Résumé législatif du Projet de loi C-56

Résumé Législatif
Projet de loi C-56 : Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (représentation démocratique)
André Barnes, Division du droit et du gouvernement
Publication no 39-1-LS-561-F
PDF 94, (11 Pages) PDF
2007-08-16

Table des matières


Introduction

Le projet de loi C-56 : Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (représentation démocratique), a été présenté à la Chambre des communes par le leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre de la Réforme démocratique, l’honorable Peter Van Loan, C.P., député, et a reçu la première lecture le 11 mai 2007.  Il modifie la Loi constitutionnelle de 1867 en révisant le nombre des députés à la Chambre des communes et des représentants des diverses provinces.

L’objectif démocratique du système électoral canadien, tel qu’il est énoncé dans la Loi électorale du Canada, est conforme au principe d’« un électeur, un vote »(1).  En réalité, toutefois, l’application de ce principe exige dans une certaine mesure un compromis acceptable.  Depuis la Confédération, on a eu recours à plusieurs formules pour répartir les sièges à la Chambre des communes entre les provinces; chacune de ces formules devait établir un équilibre entre l’égalité absolue du pouvoir électoral et la représentation efficace.

Le projet de loi vise à corriger la distorsion entre la croissance du nombre de représentants élus accordé à chaque province et celle de la population de chacune.  Pour ce faire, il promulguera une nouvelle formule de révision du nombre de sièges à la Chambre des communes.  À l’instar de la formule actuelle, celle qui est prescrite dans le projet de loi prévoit la révision du nombre de sièges après chaque recensement décennal et l’attribution des sièges nouvellement créés à la province ou leur répartition entre les provinces dont la population s’accroîtra entre deux recensements.

Ce qui distingue la formule énoncée dans le projet de loi, c’est qu’elle augmente le nombre par lequel on divisera la population totale des provinces, fixé actuellement à 279.  En outre, ce « diviseur électoral » continuerait d’augmenter à chaque recensement décennal, à supposer que la population totale des provinces poursuive sa croissance.  La formule, et surtout le diviseur électoral, aurait pour effet, au moment de réviser le nombre de députés à la Chambre des communes, de majorer les augmentations découlant de la croissance de la population totale des provinces.

Le fondement juridique de la révision du nombre de sièges à la Chambre des communes est l’article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui confère au Parlement du Canada le pouvoir de réviser le nombre des députés à la Chambre des communes et d’établir les modalités et la périodicité de cette révision(2).

Quant au pouvoir du Parlement de modifier l’article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867, l’article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 dispose que :

Sous réserve des articles 41 et 42, le Parlement a compétence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes.

L’article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 habilite donc le gouvernement à modifier, par une loi du Parlement, la formule constitutionnelle de répartition des sièges à la Chambre des communes.

Contexte

A.  Historique de la formule

Les différences entre les populations respectives de l’Ontario, du Québec et des provinces maritimes à l’époque de la Confédération ont entraîné l’adoption de la « représentation selon la population », ou de l’égalité des électeurs, comme principe directeur régissant la représentation à la Chambre des communes(3).  Au fil du temps, à la faveur de la croissance du pays, la population s’est répartie inégalement dans les provinces, ce qui a créé des écarts numériques qui ont obligé à des compromis et à des concessions censés combler la différence lorsqu’on s’éloignait trop de l’égalité des électeurs(4).

1.  La formule à la Confédération

L’article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867 dispose qu’il faut calculer le nombre de sièges attribués à chaque province à la Chambre des communes en divisant la population de chacune par un nombre fixe appelé « quotient electoral »(5).  On obtenait ce quotient électoral en divisant la population du Québec par 65, soit le nombre de sièges à la Chambre des communes que cette loi garantissait à la province.  Après chaque recensement décennal à compter de celui de 1871, le nombre de sièges à la Chambre des communes devait être révisé.

La Loi constitutionnelle de 1867 prévoyait de plus qu’aucune province ne pouvait perdre de siège à l’occasion d’un redécoupage électoral, à moins que le pourcentage de sa population par rapport à la population totale du pays n’ait diminué d’au moins 5 p. 100 (un vingtième) entre les deux derniers recensements; aussi appelait-on cette exigence la « règle du vingtième »(6).

2.  La « clause sénatoriale » (1915)

Au cours des années qui ont précédé la Confédération, on a commencé à craindre que les tendances dans les transferts de population ne finissent par entraîner une perte importante de représentation dans certaines provinces(7).  Pour se prémunir contre cette éventualité, le Parlement a apporté, en 1915, la toute première modification à la formule de représentation initiale en ajoutant l’article 51(A) à la Loi constitutionnelle de 1867.  Cette disposition, qui est toujours en vigueur aujourd’hui, précise qu’une province ne peut avoir moins de sièges à la Chambre des communes qu’au Sénat(8).

3.  Les modifications apportées à la formule en 1946 et en 1951

Comme un certain nombre de provinces étaient de plus en plus mécontentes des règles régissant la répartition provinciale des sièges à la Chambre des communes, parce que ces règles faussaient de façon inacceptable les résultats de l’application du principe de la représentation selon la population(9), la Constitution a été modifiée en 1946 de manière à établir une nouvelle formule de révision de l’attribution des sièges à la Chambre des communes.  On a fixé à 255 le nombre total de sièges, dont un pour le Yukon, les 254 autres étant répartis parmi les provinces en fonction de leur part de la population totale du pays plutôt que selon la population moyenne par circonscription électorale au Québec(10).  De plus, la formule du « vingtième » a été abolie(11).

La population n’augmentant pas à la même cadence dans toutes les provinces, on n’a pas tardé à constater qu’avec cette nouvelle formule, celles qui avaient les taux de croissance démographique les plus faibles perdraient des sièges à la Chambre.  La Nouvelle-Écosse, le Manitoba et la Saskatchewan devant toutes en perdre après le recensement de 1951, on a modifié la Loi constitutionnelle de 1867 en y intégrant la « clause des 15 p. 100 » afin d’éviter une chute rapide de la représentation fédérale dans certaines provinces(12).  Cette disposition prévoyait qu’aucune province ne pouvait perdre plus de 15 p. 100 des sièges à la Chambre auxquels elle avait droit en vertu de la révision précédente ni y détenir moins de sièges qu’une province ayant une population plus faible.  Il n’en demeure pas moins qu’au terme des révisions suivantes, de plus en plus de provinces ont perdu des sièges.

4.  La formule de « l’amalgame » (1974)

La Loi sur la représentation (1974), aussi désignée par l’expression « formule de l’amalgame », a été adoptée en vue de garantir notamment qu’aucune province ne perdrait de sièges(13).  Cette nouvelle formule portait le nombre de sièges du Québec de 65 à 75 et prévoyait que la province gagnerait automatiquement quatre sièges à chaque révision ultérieure pour tenir compte de la croissance de sa population.  La formule créait aussi trois catégories de provinces : les provinces très peuplées (au moins 2,5 millions d’habitants), les provinces moyennement peuplées (entre 1,5 et 2,5 millions d’habitants) et les provinces peu peuplées (moins de 1,5 million d’habitants).  Les provinces très peuplées se sont vu attribuer proportionnellement autant de sièges que le Québec, tandis que des règles distinctes et plus généreuses ont été établies pour le calcul du nombre de sièges des provinces peu ou moyennement peuplées(14).

On a appliqué la formule de l’amalgame une fois, en 1976, pour porter le nombre de sièges à la Chambre des communes à 282, mais on ne l’a plus fait depuis, parce que les projections ont révélé qu’au fil des révisions, elle ferait augmenter le nombre de sièges plus qu’on ne le souhaitait. 

5.  La Loi constitutionnelle de 1985 (représentation électorale)

La formule qui sert actuellement au calcul de la répartition des sièges à la Chambre des communes est énoncée dans la Loi constitutionnelle de 1985 (représentation électorale), également appelée Loi de 1985 sur la représentation électorale.  Le nombre de sièges attribué à chaque province est maintenant calculé de la façon suivante :

  • La Loi de 1985 sur la représentation électorale dispose que 282 députés siégeront à la Chambre : elle attribue un siège chacun aux Territoires du Nord-Ouest, au Yukon et au Nunavut(15).  Les 279 sièges qui restent servent de base au calcul du quotient électoral.
  • On obtient le quotient électoral en divisant la population totale des dix provinces par 279.
  • On calcule le nombre de sièges attribués à chaque province en divisant la population de chacune par le quotient électoral et en arrondissant tout reste de 0,50 ou plus à la hausse jusqu’au nombre entier suivant.

La Loi de 1985 sur la représentation électorale prévoit aussi une garantie supplémentaire empêchant les provinces de perdre des sièges au terme d’une révision; elle assortit en effet la « clause sénatoriale » d’une « clause d’antériorité ».  Selon cette disposition, une province ne peut avoir moins de sièges à la Chambre des communes qu’elle n’en avait en 1976, soit au cours de la 33e législature(16).  Après le recensement décennal de 2001, le nombre de députés à la Chambre a été porté à 308.

Description et analyse

Le titre abrégé du projet de loi C-56 est « Loi constitutionnelle de 2007 (représentation démocratique) » (art. 1).

L’article 2 remplace le paragraphe 51(1) de la Loi constitutionnelle de 1867.  Il énonce quatre règles pour le calcul servant à réviser l’attribution des sièges aux provinces à la Chambre des communes :

    1. La population totale des provinces est divisée par le « diviseur électoral » (voir ci-dessous).  La population de chaque province est ensuite divisée par le quotient obtenu, ce qui donne un autre quotient égal au nombre de sièges qui lui sont attribués (le résultat final dont la partie décimale dépasse 0,50 étant arrondi à l’unité supérieure).
    2. Si le nombre de sièges établi pour une province par l’application de la règle 1 ou de l’article 51(A) de la Loi constitutionnelle de 1867, aussi appelée « clause sénatoriale », est plus faible que le nombre de sièges qu’avait cette province à la date d’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1985 sur la représentation électorale, le nombre de députés nécessaire est ajouté pour compenser la perte subie au terme de la révision de la représentation. 
    3. Des sièges supplémentaires seront attribués à toute province dont la représentation n’aura pas augmenté en raison de l’application des règles 1 et 2, afin que le nombre de ses députés produise un quotient électoral qui se rapproche le plus possible à celui de la province la plus populeuse à se voir attribuer des sièges supplémentaires, à condition que la province en question ait une population inférieure à celle de la province la plus populeuse à recevoir des sièges.
    4. a) On établira le « diviseur électoral » applicable aux fins de la première révision de la représentation à la Chambre des communes qui a lieu après l’entrée en vigueur du projet de loi en divisant la population totale des provinces, selon les résultats du recensement décennal le plus récent, par le nombre de sièges attribué à l’ensemble des provinces après la première révision effectuée après l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1985 sur la représentation électorale.

b) On établira le « diviseur électoral » applicable aux fins des révisions subséquentes en divisant la population totale des provinces, selon les résultats du recensement décennal le plus récent, par le nombre de sièges à la Chambre des communes attribué 30 ans avant le recensement décennal le plus récent.

L’article 3 du projet de loi est une disposition interprétative selon laquelle toute mention des lois constitutionnelles de 1867 et de 1982 vise notamment le projet de loi.

Commentaire

Le projet de loi C-56 fait partie des réformes démocratiques du gouvernement.  Il vise à rendre le système électoral canadien plus conforme à son principe de base initial, la représentation selon la population.  On peut affirmer qu’une révision basée sur la formule prescrite dans le projet de loi atteindrait mieux cet objectif que la formule actuellement employée.  Selon la nouvelle formule, les provinces dont la population augmentera le plus rapidement, soit l’Alberta, la Colombie-Britannique et l’Ontario, devraient, après la révision de 2011, recevoir une part des sièges correspondant davantage, voire presque exactement dans certains cas, à leur part de la population totale des provinces(17).

Toutefois, le premier ministre de l’Ontario, Dalton McGuinty, et d’autres ont signalé que même sous le nouveau régime de révision de la représentation des provinces à la Chambre des communes établi dans le projet de loi, l’Ontario demeurera sous-représentée à la Chambre(18).  Le projet de loi suscite également des réserves à l’Assemblée nationale du Québec.  La province conservera bien ses 75 sièges, mais la nouvelle formule de révision entraînera une baisse du pourcentage des sièges détenus par la province à la Chambre.  Le 16 mai 2007, l’Assemblée nationale a unanimement appuyé une motion exhortant le gouvernement fédéral à retirer son projet de loi sur la réforme démocratique(19).

Il convient peut-être aussi de noter que le projet de loi propose un diviseur ascendant pour réviser le nombre de sièges de chaque province à la Chambre des communes.  Ainsi, les augmentations du nombre de députés fédéraux seront plus importantes que celles qu’entraînerait une formule basée sur un diviseur électoral fixe.  De plus, 30 ans après l’entrée en vigueur du projet de loi, les augmentations fondées sur un nombre total de sièges révisé au moyen d’un diviseur électoral ascendant auront un effet cumulatif, contrairement à ce qui se produirait s’il était révisé au moyen d’un diviseur électoral fixe.  Cela pourrait avoir pour résultat de produire des augmentations beaucoup trop fortes du nombre de sièges, comme le ferait la formule de « l’amalgame ».


*   Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur.  Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur.

Notes

    1. Élections Canada, La représentation à la Chambre des communes du Canada, mars 2002, p. 3.
    2. Loi constitutionnelle de 1867, par. 51(1) :

      À l’entrée en vigueur du présent paragraphe et, par la suite, à l’issue de chaque recensement décennal, il est procédé à la révision du nombre des députés et de la représentation des provinces à la Chambre des communes selon les pouvoirs conférés et les modalités de temps ou autres fixées en tant que de besoin par le Parlement du Canada, compte tenu des règles suivantes.

Voir aussi la section Contexte du présent résumé législatif, intitulée « La formule à la Confédération », partie 1, p. 3.

  1. Russell Alan Williams, « Canada’s System of Representation in Crisis:  the ‘279 Formula’ and Federal Electoral Redistributions », The American Review of Canadian Studies, printemps 2005, p. 103.
  2. Ibid.,p. 99 et 100.
  3. Élections Canada (2002), p. 6.
  4. Ibid.
  5. Williams (2005), p. 104.
  6. Élections Canada (2002), p. 6.
  7. Robert Marleau et Camille Montpetit, La procédure et les usages de la Chambre des communes, 2000, Ottawa, Chambre des communes, p. 144.
  8. Ibid.
  9. Voir la Loi constitutionnelle de 1946, L.R.C. 1985, annexe II, no 30.  Pour plus de précisions, voir Norman Ward, The Canadian House of Commons:  Representation, Toronto, University of Toronto Press, 1950, p. 54 et 55.
  10. Ibid., p. 144 et 145.
  11. Voir Débats, 2 décembre 1974, p. 1846.  Pour plus de précisions, voir Norman Ward, Dawson’s The Government of Canada, 6e éd., Toronto, University of Toronto Press, 1987, p. 91.
  12. Élections Canada (2002), p. 8.  Voir aussi Débats, 2 décembre 1974, p. 1845 à 1847, où Mitchell Sharp, Président du Conseil privé, décrit la formule de l’amalgame.
  13. Comme le prévoit la Loi constitutionnelle de 1999 (Nunavut).
  14. Élections Canada (2002),p. 9.
  15. Ibid., p. A1.
  16. Brian Laghi et Karen Howlett, « Tory Bill Unfair, McGuinty Charges », The Globe and Mail [Toronto], 18 mai 2007, p. A1.
  17. Chantal Hébert,« Harper Running Out of Options on Quebec », Toronto Star, 21 mai 2007, p. A13.

 


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