Résumé législatif du Projet de loi C-59

Résumé Législatif
Projet de loi C-59 : Loi modifiant la Loi sur Investissement Canada
Andrew Kitching, Division du droit et du gouvernement
Publication no 38-1-LS-515-F
PDF 60, (11 Pages) PDF
2005-10-14

Table des matières



La Loi sur Investissement Canada (LIC)(1) permet au gouvernement canadien d’examiner les acquisitions de compagnies canadiennes par des étrangers. Cet examen est fondé sur des critères économiques et effectué seulement dans le cas d’investissements qui dépassent un certain seuil financier.

Le projet de loi C 59 : Loi modifiant la Loi sur Investissement Canada, déposé à la Chambre des communes le 20 juin 2005 par l’honorable David L. Emerson, ministre de l’Industrie, modifie la LIC pour permettre au gouvernement d’examiner des investissements pour raison de sécurité nationale, quelle que soit l’importance de l’opération. Le dépôt du projet de loi serait attribuable à l’intérêt grandissant des investisseurs étrangers pour les entreprises canadiennes du secteur des ressources ainsi qu’aux préoccupations relatives à la sécurité qu’ont suscitées les attentats du 11 septembre 2001.

Contexte

La LIC vise à encourager les investissements au Canada « qui contribueront à la croissance de l’économie et à la création d’emplois » ainsi qu’à instaurer l’examen des investissements importants dans des compagnies canadiennes afin de garantir ces avantages(2).

Aux termes de la LIC, les investisseurs étrangers(3) qui acquièrent des entreprises canadiennes en y investissant un montant qui dépasse les seuils prévus (250 millions de dollars pour la plupart des opérations à l’heure actuelle) doivent soumettre cette opération à l’examen du ministre de l’Industrie(4). Le Ministère doit être avisé des acquisitions de ce genre impliquant un investissement inférieur aux seuils prévus, mais elles ne font pas l’objet d’un examen.

Le Ministre donnera son aval à une acquisition qui, à son avis, représente « un avantage net pour le Canada ». Industrie Canada pourra appliquer les critères suivants, prévus par la LIC, pour déterminer si un investissement est avantageux pour le pays :

  • l’effet de l’investissement sur l’activité économique, notamment sur l’emploi, la transformation des ressources, l’utilisation de pièces produites et de services rendus au Canada et les exportations canadiennes;

  • l’étendue et l’importance de la participation de Canadiens dans l’entreprise canadienne ou dans le secteur industriel en question;

  • l’effet de l’investissement sur la productivité, le rendement industriel, le progrès technologique, la création de produits nouveaux et la diversité des produits au Canada;

  • l’effet de l’investissement sur la concurrence dans un ou plusieurs secteurs industriels au Canada;

  • la compatibilité de l’investissement avec les politiques nationales en matière industrielle, économique et culturelle;

  • la contribution de l’investissement à la compétitivité canadienne sur les marchés mondiaux(5).

Pour arriver à sa décision, le ministre de l’Industrie prend en compte les effets économiques éventuels, tant positifs que négatifs, puis approuve ou interdit l’investissement. Si la transaction est déjà faite, il peut ordonner que la compagnie étrangère se départe de la compagnie canadienne dont elle a acquis le contrôle. Les investisseurs étrangers doivent parfois prendre des engagements avant que le Ministre leur donne le feu vert. Ils peuvent, par exemple, s’engager à garder une usine ouverte ou à embaucher un nombre minimum de Canadiens. La LIC prévoit un mécanisme qui les oblige à rendre des comptes s’ils manquent à leurs engagements.

L’examen repose sur des critères économiques et ne tient pas compte généralement de facteurs sociaux, environnementaux ou autres. En outre, les critères économiques sont précisés par la LIC, ce qui, à l’heure actuelle, laisse au Ministre une faible marge de manœuvre pour examiner les investissements en fonction d’autres facteurs, car, en agissant ainsi, il outrepasserait le pouvoir qui lui est conféré par la loi. Le projet de loi modifie la LIC de manière à permettre l’examen d’investissements pour raison de sécurité nationale.

Description et analyse

   A. Modifications à l’objet et aux définitions de la Loi sur Investissement Canada

L’article premier du projet de loi modifie l’article de la LIC sur l’objet de celle-ci afin d’y inclure la protection de la sécurité nationale. L’article 2 change la définition de « Canadien » de manière à prendre en compte le nouveau paragraphe 26(2.11) servant à déterminer si une unité est sous contrôle canadien en ce qui concerne l’examen pour raison de sécurité nationale.

   B. Exemptions

La partie II de la LIC dispose que diverses opérations sont exemptées d’un examen. Aux termes du paragraphe 10(1), la fourniture de capital de risque et le commerce des valeurs mobilières, par exemple, ne sont pas des activités soumises à examen.

L’article 3 du projet de loi remplace le paragraphe 10(2) actuel de la LIC par les nouveaux paragraphes 10(1.1) et (2), afin de créer une liste distincte d’opérations exemptées de l’examen des investissements pour raison de sécurité nationale. Ces catégories d’exemptions sont beaucoup plus étroites que celles liées à des facteurs économiques. L’acquisition de sociétés d’État et les opérations touchant les institutions financières, qui, de toute façon, sont sujettes à examen aux termes de la Loi sur les banques et d’une loi complémentaire régissant les institutions financières sous réglementation fédérale, sont exemptées de l’examen pour raison de sécurité nationale.

   C. L’examen des investissements pour raison de sécurité nationale

L’article 4 du projet de loi ajoute des dispositions de fond et notamment une nouvelle partie IV.1 (« Investissements portant atteinte à la sécurité nationale ») à la LIC. Aux termes de l’article 25.1, un examen pour raison de sécurité nationale sera obligatoire dans le cas d’investissements effectués par un non Canadien en vue de constituer une nouvelle entreprise canadienne, d’acquérir le contrôle d’une entreprise canadienne, ou encore de constituer une entreprise exploitée au Canada ou ayant des employés ou des actifs au pays ou d’en acquérir le contrôle.

Le nouveau paragraphe 25.2(1) dispose que si le Ministre a des motifs raisonnables de croire que l’investissement pourrait porter atteinte à la sécurité nationale, il peut aviser l’investisseur de la possibilité que l’investissement fasse l’objet d’un examen. Avant de procéder à l’investissement, la compagnie étrangère doit alors attendre qu’on l’autorise à le faire ou qu’on lui indique que son investissement ne sera pas sujet à examen ultérieur.

Aux termes des paragraphes 25.3(4) et (5), la compagnie étrangère peut présenter des observations au Ministre lui expliquant pourquoi il devrait approuver l’investissement et celui-ci peut exiger que la compagnie étrangère lui fournisse tout renseignement qu’il estime nécessaire à l’examen.

Si le Ministre est convaincu que l’investissement porterait atteinte à la sécurité nationale ou s’il n’est pas en mesure de prendre une décision, faute de renseignements suffisants, il renvoie la question au gouverneur en conseil (Cabinet) et lui remet un rapport détaillé de ses conclusions et recommandations. Par contre, s’il est convaincu que l’investissement ne menace pas la sécurité nationale, il est tenu de faire parvenir à l’investisseur un avis l’informant qu’aucune mesure supplémentaire ne sera prise. Il doit arriver à sa décision dans le délai réglementaire.

Si le gouverneur en conseil est saisi de la question, le nouvel article 25.4 prévoit que le Cabinet peut, dans le délai réglementaire, prendre par décret toute mesure relative à l’investissement qu’il estime indiquée pour préserver la sécurité nationale, notamment interdire l’acquisition, autoriser l’investissement à condition que la compagnie étrangère prenne certains engagements ou exiger qu’elle se départe de la compagnie canadienne acquise.

Le nouvel article 25.5, permet à Industrie Canada de vérifier si la compagnie étrangère respecte ses engagements en exigeant qu’elle lui remette l’information qu’il demande.

En dernier lieu, l’article 25.6 dispose que les décisions du Ministre ou du Cabinet ne sont pas susceptibles d’appel, sous réserve d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale.

   D. Règles sur le statut canadien et l’acquisition de contrôle

En vertu du paragraphe 26(1) de la LIC, le Ministre peut décider si la compagnie faisant une acquisition est canadienne et donc soustraite à l’application de la LIC. Même alors, la compagnie sera réputée canadienne en vertu du paragraphe 26(3) si la majorité de ses actions avec droit de vote sont la propriété de Canadiens, si le lieu de ses activités principales est situé au Canada et si les membres de son conseil d’administration sont pour la plupart des citoyens canadiens. Cette disposition limite le pouvoir du Ministre pour ce qui est de déterminer si une compagnie est contrôlée par des Canadiens.

L’article 5 du projet de loi introduit des dispositions parallèles permettant au Ministre de déterminer le statut canadien d’une compagnie en ce qui concerne l’examen pour raison de sécurité nationale. Toutefois, le projet de loi dispose ensuite que les dispositions déterminatives du paragraphe 26(3) ne s’appliquent pas aux examens pour raison de sécurité nationale. Par conséquent, dans le cas d’un tel examen, le Ministre n’a pas à tenir compte des présomptions qui accompagnent les examens liés à des facteurs économiques en vertu de la LIC.

L’article 28 de la LIC établit les critères à partir desquels le Ministre peut déterminer si une compagnie étrangère a en fait acquis le contrôle d’une entreprise canadienne. L’article 6 du projet de loi modifie la LIC de manière à fournir des critères semblables au Ministre pour décider si une opération sera sujette à un examen pour raison de sécurité nationale.

   E. Renseignements sur les engagements

L’article 36 de la LIC porte sur la communication de renseignements confidentiels. Aux termes du paragraphe 36(1), tout renseignement obtenu par Industrie Canada dans le cadre de l’application de la LIC est confidentiel et ne doit pas être communiqué à un tiers.

Même si le Ministère n’est généralement pas autorisé à communiquer de l’information relative aux investissements étrangers, le paragraphe 36(3) de la LIC prévoit des exceptions à cette règle(6). Par exemple, le Ministère peut communiquer des renseignements contenus dans un engagement écrit pris par une personne morale relativement à un investissement. En outre, il peut divulguer toute mise en demeure officielle(7) qu’il présente à une personne morale qui a fait défaut de se conformer à ses engagements.

Aux termes de l’article 7 du projet de loi, les renseignements destinés à un examen pour raison de sécurité nationale sont confidentiels. Le nouvel article 3.1 de la LIC dispose toutefois que les renseignements privilégiés peuvent être communiqués à tout organisme d’enquête visé par règlement. La modification apportée au sous-alinéa 36(4)e)(iii) de la LIC signifie que le Ministre ne peut pas être tenu de révéler à un tiers une mise en demeure officielle présentée en raison d’un manquement à un engagement, comme il pourrait le faire dans le cas d’un examen d’ordre économique.

   F. Modifications aux mesures d’application de la LIC

L’article 8 du projet de loi apporte des modifications aux mesures d’application de la LIC. La modification de l’alinéa 39(1)b) et l’ajout des alinéas 39(1)d.1), d.2) et d.3) permettent au Ministre de faire émettre une mise en demeure exigeant d’une compagnie qu’elle se conforme aux décrets pris par lui ou le Cabinet.

Le paragraphe 39(1.1) a été ajouté afin d’augmenter la portée des mises en demeure émises par le Ministre en vertu de la LIC. On peut accuser de contravention « la personne ou l’unité » à qui la mise en demeure est adressée, et pas uniquement un « non-Canadien », qui fait défaut de se conformer à une demande de renseignements ou à un décret pris par le Cabinet, comme le dispose le paragraphe 39(1). La mise en demeure émise pour cause de non-conformité fait état des poursuites judiciaires qui peuvent être instituées en vertu de la LIC.

L’article 9 actualise la LIC en permettant au ministre de l’Industrie de présenter une demande d’ordonnance judiciaire à une cour supérieure pour obliger une compagnie à respecter tout engagement qu’elle aurait pris à la suite d’un examen pour raison de sécurité nationale. Le nouveau paragraphe 40(2.1) accroît la capacité du tribunal à faire observer les décrets liés à ces examens puisqu’elle peut ordonner à toute personne ou unité – non seulement à un non Canadien – de s’y conformer. Elle peut notamment infliger une pénalité maximale de 10 000 $ par jour si elle constate que la personne ou l’unité contrevient à la LIC et la punir pour outrage au tribunal. Toutes les pénalités infligées sont des créances de Sa Majesté du chef du Canada.

Commentaire

Le projet de loi C 59 donne au Cabinet le pouvoir d’empêcher, sur la recommandation du Ministre, les investissements étrangers dans des compagnies canadiennes pour raison de sécurité nationale. Contrairement à l’examen d’ordre économique, celui pour raison de sécurité nationale ne tient pas compte d’un seuil financier, ce qui signifie qu’en théorie, toutes les acquisitions sont sujettes à examen. En outre, le projet de loi ne définit pas « portant atteinte à la sécurité nationale » et n’énumère pas de facteurs à considérer au cours de l’examen.

Les détracteurs du projet de loi continuent à affirmer que l’examen pour raison de sécurité nationale manquera de transparence, arguant que l’absence de critères précisant en quoi consiste une menace à la sécurité nationale et la participation du Cabinet à la prise des décisions vont inévitablement politiser l’investissement étranger dans les compagnies canadiennes(8). Ils soutiennent aussi que le projet de loi n’est qu’une réaction xénophobe à l’intérêt récemment manifesté par la Chine à l’égard des ressources naturelles du Canada et qu’il a peu à voir avec la sécurité nationale du pays. Ils soutiennent par ailleurs que le projet de loi fournira plutôt aux politiciens canadiens un mécanisme qui leur permettra de bloquer les investissements qu’ils considèrent politiquement désavantageux, comme la prise de contrôle de Noranda par la société d’État chinoise Minmetals(9).

En réponse à ces critiques, le ministre de l’Industrie a indiqué que le projet de loi servirait à contrôler les investissements étrangers dans des domaines comme les technologies de chiffrement et des satellites et qu’il ne vise pas expressément les champs de pétrole ni le secteur des ressources naturelles(10). Le Ministre a aussi rejeté les allégations selon lesquelles le processus d’approbation des investissements serait politisé : « Nous nous attendons à ce que la disposition en matière de sécurité nationale soit rarement invoquée. Les États-Unis n’ont rejeté qu’un seul investissement depuis qu’ils ont adopté une loi semblable en 1988. »(11)

Des observateurs aux États-Unis ont recommandé au gouvernement américain d’exercer des pressions diplomatiques sur le Canada pour le convaincre d’empêcher les investissements chinois dans le secteur de l’énergie canadien(12). Le gouvernement américain a indiqué toutefois qu’il ne s’inquiétait pas d’une prise de contrôle éventuelle des projets d’exploitation des sables bitumeux par la Chine(13).

Le projet de loi a suscité des réactions positives dans les médias, les commentateurs étant d’avis que les examens pour raison de sécurité nationale auraient dû être ajoutés à la LIC depuis longtemps(14).


* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur.

(1) Loi sur Investissement Canada, L.R. (1985), ch. 28 (1er suppl.).

(2) LIC, art. 2.

(3) Un investisseur étranger s’entend d’une personne qui n’est ni citoyen canadien ni résident permanent ou d’une personne morale contrôlée ou réputée contrôlée par des non Canadiens.

(4) L’acquisition par des étrangers d’industries jugées importantes pour l’identité et le patrimoine du Canada (au sens de l’annexe IV du Règlement sur Investissement Canada) ou leurs investissements dans ces industries sont examinés par le ministre du Patrimoine canadien. Les investissements dans des secteurs considérés « sensibles » – par exemple production d’uranium, services financiers et de transport – sont aussi assujettis à des règles spéciales et le seuil applicable est moins élevé.

(5) LIC, art. 20. Ces facteurs figurent aussi dans l’Accord de libre-échange nord-américain et dans certaines dispositions de l’Accord général sur le commerce des services et de l’Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce, tous deux des accords de l’Organisation mondiale du commerce.

(6) Industrie Canada peut communiquer des renseignements déjà publics, des renseignements destinés à des procédures judiciaires ou dont la communication a été autorisée par la compagnie étrangère concernée.

(7) LIC, art. 39.

(8) Voir, par exemple, Jesse Tracey et Cliff Sosnow, « Proposed Amendments to the Investment Canada Act », Blake’s Bulletin on International Trade, juillet 2005.

(9) Jeffrey Thomas, « Bill C-59: Foreign investment will become unpredictable and politicized if Ottawa caves in to vague national interest concerns », National Post [Toronto], 19 juillet 2005, p. FP 19.

(10) « National security bill not aimed at energy takeovers: Emerson », The Globe & Mail [Toronto],
15 juillet 2005, p. B1.

(11) « Our investment climate is stable », Vancouver Sun, 23 août 2005, p. A11 [traduction].

(12) « US officials sound alarm on China Unocal Bid », The Globe & Mail, 14 juillet 2005, p. B1.

(13) « U.S. Treasury Secretary says he’s ‘not concerned’ over China’s interest in Alberta’s rich oil sands », The Globe & Mail, 9 juillet 2005, p. B7.

(14) « Loophole closed at last », The Toronto Star, 21 juin 2005, p. A14.


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