victime.

Tableau 2 – Homicides ayant fait plus d’une victime selon le lien entre l’accusé et la victime, 1999-2008
Lien entre l’accusé et la victime Pourcentage du nombre total d’homicidess
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Total 1999–2008
Famille  49  33  52  70  43  46  44  58  45  47  49
Autre intime  2  10  3  0  0  0  0  0  0  2  2
Connaissance  47  40  32  25  43  39  22  35  34  28  34
Étranger  2  17  10  5  13  15  31  4  20  23  13
Inconnu  0  0  3  0  0  0  2  4  0  0  1
Total 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100
Source :  Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Enquête sur l’homicide, données extraites en décembre 2009.
Tableau 3 – Homicides ayant fait une seule victime selon le lien entre l’accusé et la victime, 1999-2008
Lien entre l’accusé et la victime Pourcentage du nombre total d’homicides
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Total 1999–2008
Famille  32  31  40  37  32  33  31  33  31  32  33
Autre intime  5  5  3  4  3  5  4  4  5  7  4
Connaissance  44  45  42  42  49  46  49  45  49  45  46
Étranger  17  17  14  16  14  15  16  18  16  16  16
Inconnu  1  1  1  2  2  0  0  0  0  0  1
Total 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100
Source :  Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Enquête sur l’homicide, données extraites en décembre 2009.

Le nombre d’homicides ayant fait plus d’une victime est plus élevé aux États-Unis qu’au Canada, comme le montre le tableau 4, qui présente des données recueillies par le Federal Bureau of Investigation dans la publication intitulée Crime in the United States, 2008.

Tableau 4 – Meurtres regroupés selon la situation des victimes/délinquants, 2008
Situation Nombre Pourcentage
Victime unique/délinquant unique  6 940  48,9
Victime unique/délinquant(s) inconnu(s)  4 222  29,8
Victime unique/délinquants multiples  1 658  11,7
Victimes multiples/délinquant unique   738  5,2
Victimes multiples/délinquants multiples   259  1,8
Victimes multiples/délinquant(s) inconnu(s)   363  2,6
Total 14 180 100,0
Source : Département de la Justice des États-Unis, Federal Bureau of Investigation, Crime in the United States, 2008.

C. Taux d’homicides et peines dans d’autres pays

Dans sa publication « L’homicide au Canada, 2008 », Statistique Canada a suivi l’évolution du taux d’homicides au Canada de 1961 à 2008. Comme l’illustre le graphique 1, entre le milieu des années 1960 et le milieu des années 1970, ce taux a connu une hausse marquée : il a plus que doublé, passant de 1,25 homicide pour 100 000 habitants en 1966 à 3,03 en 1975. Il a généralement diminué durant les 25 années suivantes, soit de 42 % entre 1975 et 1999. Depuis 1999, malgré certaines fluctuations annuelles, il est relativement stable.

Graphique 1 – Taux d’homicides, 1961-2008
Graphique 1 – Taux d’homicides, 1961-2008
Note : Exclut les 329 victimes de l’affaire « Air India ».
Source : Sara Beattie, « L’homicide au Canada, 2008 », Juristat, vol. 29, no 4, octobre 2009, p. 7.


Le graphique 2 présente les résultats de la comparaison faite par Statistique Canada du taux d’homicides au Canada (611 homicides en 2008, soit un taux de 1,83 par 100 000 habitants) et dans certains autres pays :

Graphique 2 – Taux d’homicides pour certains pays
Graphique 2 – Taux d’homicides pour certains pays
Notes:
1 Ces chiffres sont tirés des données pour l’année 2005.
2 Ces chiffres sont tirés des données pour l’année 2006.
3 Ces chiffres sont tirés des données pour l’année 2007.
4 Ces chiffres sont tirés des données pour l’année 2008.
Source : Sara Beattie, « L’homicide au Canada, 2008 », Juristat, vol. 29, no 4, octobre 2009, p. 6.


Une comparaison de la durée moyenne d’incarcération des délinquants condamnés à perpétuité pour meurtre au premier degré effectuée en 1999 au niveau international montre que cette durée est plus longue au Canada que dans tous les pays visés par l’étude, y compris les États-Unis, exception faite des peines d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle aux États-Unis. Au Canada, la durée moyenne d’incarcération des délinquants condamnés à perpétuité pour meurtre au premier degré est de 28,4 ans.

Tableau 5 – Durée moyenne d’incarcération
Pays Durée d’incarcération (années)
Nouvelle-Zélande 11,0
Écosse 11,2
Suède 12,0
Belgique 12,7
Angleterre 14,4
Australie 14,8
États-Unis
 Perpétuité avec possibilité de libération conditionnelle
 Perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle
18,5
29,0
Canada  28,4a
a Ministère de la Justice Canada, Détermination de la peine équitable et efficace – Approche canadienne à la politique de détermination de la peine, Feuillet d’information, octobre 2005.
Source : Daniel Beavon, données non publiées, Performance Measurement, Service correctionnel du Canada, Ottawa, 1995.

En Angleterre et au pays de Galles, le ministère de la Justice a publié des statistiques plus récentes sur la durée moyenne d’incarcération de ceux qui sont condamnés à des peines d’emprisonnement à perpétuité(14). Les chiffres montrent que la durée d’incarcération des condamnés à perpétuité varie beaucoup. Outre ceux qui sont remis en liberté en vertu d’un permis de libération (libération conditionnelle), les condamnés à perpétuité peuvent être relâchés pour d’autres raisons, par exemple, s’ils ont gain de cause en appel ou s’ils sont transférés vers d’autres instances ou des hôpitaux psychiatriques. La durée moyenne d’incarcération des détenus condamnés à une peine d’emprisonnement à perpétuité obligatoire – par exemple les meurtriers – mis en liberté en 2008 en vertu d’un permis de libération était de 16 ans, soit la même que l’année précédente. Dans le cas des autres condamnés à perpétuité – ceux reconnus coupables de crimes autres que des meurtres, mais qui ont reçu une peine d’emprisonnement à perpétuité –, la durée moyenne d’incarcération demeure également stable, soit neuf ans.

En Écosse, en 2008-2009, 31 délinquants emprisonnés à perpétuité ont été libérés. Onze, ou 35 %, avaient passé plus de 14 ans en détention et les 20 autres, moins de 14 ans(15).

En Irlande, les statistiques récentes montrent que les délinquants libérés depuis 2004 par le ministre de la Justice, de l’Égalité et de la Réforme du droit par suite d’une recommandation de la commission des libérations conditionnelles avaient en moyenne passé plus de 17 ans en prison. Ce chiffre peut toutefois être trompeur. Il n’inclut pas les détenus à qui on n’a pas accordé une libération conditionnelle, et dont bon nombre ont passé de nombreuses années en prison, sans qu’il en soit tenu compte dans les statistiques, parce qu’ils n’ont jamais bénéficié d’une mise en liberté provisoire(16).

Selon la Commission des libérations conditionnelles de la Nouvelle-Zélande, les détenus condamnés à perpétuité deviennent admissibles à la libération conditionnelle après sept ans, s’ils ont été condamnés avant le 1er août 1987, ou après dix ans, s’ils ont été condamnés après cette date, à moins qu’une peine minimale ait été imposée par la cour. Selon les dernières statistiques publiées, portant sur la période du 1er juillet 2002 au 30 juin 2003, la durée d’incarcération moyenne de cette catégorie de détenus est de 12,1 ans(17).

Aux États-Unis, une étude récente montre que 140 610 détenus purgent des peines d’emprisonnement à perpétuité, soit un détenu sur 11 (9,5 %). Vingt-neuf pour cent (41 095) d’entre eux n’ont aucune possibilité de libération conditionnelle(18). Les lois de tous les États prévoient l’emprisonnement à perpétuité, mais leur sévérité et leur application varient beaucoup. Dans six États – Dakota du Sud, Illinois, Iowa, Louisiane, Maine et Pennsylvanie – et au fédéral, la peine d’emprisonnement à perpétuité exclut toute possibilité de libération conditionnelle. Seul l’Alaska prévoit la possibilité d’une libération conditionnelle pour tous les cas d’emprisonnement à perpétuité, tandis que les autres 43 États ont des lois qui permettent de condamner les délinquants à perpétuité en leur accordant ou non la possibilité d’une libération conditionnelle.

Pour les peines d’emprisonnement à perpétuité avec possibilité de libération conditionnelle, le délai préalable à la libération conditionnelle varie beaucoup d’un État à l’autre, soit de 10 ans à l’Utah et en Californie à 40 et 50 ans au Colorado et au Kansas. La médiane du délai préalable au niveau national se situe à environ 25 ans. Toutefois, l’admissibilité n’entraîne pas nécessairement la libération et, en raison de la réticence des comités de révision et de certains gouverneurs, il est devenu de plus en plus difficile pour les détenus condamnés à perpétuité d’obtenir une libération conditionnelle(19).

Description et analyse

Le projet de loi C-54 compte dix articles, dont nous examinons ici les plus importants.

A. Article 2 : Ajout du paragraphe 675(2.3) au Code criminel

L’article 675 du Code énonce les motifs pour lesquels une personne reconnue coupable d’un acte criminel peut interjeter appel. Par exemple, une personne condamnée pour meurtre au deuxième degré peut interjeter appel de tout délai préalable à sa libération conditionnelle supérieur aux dix années obligatoires. Le nouveau paragraphe 675(2.3) précise que la personne visée par une ordonnance exigeant que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle soient consécutives (plutôt que concurrentes) peut interjeter appel à ce sujet.

B. Article 3 : Ajout du paragraphe 676(6) au Code criminel

L’article 676 du Code est semblable à l’article 675, au sens où il énonce les motifs pour lesquels un recours peut être introduit devant la cour d’appel, mais cette fois par la Couronne. Par exemple, en cas de condamnation pour meurtre au deuxième degré, la Couronne peut interjeter appel, devant la cour d’appel, de tout délai préalable à la libération conditionnelle inférieur au délai maximal de 25 ans. Le nouveau paragraphe 676(6) précisera que la Couronne peut interjeter appel de la décision d’un tribunal de ne pas ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle soient consécutives plutôt que concurrentes, chaque fois que la peine est imposée pour plus d’un meurtre.

C. Article 4 : Ajout de l’article 745.21 au Code criminel

L’article 745.2 du Code porte sur la recommandation du jury concernant la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle à imposer une fois que l’accusé a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré. Le juge qui préside le procès doit demander au jury s’il recommandera de porter le délai préalable à la libération conditionnelle au maximum, c’est-à-dire à 25 ans, plutôt que de s’en tenir au délai de 10 ans prévu. Si le jury fait une recommandation en ce sens, le juge en tiendra compte au moment de prononcer la sentence.

Le nouvel article 745.21 s’appliquera chaque fois qu’un jury déclare coupable de meurtre un accusé déjà reconnu coupable d’un autre meurtre. Dans le cas de meurtres multiples, le juge de première instance devra demander au jury s’il recommande que la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle soit purgée consécutivement à celle fixée pour le meurtre précédent. Comme c’est le cas pour l’actuel article 745.2, le jury n’est pas tenu de formuler une recommandation, mais s’il le fait, le juge en tiendra compte. L’application du nouvel article ne sera pas rétroactive, mais visera plutôt les meurtres commis au plus tôt le lendemain de l’entrée en vigueur du projet de loi. Il s’appliquera aussi aux meurtres pour lesquels le contrevenant a été condamné en vertu du Code, de la Loi sur la défense nationale (LDN) ou de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

D. Article 5 : Ajout de l’article 745.51 au Code criminel

Le nouvel article 745.51 du Code donnera une autre option au juge de première instance au moment de décider de la peine à imposer à un délinquant condamné pour plus d’un meurtre. Compte tenu du caractère du délinquant, de la nature de l’infraction, des circonstances entourant sa perpétration et de toute recommandation formulée en vertu du nouvel article 745.21, le juge de première instance pourra ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement. Si le juge décide de ne pas rendre d’ordonnance en ce sens, il devra motiver sa décision. Encore une fois, il est clairement précisé que l’application ne sera pas rétroactive, mais visera plutôt les meurtres commis au plus tôt le lendemain de l’entrée en vigueur du projet de loi. Il s’appliquera aussi aux meurtres pour lesquels le contrevenant a été condamné en vertu du Code, de la LDN ou de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

E. Articles 6 à 9 : Modifications apportées à la Loi sur la défense nationale(20)

La partie III de la LDN est le code de discipline militaire. Ce code, qui s’applique aux membres des Forces canadiennes et à certaines autres personnes, énonce certaines infractions propres aux Forces armées (comme la mutinerie ou la désertion) ainsi que la procédure applicable à la tenue de séances de la cour martiale. Selon l’article 130 de la LDN, tout acte ou toute omission punissable en vertu du Code ou de toute autre loi fédérale constitue une infraction aux termes du code de disciplinaire militaire. Toutes les dispositions de ce dernier visant l’emprisonnement à perpétuité – la peine minimale obligatoire imposée en cas de meurtre – s’appliquent.

L’article 140.3 de la LDN porte sur l’imposition par la cour martiale d’une peine d’emprisonnement à perpétuité. Le paragraphe 2 précise explicitement que les dispositions du Code concernant l’imposition d’une peine d’emprisonnement à perpétuité s’appliquent, de même que les recommandations qu’un jury a pu formuler. L’article 6 du projet de loi donne suite à l’ajout de l’article 745.21 et élargit le libellé du paragraphe 745.21(1) pour qu’il englobe toute recommandation du jury concernant l’imposition de périodes consécutives d’inadmissibilité à la libération conditionnelle en cas de meurtres multiples. La mention des membres du jury dans le Code vaut mention ici des membres du comité de la cour martiale générale.

L’article 149 de la LDN prévoit que dans les cas où un tribunal militaire inflige une peine d’incarcération à un individu déjà condamné par un autre tribunal militaire à une peine semblable, les deux peines d’incarcération sont exécutées simultanément à compter du prononcé de la plus récente, la plus grave dans l’échelle des peines ayant préséance. L’article 7 du projet de loi subordonne cette disposition au nouvel article 745.51 du Code. En vertu de cet article, le juge de première instance pourra, dans les cas de meurtres multiples, ordonner que les délais préalables à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient consécutifs et non concurrents.

Les articles 230 et 230.1 de la LDN portent respectivement sur le droit d’appel à la Cour d’appel de la cour martiale qu’a toute personne assujettie au code de discipline militaire et sur celui du ministre de la Défense. Les articles 8 et 9 du projet de loi modifient ces dispositions en conformité avec les modifications apportées au Code en ce qui concerne le droit d’appel. Les deux parties peuvent appeler auprès de la Cour d’appel de la cour martiale d’une décision d’ordonner ou de refuser d’ordonner que les délais préalables à la libération conditionnelle soient consécutifs et non concurrents.

Commentaire

Le projet de loi C-54 et sa proposition de prolonger la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle en cas de meurtres multiples suscitent de vifs débats. La présente partie du résumé législatif tente de présenter le plus fidèlement possible les points de vue exprimés sur cette question, en insistant en particulier sur les comptes rendus des médias.

Sharon Rosenfeldt, fondatrice de l’organisme Victimes de Violence, se réjouit du dépôt du projet de loi. Concernant son application aux tueurs en série, elle affirme que même si le projet de loi s’applique à un petit nombre de contrevenants, ces derniers sont les meurtriers qui « causent le plus de peur, de controverse et d’agitation au sein de notre système judiciaire et de la population canadienne – principalement en raison du caractère horrible de leurs crimes » et du nombre de vies qu’ils enlèvent avant d’être arrêtés(21).

D’après un éditorialiste, le projet de loi est très raisonnable en ce qu’il tient compte de ce que les vies de toutes les victimes d’un tueur ont la même valeur, ce qui justifie l’imposition de peines distinctes d’égale durée. Toujours selon cet éditorialiste, le projet de loi reconnaît que certains criminels sont irrécupérables et ne devraient jamais être remis en liberté, mais laisse tout de même de l’espoir à certains contrevenants. En ce sens, il respecte le triple objectif de l’incarcération, à savoir la sanction, la sécurité publique et la réinsertion sociale(22). L’éditorialiste ajoute que les tueurs ne sont pas tous irrécupérables et que l’espoir d’obtenir une libération conditionnelle constitue pour eux une forte motivation à se réadapter et contribue donc à la sécurité des agents correctionnels travaillant au milieu d’eux.

Pour sa part, le professeur Doug King de l’Université Mount Royal doute que le resserrement des règles en matière de libération conditionnelle ait un quelconque effet dissuasif. À son avis, la mesure sera peut-être populaire, mais il est peu probable qu’elle contribuera à la sécurité de la société. M. King souligne aussi que, si la sanction est un élément sous-jacent à la peine, elle n’est pas la seule raison qui motive l’incarcération d’une personne(23).


Notes

*  Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]

  1. L.R.C. (1985), ch. C-46.
  2. L’art. 229 du Code définit l’homicide coupable comme un meurtre :

    a) la personne qui cause la mort d’un être humain : 

    (i)  ou bien a l’intention de causer sa mort,

    (ii) ou bien a l’intention de lui causer des lésions corporelles qu’elle sait être de nature à causer sa mort, et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non;

    b)   une personne, ayant l’intention de causer la mort d’un être humain ou ayant l’intention de lui causer des lésions corporelles qu’elle sait de nature à causer sa mort, et ne se souciant pas que la mort en résulte ou non, par accident ou erreur cause la mort d’un autre être humain, même si elle n’a pas l’intention de causer la mort ou des lésions corporelles à cet être humain;

    c)   une personne, pour une fin illégale, fait quelque chose qu’elle sait, ou devrait savoir, de nature à causer la mort et, conséquemment, cause la mort d’un être humain, même si elle désire atteindre son but sans causer la mort ou une lésion corporelle à qui que ce soit.

  3. Le meurtre au premier degré est défini à l’art. 231 du Code. Ce type de meurtre englobe les éléments suivants : la préméditation et le propos délibéré, la mort d’un agent de police (ou de tout autre agent d’application de la loi) dans l’exercice de ses fonctions, la mort causée en commettant ou en tentant de commettre certains autres actes criminels, et la perpétration du meurtre dans le contexte d’activités terroristes ou liées au crime organisé. Les meurtres qui n’appartiennent pas à la catégorie des meurtres au premier degré sont des meurtres au deuxième degré.
  4. Le délinquant qui bénéficie d’une libération d’office doit purger le dernier tiers de sa peine dans la collectivité, où il est soumis à une surveillance et à des conditions semblables à celles imposées aux délinquants mis en liberté conditionnelle totale. Les délinquants purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité ou une peine d’emprisonnement à durée indéterminée ne sont pas admissibles à la libération d’office. Les délinquants en libération d’office sont ceux qui n’ont pas formulé de demande de libération conditionnelle ou qui se sont vu refuser la libération conditionnelle totale. La libération d’office peut être refusée à un délinquant lors d’une audience de maintien en incarcération si l’on juge que celui-ci risque de commettre une infraction causant la mort ou un tort grave à une autre personne, une infraction d’ordre sexuel à l’égard d’un enfant ou une infraction grave liée à la drogue. Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLSC), L.C. 1992, ch. 20, art. 127 à 134.
  5. Code, art. 745.6 à 745.63.
  6. Selon le par. 722(4) du Code, la victime dans ce contexte est soit l’époux ou le conjoint de fait de la personne assassinée, soit un parent, soit quiconque en a la garde, en droit ou en fait, soit toute personne aux soins de laquelle elle est confiée ou qui est chargée de son entretien, soit une personne à sa charge.
  7. Code, par. 718.3(4).
  8. R. c. Sinclair (1972), 6 C.C.C. (2e) 523 (OCA).
  9. Ibid. La Cour d’appel de l’Ontario a cité la maxime lex non intendit aliquid impossibile (« La loi ne vise pas ce qui est impossible »).
  10. Selon l’art. 120.2 de la LSCMLSC :

    120.2(2)  Le délinquant qui est condamné à une peine d’emprisonnement supplémentaire pour une période déterminée alors qu’il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité ou pour une période indéterminée n’est admissible à la libération conditionnelle totale qu’à la date à laquelle il a accompli le temps d’épreuve auquel il est assujetti au moment de la condamnation ainsi que le temps d’épreuve sur la peine supplémentaire.

    120.2(3)  En cas de réduction du temps d’épreuve sur la peine d’emprisonnement à perpétuité en vertu de l’article 745.6 du Code criminel, du paragraphe 140.3(2) de la Loi sur la défense nationale ou du paragraphe 15(2) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, le délinquant visé au paragraphe (2) n’est admissible à la libération conditionnelle totale qu’à la date à laquelle il a accompli le temps d’épreuve auquel il aurait été assujetti, compte tenu de la réduction, à la date de la condamnation à la peine supplémentaire ainsi que le temps d’épreuve sur la peine supplémentaire.

  11. Selon l’art. 120.3 de la LSCMLSC :

    120.3     Sous réserve de l’article 745 du Code criminel, du paragraphe 140.3(1) de la Loi sur la défense nationale et du paragraphe 15(1) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, lorsqu’un délinquant qui purge une peine d’emprisonnement est condamné à une peine supplémentaire, la limite maximale du temps d’épreuve requis pour la libération conditionnelle totale est de quinze ans à compter de la condamnation à la dernière peine.  

  12. Dimaulo c. Canada (Commissaire du Service correctionnel), 2001 CFPI 1230.
  13. Cooper c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1329.
  14. Ministère de la Justice [R.-U.], Offender Management Caseload Statistics 2008, pdf (2.2 Mo, 171 pages) 31 juillet 2009, p. 144.
  15. The Parole Board for Scotland Annual Report 2008-09, pdf (376 Ko, 28 pages) décembre 2009.
  16. The Parole Board Annual Report 2008 pdf (959 Ko, 17 pages) [Irlande], juin 2009.
  17. Commission des libérations conditionnelles de la Nouvelle-Zélande, Report of the New Zealand Parole Board for the year ended 30 June 2003. pdf (80 Ko, 12 pages)
  18. Ashley Nellis et Ryan S. King (The Sentencing Project), No Exit: The Expanding Use of Life Sentences in America, pdf (2 Mo, 49 pages) juillet 2009.
  19. Ibid., p. 4 et 5.
  20. L.R.C. (1985), ch. N-5.
  21. Kathleen Harris, « Killing hope of killers: Bill aims to ensure Canada’s worst never see freedom », The Calgary Sun, 29 octobre 2009, p. 22 [traduction].
  22. « Rebalancing the scales of justice », éditorial, Calgary Herald, 11 novembre 2009, p. A10.
  23. Janice Tibbetts, « Killers could lose chance at parole », Calgary Herald, 29 octobre 2009, p. B5.

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