Résumé législatif du Projet de loi S-221

Résumé Législatif
Résumé législatif du projet de loi S-221 : Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (qualification des sénateurs en matière de propriété)
Marc-André Roy, Division des affaires juridiques et sociales
Publication no 42-1-S221-F
PDF 306, (11 Pages) PDF
2017-10-05

1  Contexte

Le projet de loi S‑221, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (qualification des sénateurs en matière de propriété), a été déposé au Sénat par le sénateur Dennis Glen Patterson le 10 mars 20161. Ce projet de loi modifie la Loi constitutionnelle de 1867 afin de supprimer l'obligation pour les sénateurs de posséder un avoir net personnel d'au moins 4 000 $ et l'obligation relative à l'avoir immobilier pour les sénateurs de toutes les provinces, sauf du Québec.

Le sénateur Patterson a également donné préavis, le 10 mars 2016, de la présentation d'une motion connexe visant à modifier la Loi constitutionnelle de 1867 de manière à supprimer les exigences en matière de propriété applicables aux sénateurs du Québec. Le débat sur le projet de loi à l'étape de la deuxième lecture et celui sur la motion ont commencé tous les deux le 24 mars 20162.

Il s'agit de la quatrième fois qu'est déposé au Sénat un projet de loi visant à modifier les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 portant sur les exigences en matière de propriété imposées aux sénateurs. Les trois premières versions, présentées au cours de la 2e session de la 39e législature (S‑229), de la 1re session de la 40e législature (S‑212) et de la 2e session de la 40e législature (S‑215) par le sénateur Tommy Banks sont toutes trois mortes au Feuilleton. Alors que les trois premières versions du projet de loi étaient identiques, le libellé du projet de loi S‑221 diffère quelque peu3.

1.1  La Loi constitutionnelle de 1867

L'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1867 4 énonce les six qualités exigées pour qu'une personne puisse être nommée au Sénat et y conserver son siège :

Les qualifications d'un sénateur seront comme suit :

  1. Il devra être âgé de trente ans révolus;
  2. Il devra être sujet‑né de la Reine, ou sujet de la Reine naturalisé par loi du parlement de la Grande‑Bretagne, ou du parlement du Royaume‑Uni de la Grande‑Bretagne et d'Irlande, ou de la législature de l'une des provinces du Haut‑Canada, du Bas‑Canada, du Canada, de la Nouvelle‑Écosse, ou du Nouveau‑Brunswick, avant l'union, ou du parlement du Canada, après l'union;
  3. Il devra posséder, pour son propre usage et bénéfice, comme propriétaire en droit ou en équité, des terres ou tenements tenus en franc et commun socage, – ou être en bonne saisine ou possession, pour son propre usage et bénéfice, de terres ou tenements tenus en franc‑alleu ou en roture dans la province pour laquelle il est nommé, de la valeur de quatre mille piastres en sus de toutes rentes, dettes, charges, hypothèques et redevances qui peuvent être attachées, dues et payables sur ces immeubles ou auxquelles ils peuvent être affectés;
  4. Ses propriétés mobilières et immobilières devront valoir, somme toute, quatre mille piastres, en sus de toutes ses dettes et obligations;
  5. Il devra être domicilié dans la province pour laquelle il est nommé;
  6. En ce qui concerne la province de Québec, il devra être domicilié ou posséder sa qualification foncière dans le collège électoral dont la représentation lui est assignée.

En matière de propriété, l'article 23 exige donc qu'un sénateur possède un avoir foncier d'une valeur minimale de 4 000 $ dans la province pour laquelle il est nommé ainsi qu'un avoir net d'une valeur minimale de 4 000 $.

Le point 6 de l'article 23 prévoit un arrangement particulier pour le Québec. En effet, ce dernier se distingue des autres provinces représentées au Sénat, car chacun des 24 sénateurs qui le représentent est nommé pour l'un des 24 « collèges électoraux » (ou « divisions sénatoriales ») correspondant aux circonscriptions en vigueur au Bas‑Canada lors de la Confédération5. Le point 6 prévoit donc que les sénateurs doivent résider ou posséder leur qualification foncière dans le collège électoral qu'ils représentent.

Les qualifications des sénateurs en matière de propriété sont également mentionnées dans la « Déclaration des qualifications exigées », qui figure à la cinquième annexe de la Loi constitutionnelle de 1867 et que doit remplir toute personne nommée au Sénat :

Je, A.B., déclare et atteste que j'ai les qualifications exigées par la loi pour être nommé membre du Sénat du Canada (ou selon le cas), et que je possède en droit ou en équité comme propriétaire, pour mon propre usage et bénéfice, des terres et tenements en franc et commun socage [ou que je suis en bonne saisine ou possession, pour mon propre usage et bénéfice, de terres et tenements en franc‑alleu ou en roture (selon le cas),] dans la province de la Nouvelle‑Écosse (ou selon le cas), de la valeur de quatre mille piastres, en sus de toutes rentes, dettes, charges, hypothèques et redevances qui peuvent être attachées, dues et payables sur ces immeubles ou auxquelles ils peuvent être affectés, et que je n'ai pas collusoirement ou spécieusement obtenu le titre ou la possession de ces immeubles, en tout ou en partie, dans le but de devenir membre du Sénat du Canada, (ou selon le cas,) et que mes biens mobiliers et immobiliers valent, somme toute, quatre mille piastres en sus de mes dettes et obligations.

1.2  Le Renvoi relatif à la réforme du Sénat

En 2014, dans le cadre du Renvoi relatif à la réforme du Sénat 6, la Cour suprême du Canada a été appelée à déterminer si le Parlement pouvait, en vertu de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 7, abroger unilatéralement les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 établissant les exigences relatives à l'avoir net et à l'avoir foncier des sénateurs. L'article 44 prévoit en effet que « [s]ous réserve des articles 41 et 42, le Parlement a compétence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes ».

Lorsqu'elle a cherché à déterminer si le Parlement pouvait adopter unilatéralement les modifications proposées concernant les qualifications des sénateurs en matière de propriété, la Cour a fait remarquer que « la procédure unilatérale fédérale de modification de la Constitution a une portée restreinte. Elle ne permet pas les modifications mettant en cause les intérêts des provinces en modifiant la nature fondamentale ou le rôle du Sénat8. » La Cour s'est penchée sur la question de savoir si les modifications proposées répondaient à ce critère.

1.2.1  La condition relative à l'avoir net

En ce qui a trait à la condition relative à l'avoir net prévue au point 4 de l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1867, la Cour suprême du Canada a conclu que sa suppression n'a aucune incidence sur l'indépendance des sénateurs ou le rôle du Sénat. Elle estime également que la suppression « ne met pas en cause les intérêts des provinces9 ».

Par conséquent, la Cour a conclu que cette exigence peut être abrogée par le Parlement du Canada agissant seul, en vertu de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 :

À notre avis, l'abrogation du par. 23(4) constitue précisément le type de modification que les auteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 entendaient inclure dans le champ d'application de l'art. 44. Elle met à jour le cadre constitutionnel régissant le Sénat sans toucher à ses nature et rôle fondamentaux10.

1.2.2  La condition relative à l'avoir foncier

Tout comme la suppression de la condition relative à l'avoir net, la Cour suprême du Canada a conclu que la suppression de la condition relative à l'avoir foncier (condition prévue au point 3 de l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1867) ne modifie pas les nature et rôle fondamentaux du Sénat. Elle estime également que la suppression ne met pas en cause les intérêts des provinces, à l'exception du Québec.

La Cour est d'avis que la suppression de cette condition affecterait un arrangement spécial relatif à cette province. L'objectif de cet arrangement spécial a fait l'objet du commentaire suivant de la Cour suprême du Canada :

Historiquement, il s'agissait de s'assurer que la minorité anglophone du Québec soit représentée au Sénat en rendant obligatoire la nomination de sénateurs spécifiquement pour des collèges à majorité anglophones […] Le paragraphe 23(6) se rattache à la mise en œuvre de cet arrangement spécial : il offre une certaine latitude aux sénateurs du Québec en leur permettant soit de résider dans le collège électoral pour lequel ils sont nommés, soit d'y posséder simplement leur qualification foncière11.

En raison de cette particularité québécoise, la Cour estime que l'abrogation complète du point 3 de l'article 23 :

rendrait inopérante la possibilité offerte aux sénateurs du Québec par le par. 23(6) de posséder leur qualification foncière dans leur collège électoral respectif, ce qui les obligerait effectivement à résider dans le collège électoral qu'ils représentent. Cette mesure constituerait une modification au par. 23(6), qui prévoit un arrangement spécial applicable à une seule province, et entrerait donc dans le champ d'application de la procédure relative aux arrangements spéciaux12.

Pour être applicable au Québec, cette modification constitutionnelle nécessiterait donc le consentement du Sénat, de la Chambre des communes ainsi que de l'Assemblée nationale du Québec suivant la procédure prévue à l'article 43 de la Loi constitutionnelle de 198213(ce genre de modification est aussi appelé une modification bilatérale). Cela étant dit, la Cour suprême du Canada est d'avis que le Parlement peut unilatéralement supprimer la qualification foncière prévue au point 3 de l'article 23 en la rendant inapplicable partout sauf au Québec14.

1.3  La motion du sénateur Patterson visant à supprimer les exigences en matière de propriété applicables aux sénateurs du Québec

Le 10 mars 2016, le sénateur Patterson a donné préavis d'une motion visant à modifier les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant les qualifications des sénateurs en matière de propriété15. Alors que le projet de loi S‑221 vise à supprimer les exigences en matière de propriété tombant sous la compétence exclusive du Parlement du Canada, la motion du sénateur Patterson, qui demande notamment l'abrogation du point 6 de l'article 23 énonçant les qualifications en matière de propriété applicables expressément aux sénateurs du Québec, constitue la première étape de l'application d'une modification bilatérale. Afin que la motion puisse entrer en vigueur, le Sénat, la Chambre des communes et l'Assemblée nationale doivent l'adopter et le gouverneur général doit émettre une proclamation à cet effet, conformément à l'article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982.

L'adoption conjointe du projet de loi S‑221 et de la motion entraînerait trois principales conséquences :

  • La suppression de la condition relative à l'avoir net visant les sénateurs de toutes les provinces.
  • La suppression de la condition relative à l'avoir foncier visant les sénateurs de toutes les provinces.
  • La suppression de l'obligation pour un sénateur du Québec de résider ou de posséder un avoir foncier dans le collège électoral qu'il représente. Il doit toutefois résider dans la province du Québec.

2  Description et analyse

Le projet de loi S‑221 contient six articles. Essentiellement, il supprime l'obligation pour les sénateurs de posséder un avoir net personnel d'au moins 4 000 $ et l'obligation relative à l'avoir immobilier pour les sénateurs de toutes les provinces, sauf du Québec.

2.1  Titre abrégé (art. 1)

L'article premier du projet de loi S‑221 prévoit que son titre abrégé est : « Loi constitutionnelle de 2016 (qualifications des sénateurs en matière de propriété) ».

2.2  Modification de la Loi constitutionnelle de 1867 (art. 2 à 4)

Les articles 2 à 4 du projet de loi modifient les qualifications des sénateurs relatives à l'avoir net et à l'avoir foncier prévues à l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1867.

L'article 2 du projet de loi abroge le point 4 de l'article 23 de la Loi et élimine ainsi l'obligation pour les sénateurs de posséder un avoir net d'au moins 4 000 $. Cette modification est applicable à tous les sénateurs, y compris à ceux du Québec.

Ensuite, l'article 3 du projet de loi ajoute à la Loi le nouvel article 23A qui supprime l'exigence relative à l'avoir foncier à l'égard des sénateurs représentant une province autre que le Québec. Cette disposition s'inscrit dans le cadre du Renvoi relatif à la réforme du Sénat, dans lequel la Cour suprême a confirmé que la compétence exclusive du Parlement du Canada en matière de modification constitutionnelle lui permet d'abroger l'exigence relative à l'avoir foncier à l'égard de tous les sénateurs sauf de ceux qui représentent le Québec.

Enfin, l'article 4 du projet de loi remplace la « Déclaration des qualifications exigées » figurant à la cinquième annexe de la Loi constitutionnelle de 1867 par une version simplifiée qui ne mentionne pas les qualifications en matière de propriété. Voici le libellé modifié de la déclaration :

Je, A.B., déclare et atteste que j'ai les qualifications exigées par la loi pour être nommé membre du Sénat du Canada.

2.3  Dispositions de coordination (art. 5)

L'article 5 du projet de loi S‑221 vise à coordonner les modifications apportées à la Loi constitutionnelle de 1867 par le projet de loi avec celles proposées par la motion du sénateur Patterson, qui demande l'abrogation de l'arrangement spécial applicable aux sénateurs représentant les collèges électoraux du Québec. L'objectif de l'article 5 du projet de loi est ainsi de s'assurer qu'aucun article caduc ou incohérent ne subsistera dans le texte de la Loi constitutionnelle de 1867 à l'entrée en vigueur de ces deux instruments.

Le paragraphe 5(1) précise que le terme « modification » s'entend dans cet article de l'abrogation des points 3 et 6 de l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il s'agit de l'essentiel de la modification constitutionnelle proposée dans la motion du sénateur Patterson concernant les exigences applicables aux sénateurs du Québec.

Le paragraphe 5(2) prévoit que si l'article 3 du projet de loi entre en vigueur avant la modification, alors le nouvel article 23A de la Loi sera automatiquement abrogé lorsque la modification aura été effectuée.

D'après le paragraphe 5(3), si la modification est effectuée avant l'entrée en vigueur de l'article 3 du projet de loi, cet article est réputé ne pas être entré en vigueur et est abrogé.

Selon le paragraphe 5(4), si l'article 3 du projet de loi entre en vigueur le même jour où la modification est effectuée, la modification est réputée avoir été faite en premier et le paragraphe 5(3) s'applique.

Enfin, le paragraphe 5(5) du projet de loi porte, quant à lui, sur l'article 31 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui énonce les cas dans lesquels le siège d'un sénateur est déclaré vacant. Le point 5 de cet article précise notamment que le siège d'un sénateur devient vacant « [s]'il cesse de posséder la qualification reposant sur la propriété ou le domicile ». Le paragraphe 5(5) du projet de loi prévoit que, dès le premier jour où la modification est effectuée et où le projet de loi est en vigueur, ce libellé est remplacé par « [s]'il cesse de posséder la qualification reposant sur la résidence ».

2.4  Disposition interprétative (art. 6)

L'article 6 du projet de loi S‑221 précise que toute mention des Lois constitutionnelles de 1967 à 1982 inclut le projet de loi.


Notes

*  Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur.Retour au texte ]

  1. Projet de loi S‑221, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (qualifications des sénateurs en matière de propriété), 1re session, 42e législature. [ Retour au texte ]
  2. Sénat, Débats pdf (603 ko, 40 pages), 1re session, 42e législature, vol. 150, no 24, 24 mars 2016, p. 415 et 416 et p. 418 à 420. [ Retour au texte ]
  3. Voir par exemple le projet de loi S-215, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (qualification des sénateurs en matière de propriété), 2e session, 40e législature. [ Retour au texte ]
  4. Loi constitutionnelle de 1867 (R.‑U.), 30 & 31 Victoria, ch. 3. [ Retour au texte ]
  5. Ibid., art. 22. [ Retour au texte ]
  6. Renvoi relatif à la réforme du Sénat, 2014 CSC 32, [2014] 1 R.C.S. 704. [ Retour au texte ]
  7. Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11. [ Retour au texte ]
  8. Renvoi relatif à la réforme du Sénat, par. 87. [ Retour au texte ]
  9. Ibid., par. 88 et 89. [ Retour au texte ]
  10. Ibid., par. 90. [ Retour au texte ]
  11. Ibid., par. 92 [références omises]. [ Retour au texte ]
  12. Ibid., par. 93. [ Retour au texte ]
  13. L'article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que les dispositions de la Constitution qui s'appliquent uniquement à certaines provinces
    ne peuvent être modifiées que par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l'assemblée législative de chaque province concernée.
    À noter qu'en vertu de l'art. 47 de la Loi constitutionnelle de 1982, une modification de ce genre peut être effectuée sans résolution du Sénat, si celui-ci n'a pas autorisé la proclamation dans un délai de cent quatre-vingts jours suivant l'adoption d'une résolution semblable de la Chambre des communes (excluant les périodes pendant lesquelles le Parlement est prorogé ou dissous). [ Retour au texte ]
  14. Renvoi relatif à la réforme du Sénat, par. 94. [ Retour au texte ]
  15. Sénat, « Préavis de motion tendant à autoriser la Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (qualifications des sénateurs en matière de propriété) par proclamation de Son Excellence le gouverneur général », Débats, 1re session, 42e législature, vol. 150, no 21, 10 mars 2016. [ Retour au texte ]

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